mercredi 30 juin 2010

VOL III _ chpt 7, chpt 8


Chapitre 7 : Epreuve/ Ordeal



Il faisait jour lorsque nous rentrâmes à l’hôtel. Un petit jour gris et lourd. J’étais ivre. Mon esprit me donnait l’impression de flotter encore quelque part, autour de moi, autour de nous. Mes sens m’avaient transportée durant un long moment. Je m’étais livrée à eux, au plaisir ineffable que me procurait la nature dans laquelle je m’abandonnais, le parfum entêtant d’un jasmin mêlé à l’odeur ferreuse de la terre, la fraîcheur de l’herbe, le mouvement de l’air dans les branches bruissant au-dessus de nos têtes, les lumières changeantes du ciel… la bouche d’Edward, sa peau, son arôme, ses gestes délicats et passionnés… le silence, empli des murmures de la vie, craquements, vibrations, crissements, clapotis léger, gazouillis étouffés, souffles à peine perceptibles… J’avais le sentiment d’être en harmonie avec la palpitation de l’existence.
Ce que j’avais ressenti, avec tant de force et d’acuité, m’avait étourdie. Mais peu à peu, ma conscience me revenait, se ranimait. Et avec elle refluaient la crainte et le remord.
Quand nous fûmes dans notre chambre, je me mis à inspecter Edward. Furtivement, d’abord, puis je m’approchai, et déboutonnai sa chemise sans plus de cérémonie. Il voulut résister, mais céda devant mon attitude inquiète.
« Laisse-moi, Edward… laisse-moi te regarder ! »
Il leva les sourcils et se mordit les lèvres, comme pour réprimer une envie de rire.
« Là. Es-tu satisfaite ? »
Si son corps avait porté de nouvelles marques, elles s’étaient déjà effacées. Je soupirai.
« Oui. Je…
_ Tu te maîtrises déjà beaucoup mieux, Bella. C’est presque… surprenant.
_ Ah ? »
Cherchait-il à me rassurer ?
« Mais je pense toujours qu’il vaut mieux que nous quittions la ville. Je ne sais pas au juste quand ta grande faim risque de se manifester…
_ Peut-être qu’elle ne le fera pas. Est-ce que ce serait possible ? Tu en parles comme si… j’allais devenir vorace. »
Son regard se fit plus dur.
« C’est ce qui se produit, en général. »
Finalement, non, je n’étais pas rassurée du tout.
« Quand ?
_ Quelques jours… quelques semaines après la transformation.
_ Bon. »
J’essayai de me montrer la plus rationnelle possible. Je n’avais pourtant pas l’impression d’être si dangereuse et de devoir me méfier de moi-même à ce point. Mais… je savais déjà que mes pulsions pouvaient me faire perdre toute retenue, parfois… Qu’à certains moments, elles devenaient si puissantes qu’il m’était impossible de ne pas me laisser emporter par mes sensations. Que serait-ce si c’était la soif, une soif irrésistible, qui m’animait tout à coup, comme Edward me le laissait envisager ?
« Où comptes-tu aller ?
_ Nous allons descendre doucement au Sud. Rester dans des endroits calmes. Voire déserts, s’il le faut.
_ Déserts ?
_ Que penses-tu de l’Afrique ? »
Je crus écarquiller les yeux… avant de réaliser que mon visage était resté impassible. Apparemment, je devrais me forcer réellement pour me montrer expressive, à présent.
« Tu veux aller en Afrique ? »
Il s’assit près de moi, déposa un baiser léger sur mon front.
« Oui. Je pense que c’est un bon endroit. Et puis, nous pouvons y aller peu à peu. Nous allons commencer par chasser dans la forêt de Fontainebleau, deux ou trois jours. Tu verras, c’est un lieu vraiment féerique. Je veux absolument que tu le voies. Puis… nous descendrons progressivement jusqu’en Espagne. Et de là…
_ Est-ce qu’il ne faudrait pas prévenir ta famille ? »
Edward baissa les yeux. Il posa sa bouche, puis son menton, sur son poing.
« J’y ai réfléchi… Je ne crois pas que ce soit une bonne chose.
_ Comment ? Mais… pourquoi ?
_ Eh bien… J’ai fait de toi un vampire, Bella. »
Etait-ce une réponse ? Edward avait l’air grave, ses sourcils se froncèrent légèrement.
« Je ne… ils étaient d’accord, protestai-je. Ce n’est pas un pro…
_ Les Quileutes. »
J’aurais pu sursauter. Mais je comprenais, tout à coup. Je comprenais parfaitement.

Après un silence, Edward reprit :
« Si je leur annonce que je t’ai changée, je suis certain que Carlisle se sentira obligé d’aller parler à Sam. Il est honnête et intègre… Il voudra préparer notre retour, chercher un compromis. Je crains des complications. Et je ne veux pas qu’ils aient à gérer ça en mon absence. C’est à moi de le faire. Je pense qu’il vaut mieux attendre. »
Il avait très certainement raison. Que pouvais-je dire de plus ? Sans doute allions-nous au-devant de nouveaux ennuis. Comment les Quileutes réagiraient-ils à cette nouvelle ? Le traité qui les unissait aux Cullen avait été rompu. Ce n’était pas autre chose. La famille d’Edward -mon clan à présent- devrait-elle quitter Forks ? Les paroles de l’Alpha, celles-là mêmes qu’il avait prononcées juste après la mort de Jacob, alors que j’étais couchée contre lui, refusant de quitter sa dépouille, me revinrent en mémoire. Je les entendis, aussi clairement que s’il venait de les redire à l’instant devant moi.
« Sam… Sam me considère… me considérait, corrigeai-je, comme un membre de leur tribu. Parce que je suis la mère des enfants de Jake. Il me l’a dit… »
Edward acquiesça. Il le savait. Il était là quand Sam m’avait relevée.
C’était la meilleure solution, en effet. Attendre d’être rentrés à Forks. Et faire face… moi-même. Ce n’était pas qu’à mon mari de le faire. J’irais plaider la cause d’Edward et de sa famille. Je saurais expliquer, trouver les mots. Dès que j’en serais capable. Mais Sam comprendrait-il ? Le voudrait-il seulement ? S’il acceptait de m’écouter… Car il était avant tout un Transformateur.
D’un bond, je me remis debout.
« Allons-nous en, Edward. Partons. Maintenant. »
Il leva sur moi ses pupilles de pourpre brune. Il semblait réfléchir.
« Tu te sens capable de sortir, Bella ? En plein jour ? Dans la foule ?
_ Il me semble que oui. Je n’éprouve pas de soif. »
Je voulais en être certaine.
« Si… nous ne faisons que passer, il ne devrait pas y avoir de problème. »
Les yeux d’Edward sondaient les miens.
« J’ai beaucoup de choses à apprendre, Edward, poursuivis-je. Alors, autant ne pas perdre de temps. Je veux parvenir à me contrôler le plus rapidement possible. Je veux découvrir toutes mes capacités, comprendre ce que je peux faire et appréhender mes limites… Savoir jusqu’où je peux aller pour le moment, et chercher à faire mieux, chaque jour davantage. »
Il tendit une main vers moi. Son visage s’adoucit. Son sourire se fit tendre.
« C’est très courageux à toi, Bella. Et… tu n’as pas l’air perturbée ou perdue, contrairement à ce que cela pourrait être. Habituellement, les nouveaux-nés se montrent assez imprévisibles. Mais toi, tu sais ce que tu veux, et tu agis avec beaucoup de cohérence. C’est admirable. Je suis très fier de toi. »

Avant de quitter l’hôtel, Edward passa quelques coups de téléphone, pendant que je prenais une très longue douche –plus par plaisir et désir de me détendre, de vider mon esprit à nouveau préoccupé en m’abandonnant encore à ces sensations merveilleuses que le contact de l’eau procurait à mon corps transformé, que par nécessité- puis je rassemblai nos affaires.
Quand tout fut prêt, je jetai un dernier regard par la fenêtre. La vue des toits me donnait envie de bondir à l’extérieur, de sauter d’un immeuble à l’autre, de me promener un moment, solitaire, mieux qu’un chat ne saurait le faire, sur la hauteur des faîtages. Je n’avais plus à craindre d’avoir le vertige. J’irais voir cette verrière abritant les roses odorantes dont j’avais capté le parfum envoûtant, quelques jours auparavant. Oh, j’aurais vraiment aimé ! Mais ce n’était pas le moment, et il valait mieux ne pas tenter le Diable… Je me jurai bien de m’accorder ce plaisir de courir à la cime des toits d’une grande ville, plus tard, quand je serais totalement maîtresse de moi-même.
Me tenant un peu en retrait, je laissai mon mari expliquer à la réception, de l’air le plus naturel et le plus charmant du monde, que notre chambre avait été un peu mise à mal, et qu’il s’offrait de régler tout ce que la direction jugerait nécessaire. Son aplomb m’impressionnait. Serais-je bien capable, moi, à présent, d’en faire autant ? Saurais-je utiliser mon charme surnaturel avec autant d’audace ? Si l’idée m’intriguait, je n’étais pas encore tout à fait sûre de savoir convenablement m’y prendre. A mon grand étonnement, j’entendis le responsable répondre à Edward qui lui tendait sa carte de crédit :
« Aucun problème, Monsieur. Merci. Nous espérons que vous avez passé un bon séjour. »
Tout pouvait-il être aussi simple que cela ?
Derrière les verres fumés de mes lunettes, j’étudiais la rue avec attention. Il y avait beaucoup de monde. Le soleil était absent, occulté par une épaisse couche de nuages gris clair, l’atmosphère moite. Elle sentait la pluie. Edward tenait mon bras. Amoureusement, mais fermement. Et je lui en étais plutôt reconnaissante.
« Tu veux prendre un taxi ou tu préfères courir ? »
Je pris quelques secondes pour envisager les deux options qui s’offraient à nous.
« Combien de temps en taxi ?
_ Environ une heure.
_ Je préfère courir. »
Edward eut un petit rire mélodieux.
Au détour d’une rue, nous disparûmes. Il aurait fallu un regard humain attentif pour percevoir notre présence. Entourés d’hommes vaquant à leurs occupations, nous étions quasiment invisibles. Si l’un d’eux croyait sentir ou voir quelque chose de particulier, nous n’étions déjà plus dans son champ de vision le temps qu’il réagisse. Notre vitesse avait quelque chose de magique, même pour moi. Elle ralentissait le monde autour de nous d’une si étrange manière ! Et il me semblait que je pouvais chercher à aller plus vite encore. Il me faudrait essayer lorsque j’en aurais l’occasion, lorsque je ne craindrais pas de semer Edward, peut-être…
Durant le trajet, je fis tous les efforts dont j’étais capable pour rester concentrée sur ma course. De minuscules gouttelettes d’eau en suspens dans l’air baignaient mon visage et mes cheveux, chatouillant ma peau trop sensible. Leur contact doux avait quelque chose d’infiniment agréable, et cette sensation m’aida à moins me préoccuper des odeurs humaines que nous pouvions croiser. Je les percevais toutes avec tant de précision ! Mais je me refusais à leur accorder trop d’importance. A mon grand bonheur, nous parvînmes rapidement à destination. J’étais soulagée et… assez contente de moi.
L’hôtel se trouvait dans un très beau parc qui touchait presque la forêt. Nous en fîmes le tour, dans une promenade agréable et paisible, avant de nous présenter à la réception. En pénétrant dans la chambre qu’Edward avait retenue, je découvris, à mon grand étonnement, quelques paquets posés sur un fauteuil. Edward me lança un regard faussement innocent. Le coin de sa lèvre se soulevait déjà légèrement.
« J’ai pensé… j’ai pris la liberté, annonça-t-il finalement, de faire porter ici… Bon. Je voulais juste te faire un cadeau, Bella. Une vitrine a attiré mon œil, l’autre soir, alors que nous traversions la ville. J’ai tout de suite su que c’était pour toi. »
Avais-je une expression particulière ? Il ajouta, légèrement penaud :
« J’espère vraiment que tu vas aimer… J’aimerais pouvoir faire des cadeaux à ma femme quand l’envie m’en prend, tu sais… »
Même si j’avais toujours ce sentiment que les cadeaux qu’Edward pouvait vouloir me faire n’étaient pas vraiment ce qu’il y avait de plus nécessaire dans l’existence, je comprenais aussi ce qu’il ressentait. Si j’en avais eu les moyens moi-même -mes propres moyens-… je l’aurais sans doute couvert de cadeaux. Chacun donne ce qu’il peut. Et Edward m’avait déjà tant offert !
Le plus grand sac, orné d’un motif très élégant, contenait une housse légère, pliée en deux. C’était, de toute évidence, un vêtement. Je fis glisser la petite fermeture éclair et en sortis une robe. Mais une robe extraordinaire…
« Oh !... que c’est beau, Edward… ! »
Ce n’était pas une tenue de bal, comme j’avais pu le craindre une seconde, en constatant la nature du cadeau que contenait l’emballage. Rien qui fasse du tout « princesse » là-dedans. En fait, l’ensemble était très simple, mais incroyablement osé et original. Le haut, en velours grenat doublé de soie noire, avait la forme d’un cache cœur. Une ceinture haute le reliait à la jupe, assez courte, faite de lanières d’un cuir chocolat brodées de petites fleurs pailletées du même ton, qui venaient se superposer à la même doublure de soie noire. Je ne pouvais que m’extasier.
« C’est magnifique. »
Edward m’observait attentivement. Il sourit.
« Et même assez pratique.
_ Quoi ? Tu ne penses quand même pas… que je vais chasser avec ça !
_ J’ai vu Alice le faire avec des vêtements beaucoup plus… compliqués, rit-il. Ce n’est pas un problème. »
Je savais qu’il avait raison. Je pouvais courir en touchant à peine terre. Boire était si naturel, tuer… si rapide. Ma tenue n’avait aucune espèce d’importance. C’était l’idée qui me gênait davantage. Je devais juste m’habituer au décalage. Ce serait sans doute le plus long. Apprendre à penser « vampire ». Oublier mon humanité. Mais… je n’étais pas sûre de le vouloir réellement. Pour Alice, c’était simple : elle ne s’en souvenait tout bonnement plus ! Elle faisait selon ses désirs et sa fantaisie. Moi, j’avais des souvenirs, un vécu, une éducation. Pourrais-je vraiment changer ?
N’avais-je pas déjà profondément changé ?
« Si cette robe t’effraie…, gloussa Edward, que vas-tu penser de l’autre paquet ! »

Finalement, je les avais mises.
La robe et… les chaussures. J’avais passé l’ensemble, fait quelques pas dans la chambre et, à ma grande stupéfaction, je me sentais merveilleusement bien. En vérité, je les adorais. C’étaient certainement les plus beaux vêtements qu’il m’avait jamais été donné de porter. Outre ma robe de mariée, choisie par Alice, bien entendu !
Lorsque j’avais ouvert le deuxième paquet, je n’avais pu que m’émerveiller encore de ce que j’y avais découvert. Mais j’avais aussi souri avec une certaine gêne. Ces escarpins étaient de vrais bijoux : impossible d’envisager de pouvoir marcher avec. Edward n’avait pas insisté, il s’était contenté de l’admiration sincère avec laquelle j’avais accueilli ses cadeaux.
« Tu les mettras quand tu te sentiras prête », avait-il simplement conclu.
Sur le moment, j’avais pensé que cela n’arriverait probablement jamais. Et voilà que je les portais… avec bonheur ! Et trois jours seulement s’étaient écoulés. Trois jours. Ils étaient passés comme trois secondes, et comme une éternité à la fois.
J’étais prête à sortir. J’allais partir en promenade, avec Edward, qui venait de me quitter un instant pour aller chercher quelque mystérieuse surprise pendant que je m’habillais… Encore une surprise. Il me couvait, et me couvrait d’attentions, depuis que j’étais devenue sa semblable. Comme s’il s’était toujours retenu auparavant et qu’il espérait me trouver plus conciliante parce que ma nature profonde avait changé. A moins qu’il ne cherchât à me divertir de mes préoccupations et de mes inquiétudes ? En tout cas, il se montrait particulièrement efficace car, malgré mes réticences naturelles, je commençais à trouver tout cela vraiment très agréable. Tellement touchant et toujours si… stimulant, en un sens !
Je fis encore quelques aller-retour dans la pièce pour m’assurer que tout allait bien. Mais comment pouvait-il en être autrement ? Je ne perdrais pas l’équilibre, je ne le perdrais plus jamais. De cela, j’étais à présent bien certaine. Mes pieds ne souffriraient pas de la cambrure qui leur était imposée, mon corps ne pouvait plus se fatiguer ! J’étais aussi légère et naturelle qu’une biche dans sa course. Sans le vouloir, je me mis à rire (une biche… voilà qui était particulièrement inapproprié !), mais je m’arrêtai soudain. Comment pouvais-je trouver cela drôle ? J’étais de plus en plus fréquemment frappée par les changements incongrus de mes humeurs et la façon surprenante dont je me mettais parfois à considérer les choses. Depuis peu, j’avais en effet remarqué, non sans une certaine inquiétude, que mon point de vue sur l’existence, les êtres, les évènements, semblait vouloir se modifier en profondeur et malgré moi. Tout m’apparaissait de plus en plus… simple, évident et dérisoire. Car rien n’avait d’importance, au fond. Rien ne nécessitait que l’on se montre grave ou tourmenté. Par moments, j’avais la tentation de me montrer réellement frivole et désinvolte, me semblait-il, de m’amuser de tout, de rien, de jouir simplement des plaisirs que m’autorisait ma condition : mes sensations extraordinaires, les beautés fascinantes du monde, sa douceur... Plus qu’une envie, ce sentiment ressemblait davantage à une conviction, une révélation que c’était là la manière dont je devais me comporter et envisager l’existence. Puis cette pulsion étrange s’éteignait, me laissant résolument perplexe et désemparée. D’autant plus qu’Edward n’avait pas d’explication au sujet de ce phénomène singulier. Il me disait que ce devait être la manière dont ma personnalité particulière s’acclimatait à ma nouvelle nature, cherchant progressivement à réinstaller un équilibre qui ne tarderait pas à venir. Cependant, son hésitation ne me permettait pas de me tranquilliser tout à fait à ce sujet. En revanche, il me rassurait continuellement concernant les changements, si rapides qu’ils en étaient quasi instantanés, de mes émotions et de mes états d’esprit. Ils étaient très déstabilisants pour moi qui avais toujours été d’un tempérament plutôt posé et raisonnable, et ils auraient pu l’être tout autant pour Edward, puisqu’il les subissait autant que moi ! C’était, selon lui, une des caractéristiques des vampires nouveaux-nés, et je ne dérogeais apparemment pas à la règle, même si je me contrôlais déjà très bien et si ma capacité à me mettre à distance de ce que j’éprouvais l’étonnait. Peu à peu, le temps me permettrait de mieux appréhender ce que je ressentais, apparemment, et de ne pas me laisser submerger par ce que j’éprouvais. Je devais me résigner à attendre… alors que je me sentais si pressée !



Quelques petits coups légers venaient d’être frappés à la porte. Edward revenait déjà. D’un bond, je me précipitai pour lui ouvrir, heureuse de l’accueillir dans la si belle tenue dont il m’avait fait cadeau. Mais dès que j’eus abaissé la poignée, je reculai d’effroi, regrettant déjà la spontanéité de mon geste. L’odeur me saisit instantanément à la gorge. Pourquoi n’avais-je pas réagi avant d’ouvrir la porte ? Je l’avais perçu, pourtant, ce parfum délicieux et suave, caractéristique des êtres humains, mais ma main était allée plus vite que ma pensée. A moins que mon instinct ne m'ait poussée… Malheur ! Je serrai les dents et détournai le regard, me couvrant le front d’une main.
Devant moi, se tenait un jeune homme, blond et souriant. Il portait quelques serviettes pliées, des draps… un employé de l’hôtel, évidemment, qui ne faisait que son travail. Mais il tombait mal. Très mal. J’étais seule. Et dans un lieu clos. Cela ne s’était jamais produit jusqu’à présent. Immédiatement, je me rendis compte que je paniquais.
« Bonjour, Mada… Vous vous sentez bien ? »
Mes lunettes. Où avais-je posé mes lunettes, bon sang !
« Je… j’ai vraiment très mal à la tête. Ce n’est pas grave. J’ai l’habitude… d’avoir des migraines. »
Quel sens de l’à-propos phénoménal ! Je m’étonnais moi-même. Mais où étaient donc ces fichues lunettes ? Il allait sans doute avoir la décence de me laisser avant que je les retrouve…
« Voulez-vous que j’appelle un médecin ? »
Le garçon avait pénétré dans la chambre. Avait-il vraiment l’intention de s’approcher de moi ? Plus que sa voix, c’était son parfum qui m’assaillait comme si un animal importun se précipitait soudain sur moi pour me témoigner sa joie incompréhensible de me voir alors qu’il ne me connaissait absolument pas.
« Non, non… merci, ce n’est pas la peine, il n’y a rien à faire. Je sais comment gérer les choses. J’ai juste besoin de... »
Elles étaient là, derrière mon petit sac à dos. Je les chaussai vivement, et fis volte-face. Quelle ne fut pas ma stupeur de constater que l’intrus se tenait à quelques centimètres de moi, l’air sincèrement inquiet, et que la porte de la chambre s’était refermée derrière lui. Ne sentait-il pas le danger ? Comment pouvait-il rester là, la tête légèrement inclinée de côté, me présentant aussi ostensiblement son cou, avec ce visage innocent et doux de tout jeune homme parfaitement inconscient de la vraie nature de l’être qu’il se proposait d’aider avec autant de bienveillance ?
Il avança encore. Etait-il fou ? Je fis un pas en arrière. Mon talon cogna contre le pied du fauteuil et je m’assis, ne sachant plus comment faire pour conserver une attitude naturelle alors que je voulais fuir, à toute allure, loin de lui.
Alors, se produisit une chose que je ne compris pas avant un bon moment. Quelques minutes, tout au plus, mais qui me parurent interminables. Le garçon posa un genou au sol, face à moi. Il cherchait mon regard à travers les verres sombres qui cachaient mes yeux. Je percevais la chaleur qui se dégageait de son corps. Elle irradiait tout autour de lui comme une buée sucrée et douce. Plaisante. Appétissante.

Oh, mon Dieu, aidez-moi !

Sous sa peau, son sang se mit à pulser avec plus de force. Pourquoi ? Que se passait-il ? Son sang m’appelait, je pouvais le sentir aussi clairement que s’il avait crié mon nom. Lentement, il leva une main. Je crus rêver. Cherchait-il réellement à toucher ma joue ?
« Madame, vous… »
Sa voix n’était plus qu’un murmure. Son regard se voila. Le bout de ses doigts se mit à trembler. Je me raidis. Tout, dans son attitude, dans l’émotion incroyable qui se peignait sur son visage, le parfum léger de réglisse et de citron qui émanait de son corps tendre, m’était insupportable. Insupportablement attirant.
En une fraction de seconde, je me vis me pencher sur lui. Il ne bougeait pas. Il ne bougerait pas et ne protesterait pas si je le mordais… si je buvais. Ce serait si simple. Si facile. Il avait envie de moi. Je pouvais le sentir. Je percevais son désir. Je pourrais faire de lui ce que je voudrais. Et s’il cherchait à se débattre, de toute manière, peu importait. Ce serait même peut-être mieux… Je le maintiendrais, je l’empêcherais de crier, j’en étais parfaitement capable. Oui, ce serait tellement plus excitant d’éprouver ma force, de dominer cet humain insignifiant ! Je me vis déchirer la peau rose et blanche de sa gorge. Je pouvais déjà éprouver le goût de son sang sur ma langue.

Oh, comment ne pas le faire ? Comment ne pas céder à une telle attraction ?

Non, c’était l’évidence : au fond de moi, je n’étais plus Bella. Plus seulement, en tout cas. Mais il fallait que je lutte, que je surmonte cet appel. Je secouai la tête et serrai les mâchoires. Je devais me réveiller, retrouver ma conscience !
« Est-ce que quelqu’un vous fait du mal ?
_ Quoi ? »
Il fit encore un effort pour poursuivre son geste. Il voulait vraiment caresser ma joue, mais ses doigts hésitaient.
« Ne me touchez pas.
_ Vous êtes si…belle. Comment peut-il… ? »
Alors, je compris.
Le jeune homme vacilla. Il n’était plus dans son état normal. Encore un peu et il allait tourner de l’œil. Et je ne voulais pas me retrouver avec un humain inconscient étendu à mes pieds.
« Reprenez-vous, voyons !, m’écriai-je avec le plus de fermeté que je pus. Mon mari… avez-vous vu mon mari ? Il m’a dit qu’il ne sortait que quelques minutes… »
A l’autre bout de la pièce, je perçus alors un frôlement derrière la porte. Edward. Edward était là.

Merci, mon Dieu !

« Votre mari…, répétait le garçon hébété, il ne vous traite pas correctement, n’est-ce pas ? C’est pour ça que vous vous cachez… »
Je me glissai de côté et me levai précipitamment.
« Arrêtez de dire des bêtises ! Je crois que vous devriez sortir d’ici, jeune homme », assénai-je d’une voix glaciale qui me parut ne pas être la mienne.
Edward frappa. Le garçon s’écroula de côté. J’ouvris en toute hâte la porte et me jetai au cou de mon mari –je m’accrochai à lui, plutôt- comme s’il me délivrait miraculeusement d’un effroyable cauchemar qui m’avait semblé ne jamais vouloir se terminer.
« Ah, te voilà enfin ! », soufflai-je contre sa poitrine.
Aussitôt soulagée, je fermai les yeux quelques secondes en me blottissant entre ses bras.





Chapitre 8 : Au Sud/ Going South

Dès qu’il eut jeté un regard dans la pièce, Edward comprit la situation. Il posa une main tendre sur ma nuque.
« Je lui ai dit que j’avais mal à la tête mais… il n’a pas voulu me laisser », expliquai-je rapidement, plus pour le jeune homme lui-même que pour Edward.
Mais j’étais déjà beaucoup plus tranquille. La seule présence d’Edward calmait l’angoisse oppressante que j’avais ressentie. Ma soif s’était évanouie d’un coup. Alors, je compris qu’elle n’était pas réelle. Elle était née de mon manque de confiance en moi, et de ma proximité inattendue avec cet être humain vulnérable. Elle était née de l’opportunité. De la proie qui s’était présentée au prédateur. Mon instinct avait réagi. J’aurais pu, j’aurais dû ne pas l’éprouver !
Edward embrassa mes mains. Il me conduisit un peu plus loin, puis s’approcha du garçon hébété, toujours assis sur le sol.
« Vous allez bien ? », s’enquit-il très aimablement.
D’abord livide, l’employé de l’hôtel parut tout à coup recouvrer ses esprits et ses joues s’empourprèrent.
« Euh… oui… excusez-moi, Monsieur. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. »
Edward lui sourit, attrapa son bras, l’aida à se relever et le conduisit vers la sortie. Au nombre de remerciements qui déferlèrent ensuite, je compris qu’il devait lui avoir donné de quoi oublier son moment d’égarement. Puis, l’odeur s’éloigna. Enfin.
Machinalement, je me massai les tempes.
« Vraiment, Edward, je m’en veux ! », pestai-je rageusement.
En un éclair, il fut près de moi et me serra dans ses bras.
« Vraiment ? Et pourquoi donc ?
_ Parce que j’aurais pu le tuer. J’ai failli…
_ Mais tu le l’as pas fait. C’est incroyable ! », murmura-t-il presque songeur.
Puis son ton se fit soudain plus dur.
« J’ai été négligent, en ce qui me concerne, excuse-moi.
_ Quoi ?
_ Je n’aurais jamais cru que m’absenter quelques minutes… il n’y avait pas de raison que…
_ Mais est-ce que tu écoutes ce que je dis, Edward ? Je te dis que j’ai voulu, j’ai désiré, ardemment, boire son sang ! J’allais le faire… Cela n’a pas l’air de t’effrayer ! »
Prenant mon visage entre ses mains, il me débarrassa de mes lunettes, me sourit et déposa un baiser sur chacune de mes paupières, comme pour effacer toute colère de mon regard et de mon esprit. Son attitude nonchalante me décontenança tout à fait.
« Non. Parce que c’est parfaitement normal, Bella… Et je suis stupéfait que tu sois parvenue à te contrôler ! C’est sans doute le plus étrange. Mais… tu as quand même détruit l’accoudoir du fauteuil, à ce que je vois.
_ Hein ? »
Il avait raison. Je ne m’en étais même pas rendu compte. J’avais cherché à réfréner la convoitise qui me dévorait et, sous l’effet de l’émotion, je l’avais broyé. Le morceau de bois recouvert de tissu pendait lamentablement sur le côté. Edward devrait encore dédommager l’hôtel. Je commençais à revenir particulièrement cher. Bien plus que je ne l’avais jamais souhaité… mais il valait encore mieux un meuble qu’une vie. Très certainement.
« Je te promets de ne plus te quitter, si ça peut te rassurer, ajouta-t-il. Bien que je ne sois pas sûr que ce soit très nécessaire. Tu progresses admirablement vite. »
Cette dernière remarque me fit voir rouge. Je ne pus m’empêcher de donner un coup de poing dans le bras d’Edward qui recula de surprise.
« Mais que… ?
_ Je ne suis pas prête à être seule, Edward !, fulminai-je. Loin de là ! Contrairement à ce que tu dis, je ne me contrôle pas ! Je ne peux pas être laissée en présence d’humains. Je sais que j’ai failli tuer ce garçon, il y a quelques minutes. C’est plus fort que moi, cette envie, ce besoin ! Je n’y arrive pas ! Si tu n’étais pas revenu… Oh ! Comment peux-tu prendre les choses avec autant de légèreté ! »
Edward plissa les yeux durant quelques secondes, comme s’il cherchait à comprendre ma réaction. Etait-elle si étrange ?

Enfin, il empoigna mon bras, plus fermement que ce à quoi j’aurais pu m’attendre.
« Je ne suis pas léger, Bella. Je sais pourquoi je m’enthousiasme. Mon tort est de penser que tu peux le comprendre, alors que tu n’éprouves pas ce qu’un vampire normal éprouve après sa transformation. Il faut que je t’explique. Tu es très exigeante avec toi-même, tu voudrais tout maîtriser immédiatement… mais c’est impossible. Et ce qui vient de se produire est particulièrement exceptionnel. En présence d’un être humain, totalement à sa merci, un nouveau-né ne se contrôle d’ordinaire pas. Comment y es-tu parvenue ? J’ai envie de dire que c’est parce que tu es quelqu’un d’extrêmement fort et d’unique, Bella, ce dont j’ai toujours été convaincu, mais… il se peut qu’il y ait aussi autre chose. Comme tu l’as déjà évoqué toi-même avant ta transformation, j’ai l’impression que le sang de Kaly t’aide, qu’il te stabilise, ou… te fait avancer plus vite. Il t’influence, en tout cas, et peut-être même plus que ce que je suis capable d’envisager. »
Encore une fois, les paroles d’Edward sonnaient juste. Il poursuivit :
« Tu es angoissée par ce que tu ressens, tu as peur d’être dépassée, et c’est bien normal. Mais tu dois savoir qu’habituellement un vampire met des mois, voire des années à se défaire de ce malaise et de cet état de dépendance envers le sang. Toi, on dirait que tu as déjà passé ce stade. Et ce qui est acquis est acquis, Bella. Si tu as pu te contrôler une fois, tu le referas. Il n’y a pas de retour en arrière… Tu étais si tranquille lorsque je suis entré ! J’en étais soufflé. Tu ne te rends pas compte ! J’ai tout de suite su qu’il n’y avait aucun danger, que je n’aurais pas à lutter contre toi. Tu n’as aucune idée de ce à quoi ressemble la fureur d’un nouveau-né… Kaly t’a évité ça. Nous pouvons tous les deux lui en être reconnaissants. Elle nous a d’abord donné le moyen de nous protéger des Volturi, si nous en avions besoin, après que nous ayons quitté son île, en me confiant un peu de son pouvoir pour quelque temps. Je l’ai compris lorsque nous sommes arrivés ici. Et elle nous a aussi épargné beaucoup de choses en te soignant comme elle l’a fait, j’ai l’impression. Parfois, je me demande si… elle n’avait pas tout compris. »
La main d’Edward remonta vers mon cou. Il m’attira contre lui. Devais-je vraiment me réjouir au lieu de m’en vouloir ? Kaly avait elle fait pour le mieux ? Elle en était bien capable.
« Je n’ai pas aimé ce que j’ai ressenti, Edward. Je l’ai senti tellement… fragile, manipulable… Il était séduit ! J’ai éprouvé son désir, j’en ai perçu toutes les manifestations…
_ Tu sais, Bella, soupira Edward en me caressant les cheveux, c’est ce qui grise la plupart des vampires, justement. Ce pouvoir, ce sentiment d’être irrésistible…
_ Il croyait… Je pense que mes lunettes et mon attitude en amènent certains à s’interroger à notre sujet. Peut-être serait-il préférable que nous partions, tu ne crois pas ? Et puis… je préfèrerais vraiment que nous nous éloignions, comme tu le disais, au cas où… S’il te plaît. Je ne me sens pas encore… »
Pour toute réponse, il hocha la tête et continua de me serrer contre lui. Son geste valait toutes les paroles.
« Je n’ai pas encore eu l’occasion de te le dire, reprit-il un moment plus tard, mais… tu es absolument éblouissante avec cette robe, Bella. »
S’écartant un peu de moi, il me considéra avec ravissement. Puis il saisit mes mains.
« Ne devions-nous pas sortir ? Il y a une petite clairière, dans cette forêt magnifique, où je suis pressé de te conduire… »




Je suivis Edward le long d’un sentier qui serpentait entre des arbres centenaires. Depuis que nous étions arrivés, je n’avais cessé de m’émerveiller de la beauté du lieu. Quand nous fûmes suffisamment éloignés, nous nous mîmes à courir, et cette simple course me libéra définitivement de mon amertume. Mes émotions, aussi intenses et sincèrent qu’elles étaient, passaient comme des poussières dans le vent, à présent. Elles s’allumaient en un éclair, et s’éteignaient tout aussi rapidement.
La clairière dans laquelle nous débouchâmes était un endroit paradisiaque. Elle se trouvait sur une hauteur de laquelle on pouvait admirer le paysage spectaculaire des bois. En son centre, je découvris un tapis de roses. Des roses d’un rouge sombre. Un bouquet avait été répandu sur le sol. Il y en avait des dizaines. Elles étaient parfaites. Les pétales de chacune étaient ciselés comme auraient pu l’être les facettes d’une pierre précieuse. Elles m’évoquèrent d’énormes grenats. C’était la surprise qu’Edward m’avait préparée. Je les ramasserais avant de rentrer… je voulais toutes les emporter avec moi.
De longues heures, Edward et moi demeurâmes enlacés, au milieu des fleurs.
Nous regardions, en silence, les nuages passer dans le ciel. J’étais perdue dans mes pensées. Mais, peu à peu, les sensations que j’éprouvais les brouillaient. Finalement, elles s'éteignirent.
Comme nous étions immobiles, tout parut graduellement s’agiter de plus en plus vite autour de nous. Pour la première fois, j’éprouvai vraiment la sensation singulière d’être une statue que rien ne peut plus atteindre. A la fois vide, car mon esprit s’était tu, et pleine de tout ce qui nous entourait : mouvements, senteurs, bruits. Je les ressentais comme s’ils venaient de moi-même, comme s’ils me traversaient, comme si j’étais en eux. Je n’étais plus un obstacle. J’avais l’impression de dormir, comme peuvent le faire les humains, mais en étant parfaitement éveillée.
Le temps fila à une vitesse vertigineuse.
Les nuages déferlaient comme les vagues infinies d’une mer à l’envers, la lumière passait, glissait sur nous, ondulante, déclinante. Je la sentais s’éloigner.
Derrière les sons de la nature, la rumeur de la vie proche ou lointaine, je pouvais percevoir un silence. Le grand et profond silence des choses éternelles, que mes yeux ne pouvaient appréhender, mais dont je sentais la présence puissante. Je réalisai alors qu’au-delà du mouvement, des couleurs et des formes, au-delà des clameurs et des murmures, le monde était encore plein et solide. Structuré. Stable.
Ma pensée changea de rythme, elle se dilata, et s’étendit. Infiniment. Ce sentiment m’emplit de bien-être.
La nuit vint.
Alors, nous partîmes en chasse.
Lorsque nous regagnâmes notre chambre, au petit jour, mes bras étaient serrés autour de l’énorme bouquet. Je n’avais pas voulu abandonner une seule fleur dans la clairière. J’avais l’air « d’une petite fille », apparemment. Une petite fille, hein ?... Il y avait bien longtemps que la fillette en moi avait disparu. Peut-être même n’avait-elle jamais existé. J’avais vécu tant de choses ! Il me semblait avoir cent ans, plutôt. En plus de mon propre vécu, je portais également celui d’une vampire millénaire, alors… elle était bien loin, mon enfance.
Et j’aurais pourtant cet air-là, éternellement. A vouloir protéger ce qui est beau et fragile, à vouloir préserver les instants de magie, à les porter avec moi, en moi, les garder, à veiller sur eux. A ne pas vouloir abandonner. Jamais.
Une petite fille… Edward riait.
Il fallait partir.

Quelques heures plus tard, nous avions repris la direction du Sud.
J’avais soigneusement rangé nos affaires (elles n’étaient pas très nombreuses, mais sans doute l’étaient-elles trop, déjà… pour moi, du moins), plié ma belle robe et brossé mes escarpins. Assurément, leur place n’était pas dans mon petit sac de voyage. Devant ma mine désemparée, Edward avait proposé de les envoyer à Forks, chez nous. Cela m’avait paru une bonne idée. Je ne savais pas ce qui nous attendait mais, pour autant, j’étais bien persuadée que plus nous voyagerions léger, mieux ce serait. J’éprouvais la nouvelle envie, un peu curieuse peut-être, mais très forte, de tout laisser derrière moi, de me dépouiller, de ne garder que l’essentiel… L’essentiel. J’avais eu l’impression de le comprendre, quelques heures plus tôt. Je l’avais presque atteint. Il était si proche ! J’aurais pu le saisir. Mais il était demeuré hors de ma portée.
Au fond de moi, quelque chose avait changé, cependant.
Je pensais à Kaly. Je comprenais ses choix. Je les sentais. N’était-elle pas un peu présente en moi, d’une manière dont je n’arrivais pas encore bien à cerner les effets ? Pour l’heure, nous n’avions besoin de rien. En soi, un vampire n’a jamais besoin de rien, tant qu’il ne cherche pas à se mêler aux humains, à se fondre parmi eux, à leur ressembler. Ni de moyens de paiement, ni de papiers d’identité. A quoi nous servent-ils ? Nos besoins ne sont pas monnayables et nos désirs trouvent toujours aisément leur satisfaction. Quant à notre identité… nous n’en avons plus que pour nous-mêmes. Séjourner dans des hôtels était même une fantaisie dont nous aurions pu nous passer, mais je savais qu’Edward devait préférer cela, lui qui avait depuis bien longtemps, déjà, appris à revivre comme un être humain, et je n’avais pas à lui imposer mes nouvelles pulsions de dénuement. Plus tard, lorsque nous retournerions chez nous, nous retrouverions l’usage des choses humaines. Plus tard… Et avec cela le plaisir reviendrait, celui de la futilité, qui a son charme, certainement, mais qui, à présent, n’était plus dans mes préoccupations immédiates. Je voulais me concentrer sur mon but unique : découvrir entièrement ma nouvelle nature, apprendre à la comprendre, à la maîtriser, à me connaître ou me reconnaître. Me trouver. Car je commençais à percevoir, confusément encore, que j’avais davantage à découvrir que ce que je pouvais envisager pour le moment.
Je devais parvenir à cela. Et le plus vite possible. Il y aurait encore tant à faire ensuite !
J’avais revêtu mon jean et mon t-shirt, chaussé mes baskets. Cela me permettait-il d’être davantage moi, déjà ? Ou bien cela n’avait-il, en réalité, aucune importance ? N’étais-je pas toujours moi-même, à chaque instant, en chaque occasion ? Puis j’avais préparé le paquet. Une seconde, j’avais voulu y glisser un mot, au cas où, par hasard, quelqu’un, à Forks, l’ouvrirait. Alice ou Carlisle… peut-être Renée ? Sur une petite feuille, j’avais griffonné rapidement : « Ne vous inquiétez pas. Besoin de temps. » Mais je l’avais déchiré aussitôt.
Il valait mieux ne rien dire, très certainement.
En quittant l’hôtel, Edward avait fait le nécessaire et, comme toujours, on nous avait remerciés très aimablement pour notre séjour.

Les paysages défilaient. Nous traversions des campagnes, des forêts. Parfois des villages. Nous évitions les villes. Je ne saurais dire combien de temps nous courûmes sans nous arrêter. Il ne me semblait pas que nous cherchions à aller particulièrement vite, cependant. Et le temps… le temps n’a définitivement plus aucune espèce d’importance lorsque l’on est un vampire. C’était maintenant une évidence pour moi. Je venais de le réaliser complètement la veille. Avec la disparition du sommeil, il est la notion humaine (le paramètre, plutôt) que l’on perd le plus rapidement, au profit d’autres, plus utiles pour nous, comme celles de l’orientation, par exemple, de la conscience spontanée de l’espace qui nous entoure, des directions et de la nature des lieux, qui prennent toute leur dimension. Le temps, lui, devient autre chose. Il devient différent. Nous existons hors de lui, il n’est plus une menace pour nos corps immuables, il ne régit plus nos vies, mais se montre particulièrement élastique car il est, essentiellement, subjectif. Nous pouvons l’accélérer ou le ralentir à volonté, selon l’état d’esprit dans lequel nous nous plongeons. Ne plus avoir à me préoccuper du temps, alors que j’avais passé ma vie à le faire, me donnait une impression étrange. Une sorte de manque. Parallèlement, j’avais aussi le sentiment d’être enfin libre. Absolument libre. Et j’en éprouvais un grand bonheur. Cependant, je n’oubliais pas que si j’étais passée, moi, hors de la domination du temps, échappant à son cours, d’autres, en revanche, y étaient toujours soumis. D’autres qui étaient ma principale préoccupation -malgré les quelques diversions auxquelles j’avais cédé jusqu’alors- et que je désirais retrouver au plus vite. C’étaient eux qui me portaient. Eux, pour qui je devais devenir maîtresse de moi-même, du mieux que je le pourrais. Ils avaient guidé mes choix, m’avaient toujours poussée à me dépasser, car ils étaient mon espérance, ma foi, et toutes mes raisons de continuer. Eux… si seulement ils m’acceptaient toujours…

En milieu de journée, comme nous nous trouvions dans une région très verte, aux allures de vieille montagne, particulièrement paisible et sauvage, Edward insista pour que je chasse. Je n’en éprouvais pas le besoin, mais je suivis néanmoins son conseil car il m’expliqua que le gibier allait se faire plus rare, à mesure que nous progresserions vers le continent africain.
Effectivement, comme l’après-midi touchait à sa fin, le paysage se dégagea peu à peu, la végétation se fit plus clairsemée, et la mer apparut devant nous.
La Méditerranée. Elle était d’un bleu-vert éclatant. Et si calme !
Nous étions sur une plage de sable beige et gris, un peu épais. Ce paysage, étrangement familier, réveilla en moi des souvenirs, à la fois heureux et douloureux, qui n’étaient pas les miens. Dans mon esprit, quelques images affluèrent. Je les laissai passer : je n’étais pas encore disponible pour les souvenirs de Kaly. Pourtant, je le sentais bien là, quelque part au fond de moi, le poids permanent de cette mémoire immense. Encore étrangère, mais toujours bien présente. Tout à la fois inquiétante et rassurante, si aisément accessible... Mais pour l’instant, je n’en avais ni le besoin ni le désir. Chaque chose en son temps.
Sur notre droite, une côte s’étendait, que nous allions suivre, certainement. C’était une basse montagne verte et mauve, parsemée de petits villages scintillants, qui partait, plus loin vers le Sud, se jeter dans les flots. Il n’y avait presque personne. A plusieurs mètres de nous, un couple jouait avec un chien. Ils s’éloignaient, déjà. Un petit vent doux soulevait les cheveux de ma nuque.
Je souris. La mer me tendait les bras. Son parfum piquait mes narines. Je percevais sa tendresse. Sa générosité. Comment n’avais-je jamais senti auparavant cette générosité de la mer ?
« Nous sommes presque en Espagne, annonça Edward en m’enlaçant. Demain, nous aurons rejoint le Maroc. »
J’acquiesçai. Plus le territoire dans lequel nous nous trouverions serait vaste, plus je me sentirais rassurée et libre d’éprouver totalement ce dont j’étais capable.
« Je veux me baigner, déclarai-je en caressant les bras qui m’entouraient. Je sens… j’ai très envie de nager, Edward. »
Il ne parut pas surpris.
« Tu viens avec moi ? »
Son regard balayait l’horizon. Je savais que l’idée le tentait très certainement, lui aussi. Comment résister ?
« Je vais te suivre un peu le long de la côte, répondit-il dans mon cou. Puis je te rejoindrai, d’accord ? »
Sans plus attendre, j’ôtai mes chaussures et mon jean. Il les fourra dans son sac à dos et me débarrassa du mien. Le contact du sable sous mes pieds nus était un vrai régal.
« A tout à l’heure, petit dauphin !, s’exclama-t-il avec un clin d’œil, avant de commencer à cheminer le long de la plage.

J’entrai dans l’eau. Son mouvement roulait autour de moi, balançait, tourbillonnait joyeusement. La mer était calme, pourtant. Mais son rythme naturel, sa vie, dégageait une énergie impressionnante qui me bouleversa. Je me laissai doucement fondre en elle. Un moment, je flottai, tout mon corps détendu, porté, face au ciel d’un bleu intense. L’immensité bleue m’entourait. Il me semblait que je dérivais dans l’infini. Un infini serein et aimant. Sensible et magnétique. Péniblement, je m’arrachai à ma contemplation du ciel, cherchant du regard Edward qui progressait le long du rivage.
Il allait lentement. Je lui fis un signe. Alors, il accéléra la cadence, et je fis de même. Nager n’avait jamais été aussi facile. Aussi naturel. Je glissais dans l’eau comme si j’avais été faite d’eau moi-même. Son contact pétillait sur ma peau et diffusait en moi une évidente plénitude. J’avais le sentiment d’être un enfant blotti dans le giron de sa mère. J’aurais voulu rester là, indéfiniment.
Par moments, Edward se mettait à courir, puis s’arrêtait, afin de s’assurer que je ne le perdais pas de vue.
Il avait atteint de petites falaises, bondissait de rocher en rocher, tandis que je dessinais des courbes à la crête douce des vagues. Il n’y avait plus de plage. Quelques criques s’ouvraient çà et là dans la roche. Edward descendit dans l’une d’elles. J’avais beau être loin, je voyais chacun de ses gestes. Il posa nos sacs, se défit de ses vêtements, et plongea. Alors, je plongeai moi-même à sa rencontre.
Le crépuscule donnait à la mer des teintes de saphir et d’émeraude liquides. Sous l’eau, je voyais aussi clairement qu’à l’extérieur. Presque mieux, me semblait-il… Et il n’y avait pas cette sensation de malaise, cette angoisse de l’éphémère, ce besoin d’air que j’avais connus autrefois.
J’étais bien chez moi.
Edward fondit dans ma direction à toute allure, et s’enroula autour de mon corps comme une liane tendre. En silence, je me mis à rire. Il m’embrassa. Et nous nous laissâmes couler, ballotter, entraîner doucement, dans la nuit qui tombait au-dehors, au fond des ténèbres bleutées de la mer zébrée de lueurs électriques, qui nous caressaient le corps et l’âme.

lundi 28 juin 2010

A propos des chapitres 5-6 : inspiration



Bella is hunting with Edward for the first time. She tells about what she feels being a new-born vampire. She fears she could not control herself and that she would be driven crazy by blood, but she seems to be doing fine. Her feelings and desires are intensified after she drank, even if she discovers it makes her more quiet and rational. Now she thinks she can let her love for Edward express freely, at last ! She also understands her shield is controlled by her will to do good, her mercy and compassion. Unfortunately, she also realizes she's too strong and wild, because she hurts Edward without meaning it, just like her old dream showed it was happening, on the contrary, to herself. Edward tells her it doesn't matter but she's upset she can't master her emotions. So Edward tells her how he hurted Carlisle when he was a new-born vampire and explains they will have to get away from town because her first thirst is soon going to increase. Then they go out hunting again, and Bella feels she's yet making progress. So Edward leads her to Versailles garden, where they have a romantic walk.



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Bella vient juste d'être transformée en vampire. Il me semblait donc important de faire partager son ressenti. Il ne s'agit pas que de tester sa force, ses aptitudes, mais plutôt de savoir comment on peut gérer psychologiquement une telle transformation, les conséquences que cela peut avoir, les questions qui sont soulevées par ce nouveau "mode d'existence" et les pulsions engendrées par un changement aussi radical de nature et de repères. Je vais approfondir progressivement cela au fur et à mesure de l'évolution du personnage.
J'ai voulu montrer les effets de l'attraction qu'exerce le sang sur les vampires, la manière dont leurs sensations et leur émotions peuvent être transformées ou bouleversées. A présent, Bella peut se laisser aller. Et Edward aussi. Ils partagent enfin totalement leurs existences, et certaines choses qui étaient jusqu'à présent restées inaccessibles à Bella. C'est aussi le moment d'en apprendre un peu plus au sujet d'Edward.
Peu à peu, des réponses sont données. La nature vampirique permet à Bella de mieux comprendre le fonctionnement de son don, elle va devoir apprendre à s'en servir. Elle va encore devoir beaucoup apprendre. Etant le personnage principal de l'histoire, je pense qu'elle doit demeurer "unique", par ses qualités personnelles, son vécu et ses aptitudes, plutôt que par une perfection absolue qui lui épargnerait toutes les difficultés. Ma Bella ne maîtrise pas tout d'emblée, mais elle réagit avec ce qu'elle est, face à chaque élément nouveau, et c'est cela qui me semble particulièrement intéressant.

Je n'ai pas pu résister au plaisir d'inverser la situation du "lendemain de la nuit de noces", de Révélation/ Breaking Dawn, avec Edward (c'est une petite vengeance personnelle que j'avais déjà annoncée il y a un moment... sans graves conséquences, ma foi ! lol). J'avais été assez choquée par cette "soumission" de Bella, cette volonté de l'auteur de la meurtrir, sans réelle raison à mon avis (mais il fallait bien concevoir ce bébé-hybride !). Je n'ai pas du tout aimé le côté "femme battue" que cela lui donnait. Mais j'ai tout de même voulu y faire référence, de manière à montrer que Bella a bien fait des rêves qui avaient pour but de lui faire ressentir ou comprendre certaines choses. Je me suis amusée à inverser les répliques et les réactions. Et pourquoi pas, après tout... ? J'aime bien l'idée d'une Bella forte, qui n'a pas à subir en permanence la supériorité d'Edward. Le concernant, il m'est apparu qu'il gèrerait très bien cela, avec un certain plaisir même... il s'en amuse d'ailleurs !
En tant que vampire plus ancien, Edward sait faire la différence entre ce qui est grave et ce qui ne l'est pas. Il comprend beaucoup de choses, et ses réactions, si elles peuvent parfois surprendre, ont toujours leur logique. L'essentiel, pour lui, est d'être avec Bella, de partager des choses avec elle, de lui apporter le bonheur et de veiller sur elle. Son attitude est à la fois extrêmement mature et adolescente. C'est ce qui fait son charme...


Vue du grand canal :

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Puisqu'ils sont à Paris -et qu'ils sont des vampires à qui rien n'est impossible !- il m'était inenvisageable de ne pas les conduire dans les magnifiques jardins de Versailles. Edward n'aurait jamais laissé passer une telle occasion ! On pourra en reconnaître quelques lieux, à la lecture, et rêver un peu... Pour l'avoir visité, je sais que Versailles est un endroit fascinant. Le palais, le jardin, le Trianon, le parc, etc... dégagent une impression de beauté grandiose, bien entendu, mais aussi de calme et de pureté. On est frappé par l'harmonie, la grandeur et la noblesse que l'on peut ressentir à se promener dans le domaine. J'ai imaginé que Bella et Edward pourraient en profiter, seuls -eux !- et de nuit. Un fantasme !



Le bassin du dragon :

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L'eau et la mer ayant beaucoup d'importance dans ma fiction, je tenais à évoquer plus particulièrement ces constructions. Les statues de Neptune et d'Amphitrite, ainsi que les créatures marines merveilleuses qui les entourent, sont impressionnantes par leurs proportions et leur attitude.

Le bassin de Neptune :

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A des fins pratiques (et un clin d'oeil pour Cam !) voilà même quelques plans bien faits. Dans ce chapitre, Edward et Bella cheminent du jardin principal vers le Petit Trianon.

Le jardin :

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Le hameau de la reine :

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Le temple d'Amour (avec la statue au centre) :

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Pour les amoureux des lieux historiques, voilà le site. On y trouve des vidéos très intéressantes (avec la contribution de Denis Podalydès, dites donc !) qui donnent à voir et expliquent certaines particularités.

Le site du château de Versailles

Le plan interactif



Jeune vampire, Bella est tout d'abord en proie à ses émotions et ses sensations. Comment ne pas l'être ? Comment ne pas vouloir profiter des plaisirs extraordinaires qu'ils lui offrent, effectivement ? Comment agit-on lorsque tout devient soudain possible, lorsqu'il n'y a "plus de limites" (il fallait bien que je la case, moi aussi, cette expression... elle a un côté absolument nécessaire, apparemment, c'est la formule magique !) ?
Une nouvelle quête commence, mine de rien, pour Bella. La quête d'une autre elle-même. Elle va devoir se redécouvrir, ou se découvrir enfin complètement, tout simplement. Déjà, les rêves qu'elle avait pu faire étant humaine lui semblent plus significatifs, leur message devient plus clair. Le brouillard se lève, doucement.
Mais il reste tant à apprendre, à comprendre, et à voir !...

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Statue d'Edmé Bouchardon : l'Amour a volé la massue d'Hercule dans laquelle il se taille un arc. Toute une symbolique ! Remarquez qu'il se tient sur une peau de lion (et pas n'importe quel lion, un lion fantastique, au cuir si dur qu'il était impossible de le blesser, d'après ce qu'en dit le mythe *mmmhhh, tiens tiens !*)... amusant, non ? ; )

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dimanche 27 juin 2010

VOL III _ chpt 5, chpt 6


Chapitre 5 : Premières chasses/ Hunter



Boire.
Boire est une évidence. Boire est la clé.
Celle qui ouvre toutes les portes. Tous les possibles. Tous les plaisirs.
A présent, je mesurais -et aucun être humain ne le peut réellement, seule la nature vampirique permet de le comprendre- à quel point le chant du sang agit sur nous comme un vrai sortilège et combien y résister est difficile. Contre-nature. Ou sur-naturel, plutôt, lorsqu’on a changé totalement de nature et de repères.
Après avoir bu, mon premier regard de gratitude fut pour Edward (comment avait-il su résister à l’attraction que j’avais exercée sur lui pendant des années ?) et ma première pensée admirative pour Kaly (comment parvenait-elle à surmonter le besoin ?) Besoin de s’emplir, de se fondre, de s’apaiser, de chanter soi-même le plaisir de toucher l’essence sacrée de la vie. De la prendre et la comprendre, de l’assimiler, de ne faire qu’un avec elle et ses mystères. Sa force, sa tendresse, son amour. Car, étrangement, il y a de l’amour dans ce geste… Il est l’expression de notre désir le plus intime et le plus sincère, de notre aspiration à rencontrer le divin, ou une de ses formes du moins, car c’est bien de cela qu’il s’agit, effectivement. Chacune de mes cellules surnaturelles le ressentait de manière évidente.
Boire… est une extase inconcevable.
Pour le moment, je ne pouvais imaginer plus grande félicité. Qu’est-ce qui motivait donc tellement Kaly ? Que pouvait-elle bien ressentir une fois qu’elle s’était défaite de sa soif ? De ses chaînes de sang. Car comment ne pas aimer ces liens, cette dépendance ? Pour nous, le sang peut certainement faire office de drogue si l’on ne cherche pas à se maîtriser, si l’on n’a pas ce désir ou cette volonté -au point d’être totalement obsédé par l’idée de boire, boire encore et toujours, goûter, s’abreuver, et vibrer, encore et encore… oh, je comprenais bien cela, à présent !- car ses effets sont résolument stupéfiants. Il apporte tant ! Le sang… est notre vie. Notre source. Notre but.
Et je n’osais envisager la sensation que devait procurer le sang humain…
A cette pensée, je secouai la tête, comme s’il m’était possible de la déloger par ce moyen, comme si elle avait pu tomber et se perdre durant notre course. Car nous courions à nouveau. Plus vite que jamais. Mais j’aurais pu aller encore plus vite. J’étais si légère et si forte ! L’énergie du sang que j’avais bu se mêlait à mon être, et j’allais boire encore. Nous descendions vers le Sud, comme Edward l’avait annoncé. La forêt y était plus grande, il y aurait d’autres animaux. J’allais chasser. Je boirais encore… A nouveau, j’éprouverais cette sensation indicible de ne faire qu’un avec le souffle de vie qui anime l’univers, qui insuffle sa musique en chaque chose… Sensation merveilleuse. Mais, malheureusement, éphémère.

Lorsque mes dents avaient entamé la chair de la brebis, en une seconde -si spontanément !- sans que j’aie à réfléchir à ce que je faisais, sans qu’aucune question ne vienne plus agiter ma pensée, et que j’avais senti le liquide chaud emplir ma bouche, mon corps, mon esprit même, je m’étais instantanément sentie transportée. Emerveillée, et si sereine… en accord avec moi-même. Enfin. J’avais su, alors, j’avais compris. J’avais compris la vie. J’avais pulsé à son rythme, couru avec elle, vibré, chanté avec elle. Le sang de l’animal avait baigné mon âme, l’avait bercée, l’avait lavée. J’avais bu, et tout s’était tu en moi. Tout avait disparu durant cet instant magique : toute crainte, toute douleur, tout mon passé, tout mon avenir. Je buvais, et j’étais en paix. Je ne faisais plus qu’un avec l’existence-même. Cet état de béatitude n’avait pas d’égal parmi les plus grands plaisirs qu’il m’avait été donné d’éprouver durant toute mon existence, car il était tout simplement inconcevable pour un esprit humain. Et comment ne pas souhaiter qu’il dure infiniment ?
Le flot s’était tari soudain, comme le cœur de ma proie avait cessé de battre, et je m’étais détachée d’elle, ébahie.
« Encore… », avais-je murmuré les lèvres toujours chaudes et humides du sang qui régalait mon être.
Pendant un instant, j’avais flotté, à demi hypnotisée, les yeux clos, avant que la voix caressante d’Edward ne me parvienne.
« Nous y allons, Bella. Tu vas te sentir mieux maintenant. »
Il avait détaché mes mains de la laine douce, s’était penché un peu et avait embrassé, très délicatement, un coin de ma bouche. Puis j’étais revenue à moi, plus vive et plus enthousiaste que jamais. Dans tous mes sens circulait une fantastique énergie. J’avais la sensation de pouvoir parcourir la terre entière. J’aurais presque pu voler.
Nous avions abandonné la dépouille de la brebis dans un creux du sol, la recouvrant de terre et de feuilles. La nature ferait son œuvre. Il me semblait que la vie de l’animal était passée en moi, qu’il circulait en moi, comme si je l’avais assimilé, et qu’il me donnait un peu de sa fébrilité et de sa fougue. De sa douceur, aussi, de son innocence. Je me sentais l’envie de courir librement dans le bois, de me réjouir des parfums, des lueurs, de la texture des plantes… la rugosité des troncs, le velours des feuilles, les courants d’air chauds ou frais, l’onctuosité de l’atmosphère humide et tiède. J’étais plus légère que jamais. Je ne désirais rien d’autre que voler dans la nuit…
Et boire. Boire encore.

A nouveau, nous courions, comme des ombres ailées, dans un monde qui s’était figé autour de nous. En quelques minutes, nous traversâmes une ville, suivant une avenue toute droite, au bout de laquelle un pont était jeté au-dessus d’une eau noire. Un panneau indiquait « Pont de Chennevières ». Malgré notre vitesse, aucun détail ne m’échappait. Mes yeux avaient acquis la capacité de focaliser sur un point, même lointain, et d’en déceler les contours avec autant de précision que si je me trouvais seulement à quelques centimètres. Et ceci en quelques dixièmes de seconde. Ma vue, mon ouïe, mon odorat… tous mes sens s’étaient affinés. Et je savais qu’un des buts de cette métamorphose était de faire de moi un prédateur, un prédateur parfaitement redoutable. J’étais faite pour traquer, trouver, capturer, et j’en ressentais, au plus profond de moi, l’envie. L’idée m’amusait et m’excitait comme un jeu.
Nous traversâmes un petit bois, qui ressemblait plutôt à un parc, puis ce furent à nouveau quelques routes, et un autre bois encore. Nous progressions. Nous touchions au but. Si Edward devait savoir exactement dans quelle direction se diriger, ce n’était pas mon cas. Cependant, je percevais la proximité de la nature, celle d’une grande forêt, sa vibration si particulière, son magnétisme humide et tendre, quelque part devant nous. Je sentais où aller. Et bientôt, nous nous enfonçâmes dans l’obscurité palpitante de grands arbres odorants.
Nous ne stoppâmes pas immédiatement notre course, mais nous ralentîmes notre cadence. A mes côtés, j’eus la sensation qu’Edward se détendait. Sa main se posa sur ma nuque. Je finis par m’immobiliser. La vie, je la sentais, partout autour de moi. Celle des animaux nocturnes. Leur odeur était forte, très perceptible. Plusieurs me parvenaient, très distinctement. Je comprenais qu’il devait s’agir d’animaux sauvages assez gros, mais je ne savais pas lesquels. D’une manière peut-être plus violente encore que la première fois –parce que j’en connaissais à présent la satisfaction-, ma soif me submergea d’un coup. Le désir de m’élancer, de prendre, de mordre et de boire se fit si intense que je me mis à trembler. Et il allait falloir que j’apprenne à contrôler cela ! Comment y parviendrais-je ?
« Ed-ward… »
Ma voix hoquetait comme si ma mâchoire avait été crispée de froid. Je déglutis.
« Je… j’ai très soif à nouveau. Je… je ne comprends pas.
_ C’est tout à fait normal, Bella. Il va te falloir un moment pour étancher ta première soif. Ton corps a besoin d’énergie pour s’adapter à ses nouvelles capacités. Après, elle se calmera d’elle-même.
_ Co-combien de te-temps ? »
J’avais encore hoqueté. Je me sentais ridicule et je m’en voulais de ne pas parvenir à surmonter le désir qui me vrillait les sens.
« Quelques jours, peut-être quelques semaines. Il va falloir te nourrir souvent pour commencer, tous les jours certainement, et puis cela ira rapidement mieux. Ne t’en fais pas. »
Edward comprenait très certainement mon impatience. Ses doigts glissèrent sur les contours de mon visage.
« Bella… il y a un temps pour tout.
_ Quoi ? »
Quelque chose avait bougé, à quelques mètres de nous, dans les fourrés. Un parfum de noix et de racines, mêlé à celui d’un sang clair et chaud chatouillait mes narines. Je tressaillis et me mordis les lèvres. Edward souriait. Je le voyais distinctement, malgré l’obscurité. La plus infime lumière ambiante me suffisait à distinguer les formes, à présent. Il n’y aurait plus jamais, pour moi, de nuit noire, sans doute. Plus jamais de totale obscurité. Comme je le regardais avec attention, le sourire d’Edward s’élargit encore. Les ombres sur son visage dansaient et ses yeux luisaient. Je ne comprenais pas son expression et il me semblait que je ne l’avais jamais vu sourire de cette façon.
« Que veux-tu dire, Edward ? »
Son pouce effleura mes lèvres.
« Je veux dire qu’avant de chercher à maîtriser ta soif, tu dois plutôt te préoccuper de l’apaiser. Tu dois… te laisser aller… faire ce que ton instinct te commande de faire. Et profiter du plaisir que cela te procure. »
Je n’étais pas certaine de comprendre. Je voulus froncer les sourcils, par réflexe, mais je me rendis compte que mon visage ne réagissait pas. Un peu plus loin, sur notre droite, une respiration légère déplaçait l’air de la nuit. Je me mis à humer l’odeur que la brise transportait jusqu’à moi.
« Qu’est-ce que… ?
_ C’est un chevreuil, expliqua Edward sans que j’aie besoin de finir ma question. Il y en a beaucoup ici. Il y a aussi un sanglier, de l’autre côté, qui fouille le sol. »
C’étaient donc ces animaux-là. A présent, j’étais sûre de parvenir à les reconnaître entre mille.
« Tu peux faire ce que tu veux, maintenant, Bella, acheva Edward en posant un doigt sur la pointe de mon nez. Je vais chasser avec toi. »
La surprise et la joie me saisirent. Une seconde, j’hésitai.
« Avec moi…
_ Viens ! »
Il avait disparu.
Je m’élançai à sa suite. Son parfum me guidait. Je le rattrapai bientôt, le devançai. Le chevreuil avait détalé, mais il n’était pas assez rapide.
Aucun animal ne l’était. Assurément.

Lorsque nous regagnâmes Paris, l’aube éclairait le ciel, à l’Est, d’une teinte vert pâle. J’étais repue, apaisée… mais également profondément bouleversée par cette première nuit de chasse en compagnie d’Edward. Je me sentais si calme et… si pleine d’énergie !
Le trajet du retour m’avait semblé ne durer que quelques minutes, j’étais perdue dans mes pensées, dans mes sensations, dans ce qu’Edward et moi avions partagé, j’avais le sentiment que nous n’étions réellement plus qu’un même être. Nous communions dans le silence de la nuit tandis que nous filions à la vitesse de l’éclair, comme nous avions communié, un peu plus tôt, dans le sang. Le sang nous avait unis. Nous avions pourchassé ensemble -nous savions exactement comment agir, l’un et l’autre, quand bondir, quand surprendre, quand saisir-, nous avions bu ensemble, savouré… Nous étions un vrai couple. Un bien étrange couple. Un couple de vampires. Et, malgré le trouble confus qu’une partie de moi-même éprouvait, je devais reconnaître que ce sentiment était aussi extrêmement exaltant.
Pour la première fois, j’avais vu Edward prendre possession d’une vie, je l’avais vu se nourrir, j’avais compris et partagé le plaisir que cela procurait. Un étrange plaisir, si fort, apaisant, et triste à la fois ! Il faut être vampire pour ressentir cela… Pourchasser, capturer, mordre et boire sont des instants qui procurent une telle excitation et une telle satisfaction que toute autre idée, toute autre pensée ou volonté se trouve annihilée. Mais lorsque la vie s’éteint entre nos doigts, sous nos lèvres… ce moment est un véritable déchirement. Car la conscience humaine se ranime soudain, et notre soulagement se teinte immédiatement de remord. Il ne s’agissait que de vies animales, pourtant… mais elles m’avaient déjà laissé clairement percevoir la torture qu’un vampire doué d’une morale encore « humaine » devait éprouver lorsqu’il infligeait la mort à un être humain. Le poids de la faute… et la difficulté de ne pas la commettre. Je savais à présent pourquoi Edward n’aurait jamais pu se nourrir devant moi lorsque j’étais humaine. Malgré l’amour qui nous unissait, cet acte aurait été trop impudique. Cette nuit pourtant, j’avais enfin vu Edward, dans sa vraie nature, je l’avais connu, entièrement, car il ne craignait plus de se révéler à moi. Parce que j’étais sa semblable. Et que plus rien ne nous séparait. Plus rien ne nous séparerait jamais.
Boire et chasser avec mon mari -mon amant, mon ami, mon double, mon autre moi-même !- avait été l’expérience la plus libératrice qu’il m’avait jamais été donné de vivre. Pendant quelques heures, j’avais cessé de réfléchir, j’avais glissé. Mon nouvel instinct avait pris le contrôle, il m’avait guidée. Et il était phénoménalement efficace. Sans l’avoir jamais appris, ni m’être exercée, je savais exactement quoi faire : comment sauter, à quelle hauteur, à quelle distance (et avec quelle précision !)… comment capter, le moindre bruit, le moindre mouvement, la moindre odeur. Tout mon corps en éveil, tout mon être en émoi. Mes gestes étaient vifs, justes, puissants –terriblement- et si naturellement maîtrisés, pourtant ! Je savais où me diriger, sans mots, sans hésitation, où mordre… Nous avions partagé nos proies, leurs goûts, partagé la vie, avec délectation. Et c’était une union, peut-être même meilleure que celle par laquelle nous avions partagé nos propres corps. C’était parfaitement incomparable. Mais, étrangement, cette chasse avait aussi fait naître une autre envie… Après avoir calmé ma soif, le désir m’était venu. Un désir d’une puissance incroyable, qui avait incendié progressivement chaque cellule de mon corps surnaturel. J’aurais voulu me jeter sur Edward, et profiter totalement de cette forêt, de cette nature sauvage qui n’appartenait qu’à nous. J’allais le faire… pourquoi me retenir ? Un vampire ne craint réellement plus rien, il n’y a plus de limites. Je voulais Edward… Je le voulais tellement !
Mais il m’avait signifié qu’il était temps de rentrer. Alors j’étais parvenue à me civiliser à nouveau, j’avais immédiatement retrouvé le contrôle de moi-même, avec une si grande facilité que j’en avais été surprise. Sans doute parce qu’une fois ma soif étanchée, je pouvais mieux me maîtriser, je pouvais choisir de redevenir rationnelle, et Edward avait sur le champ redémarré sa course en direction de la ville. J’avais eu le sentiment de le poursuivre, d’abord, et l’idée m’avait réjouie. Attendre… je pouvais bien attendre encore un peu. J’avais tant attendu, déjà. Nous avions couru. J’étais portée par mon bien-être, par les sensations multiples qui se bousculaient en moi, tantôt espiègles, tantôt farouches, et par la certitude qu’une fois arrivés… Car à présent, plus rien ne nous empêchait…

Devant la porte de l’hôtel, alors que mon compagnon dépliait les lunettes de soleil qu’il avait gardées dans sa poche, je fus soudain frappée par l’idée qu’après tant d’abandon, mon apparence devait être effroyable. Edward s’apprêtait à entrer, mais je cherchais mon reflet dans la vitre de la porte. Mes cheveux étaient-ils en désordre ? Collés et emmêlés, pleins de brindilles, d’herbes et de feuilles ? Avais-je l’air d’une vraie furie ? Je ne voulais pas effrayer la réceptionniste. L’état de notre chambre aurait déjà suffisamment de quoi alarmer les employés de l’hôtel. Mes vêtements devaient être tâchés ou déchirés…
« Que fais-tu ?, s’inquiéta Edward.
_ J’essaie de voir si… je suis présentable. »
Il étouffa un rire.
« Présentable ? Tu comptes aller à un bal dans l’immédiat ?
_ Très drôle. Est-ce que je suis sale ou… terrifiante ? »
Durant quelques secondes, il me considéra avec beaucoup de sérieux. Ce qui me laissait envisager le pire. Finalement, il annonça :
« Tu es… incroyablement humaine, Bella. Et je peux t’assurer que c’est particulièrement troublant pour moi. »
Pour le coup, ma bouche s’ouvrit toute seule.
« Mets quand même tes lunettes », chuchota-t-il près de ma tempe, et ses lèvres se posèrent sur mon front.
Puis il prit ma main, et m’entraîna dans le hall. La jeune femme qui nous avait souhaité une bonne soirée avait été remplacée par un homme plus âgé dont l’eau de toilette au fort parfum de vétiver paraissait avoir envahi tout l’espace. Il portait une petite moustache et avait l’air à moitié endormi. A notre passage, il nous adressa cependant un grand sourire qui nous suivit jusqu’à l’ascenseur. Bon, je ne devais pas ressembler à une sorcière.
Les miroirs qui tapissaient la cabine confirmèrent cette impression. A mon grand étonnement, je remarquai que mes joues étaient roses, et mes cheveux sombres aussi souples que si j’avais passé la nuit sagement assise dans un fauteuil. Je comprenais à présent la remarque d’Edward. J’inspectai mes chaussures. Leurs semelles étaient légèrement poussiéreuses. Mais cela n’avait rien de normal, compte tenu des kilomètres que nous avions parcourus à travers villes et bois. Si j’avais été humaine, j’aurais eu de la terre jusqu’aux genoux. Non, correction : j’aurais été entièrement recouverte de boue et au moins un bras et une de mes jambes seraient cassés. A moins que je ne sois carrément morte d’épuisement. C’était encore le plus probable ! Alors que là… Finalement, il ne serait peut-être pas si difficile de parvenir à chasser en escarpins et robe haute couture comme aurait pu le faire Alice, avec toute cette grâce innée dont elle m’avait toujours semblé capable. Avec un peu d’entraînement…
Edward poussa la porte de notre chambre.
Sans jeter un regard à l’intérieur, je l’entraînai vers le centre de la pièce encore obscure et m’enroulai autour de lui, tandis que le battant émettait un clic discret en se refermant derrière nous.
Pour mon plus grand bonheur, il ne m’opposa aucune résistance. Au contraire. En retour, il m’embrassa fiévreusement, alors que nos vêtements tombaient, les uns après les autres, sur le sol. A partir de cet instant, nous basculâmes radicalement hors du temps et du monde. Je ne vis ni le jour se lever, ni sa lumière s’intensifier ou décliner. J’étais happée par mes sensations, nouvelles, prodigieuses, et trop violentes pour que ma raison ne me soit pas complètement confisquée des heures durant.





Chapitre 6 : Dangereuse ?/ Dangerous ?



Quand, finalement, j’émergeai des brumes de mon délire, je remarquai d’abord que la lumière qui provenait de l’extérieur et dessinait des arabesques caressantes sur les draps du lit ou sur le sol devant les fenêtres, avait rosi, signe que le soir tombait doucement.
Se pouvait-il réellement que la journée entière soit passée ?
Je me sentais parfaitement calme et détendue. Heureuse. Un bras d’Edward enlaçait ma taille, me serrant contre lui. Je posai mes doigts sur la peau lisse de sa main. Je sentis sa bouche, contre ma nuque, s’étirer en un sourire. Je souris également, et fermai les yeux. Je n’avais pas sommeil. Je ne savais même plus ce que signifiait ce mot. Mais, derrière mes paupières closes, des images se formèrent. Les souvenirs des heures passées défilaient dans mon esprit, parfois précis et très nets, parfois de simples détails sans contexte clair, un regard, une impression vive, une pensée sans mots… De quoi me rendre écarlate, si cela avait encore été possible.
« Mon bouclier s’est à nouveau levé, Edward, n’est-ce pas ? »
Effectivement, je me rendais compte à présent que j’avais partagé, durant un long moment, les pensées d’Edward, comme il avait été lui-même dans les miennes. J’avais perçu l’instant où cela s’était produit, cette sensation d’étirement élastique, depuis le sommet de mon crâne vers l’extérieur, ce sentiment de confiance absolue que j’avais éprouvé, cette envie de faire du bien et de…
« Donner…, murmura Edward contre mon cou. Je crois que cela se produit quand tu veux donner. Quand tu t’oublies et que tu laisses s’exprimer ce qu’il y a de meilleur en toi. Ta générosité, ton abnégation, ta compassion… ou quelque chose du genre. Qu’en penses-tu, Bella ? »
Il avait très certainement raison. C’était bien ce que j’avais ressenti. Je me retournai vers lui, je voulais l’embrasser encore, me serrer contre lui.

Ma main se posa sur son épaule. Mais je l’en retirai aussitôt. Il y avait quelque chose… Je poussai un cri et me redressai instantanément.
« Oh, mon Dieu ! Edward ! »
Sur son épaule, une tache bleuâtre, énorme, s’était formée. Elle ressemblait à une étoile de mer, étrangement ondulée. Et il y en avait d’autres ! Violettes, roses, brunes… Sur son bras, sa poitrine, son cou.
« Quoi ? »
Son visage… sa mâchoire, sa bouche…
« Mais… tu es… blessé, Edward ! »
Pour autant, il ne réagit pas. Il demeurait si calme... Souriant. Au bout de quelques secondes, il s’étira et se frotta les membres. Ses sourcils se soulevèrent, lui donnant une expression… amusée ?
« Tu es vraiment très forte, tu sais, et c’est normal, mais… ça valait le coup, crois-moi ! Et puis, tu n’étais pas vraiment en colère… »
Etait-il en train de faire de l’humour ? Je ne voulais pas croire ce que j’étais en train de comprendre.
« Tu veux dire… ? Que c’est moi qui t’ai fait ça ? »
En y regardant de plus près… ces marques avaient bien la forme de doigts ! Sur son bras, je pouvais compter les phalanges. Sur son cou, un pouce avait laissé son empreinte ourlée de vert.
« Quelle horreur ! »
J’étais terrifiée et effondrée. Mais Edward posa une main sur ma joue.
« Ne t’inquiète pas. Je vais bien. Tout ça aura disparu dans quelques minutes. Je n’ai pas… mal, si c’est ce qui te perturbe.
_ Mais enfin, Edward… ! Je suis un monstre. »
A ma grande stupéfaction, il éclata d’un rire sonore et déconcertant. Puis il passa sa langue sur une petite entaille rose de sa lèvre inférieure. Je la vis se refermer presque aussitôt et il se renfonça dans son oreiller.
« Ça… je l’ai déjà entendu quelque part. C’est ma réplique ! Honnêtement, des monstres comme ça… j’ai toujours rêvé d’en avoir dans mes placards.
_ Oh, Edward… Comment peux-tu… ? Tu es content, en plus ! »
J’aurais voulu me gifler, me glisser dans un trou et disparaître. Je cachai mon visage dans mes mains en soupirant de désespoir -car j’étais totalement et violemment désespérée, soudain, ma gorge était si serrée que je ne pouvais même plus déglutir, une émotion de douleur intense m’écrasait-, mais il rit de plus belle et m’attira contre lui.
Je ne savais pas si je devais le laisser faire ou protester.
« Je ne me suis rendu compte de rien…
_ Très franchement, Bella, moi non plus.
_ Mais… tu aurais dû me dire si… je te serrais trop fort, ou… »
Il soupira.
« Cesse de te faire des reproches. Nos blessures… n’ont rien à voir avec ce que peuvent être les blessures humaines, Bella. Tu réagis encore avec ce que tu connais… Mais tu verras : il n’y a pas de réelle douleur, et rien n’est grave. Il en faut beaucoup plus pour meurtrir un vampire. Tellement plus ! »
Peut-être disait-il vrai. Néanmoins, je m’en voulais profondément.
« Pourtant, tu ne m’avais pas laissé te toucher, hier, quand je me suis réveillée. Tu disais que j’allais te briser les os… et là…
_ Tu ne t’étais pas encore nourrie. Je n’étais pas sûr que ce soit très raisonnable. Après avoir bu, les nouveaux-nés se contrôlent mieux, ils sont moins dominés par leurs émotions ou leurs appétits. S’ils éprouvent le manque… ils peuvent devenir extrêmement dangereux, sans forcément le vouloir. Et même avec leurs proches. »
Edward marqua une pause.
« J’ai blessé Carlisle, quand il m’a changé, avoua-t-il tout à coup d’une voix un peu assourdie. Il… il restait toujours près de moi, afin d’anticiper ma soif et de m’éviter de croiser des humains dont le sang aurait pu m’attirer irrépressiblement. Et c’est quand il a cru pouvoir relâcher sa vigilance, après que je l’aie supplié pour la millième fois de me faire confiance, que cela s’est produit. Il a voulu me retenir. Nous nous sommes battus. Je lui ai cassé la mâchoire, broyé la clavicule… il s’en est fallu de peu que je ne lui arrache un bras. Je ne pouvais plus m’arrêter. Ma colère et mon désir de boire m’aveuglaient. Mais il a tenu bon, et, finalement, c’est ma culpabilité qui m’a arrêté. »
Il sourit, un peu tristement me sembla-t-il, avant de reprendre :
« Ma culpabilité… tu vois, elle a ses avantages. J’ai soudain réalisé ce que j’étais en train de faire, et tout s’est évanoui. Toute ma frustration, toute ma fureur. Encore aujourd’hui, je peux revoir ce moment aussi clairement que s’il venait de se produire, et je m’en veux toujours. Je sais que mon père m’a pardonné depuis longtemps. Il ne m’a même jamais reproché ce qui s’était passé. Mais moi… moi… j’ai eu beaucoup de mal à me regarder en face après ça. J’avais tellement honte ! »
Ma joue était appuyée contre la poitrine vibrante d’Edward. Quand il se tut, son corps se fit soudain parfaitement immobile et silencieux.
« C’est pour ça que tu es parti ? »
La douce vibration reprit.
« En partie. Mais je ne l’ai quitté que bien plus tard. Quand j’ai été réellement sûr de moi. Je devais… trouver des réponses aussi. Les trouver par moi-même. »
Je voulus passer précautionneusement mes doigts sur la marque qu’avait laissée ma main sur le haut de son bras. Mais elle avait déjà entièrement disparu. Pourtant, comment pourrais-je envisager de le toucher encore, si je devais à nouveau lui infliger de telles contusions ?
« Je suis vraiment désolée, Edward.
_ J’en ai autant à mon actif, souffla-t-il, et cela aurait pu être bien plus grave. Lorsque tu étais humaine, je t’ai fait du mal… Alors que j’aurais dû être capable de me contrôler, moi. »

Un instant, je me demandai si la maîtrise de mes gestes lorsque j’étais en proie à des émotions vives serait longue à venir. Cette idée m’inquiétait de plus en plus. Tant que je ne serais pas capable de le faire, je serais un danger pour tous ceux qui m’entouraient. Vampires ou humains… enfants… Impossible de rentrer à Forks jusqu’à-ce que je m’appartienne à moi-même. Que je m’appartienne totalement. Et à chaque seconde.
Je ne me sentais pas si imprévisible ou menaçante, pourtant. A vrai dire, je n’avais aucune idée de ce dont j’étais capable, car je ne m’apercevais même pas du moment où la domination que j’exerçais sur mes envies m’échappait. Je soufflai :
« J’ai vraiment eu l’impression… d’être engloutie par ce que je ressentais. Je ne pouvais rien retenir… je n’avais plus de volonté et je ne me rendais pas compte de ce que je faisais… »
Edward poussa un autre soupir, mais très différent cette fois.
« Mmhhh… merveilleux ! En ce qui me concerne, mes souvenirs sont très clairs… et je ne manquerai pas de te rappeler certaines choses à l’occasion… »
Il plaisantait. Mais je n’avais plus le cœur aussi léger que quelques instants plus tôt.
Nous restâmes un moment enlacés et silencieux. Je m’abîmai dans mes pensées. Autour de nous, la lumière déclinait doucement.
Finalement, Edward déclara :
« Nous allons partir. Il faut que nous nous éloignions des villes pendant quelque temps. Le temps qu’il faudra. Mais avant, je veux t’emmener voir quelque chose… »
Je me détachai de lui et le considérai attentivement, encore inquiète de redécouvrir les marques de ma brutalité. Mais son corps était à nouveau uniformément pâle et lisse. Parfait. Il semblait impossible qu'il ait jamais pu en être autrement. Je caressai du bout d'un doigt sa peau soyeuse et pourtant si incroyablement solide... Cependant, cette brève vision que j’avais pu avoir, d’un Edward couvert d’ecchymoses –et par ma faute !-, ne s’effacerait certainement jamais de ma mémoire.
« Pourquoi devrions-nous quitter la ville ? », demandai-je avec étonnement.
Edward fronça légèrement les sourcils.
« Il y a… des phases, Bella. Je voudrais que nous soyons loin avant que cela se produise.
_ Que veux-tu dire ?
_ Maintenant que tu as goûté au sang, il va falloir que tu apprennes à contrôler tes envies, et il y a toujours une période où elles deviennent particulièrement infernales. Ton organisme a besoin d’un certain temps d’adaptation avant de se stabiliser. Arriver à supporter le manque, à réfréner ses pulsions lorsque la soif survient, est le plus difficile.
_ Ah… ? »
De toute évidence, je n’étais pas au bout de mes peines.
« As-tu déjà envie de te nourrir ? Nous n’allons pas tarder à sortir. »
Non, je ne me sentais pas particulièrement… en manque. Et les paroles d’Edward me donnaient vraiment le sentiment d’être une droguée en phase de sevrage ! Je secouai la tête.
« Où veux-tu que nous allions ? »
Pour toute réponse, Edward se jeta sur moi et déposa une pluie de petits baisers sur mon épaule.
« Ça… c’est un secret. Mais je suis sûr que tu vas adorer ! »

Effectivement, l’endroit était à couper le souffle.
Contrairement à toute attente, quitter l’hôtel et traverser Paris s’était avéré pour moi moins difficile que la veille. L’odeur des humains que j’avais pu croiser m’avait bien attirée, pourtant, mais elle ne m’avait pas bouleversée au point que je craigne de ne pas parvenir à y résister comme cela avait pu être le cas lorsque nous nous étions retrouvés avec cet homme, dans l’ascenseur… Mais il était vrai que nous ne nous étions pas attardés en leur présence. Comme la nuit précédente cependant, Edward n’avait pas lâché ma main jusqu’à ce que nous nous retrouvions seuls, dans la nature. Cette fois-ci, il m’avait conduite à l’Ouest. Nous avions suivi la Seine, laissé derrière nous la Tour Eiffel illuminée dans la douce nuit naissante, filé jusqu’au bout du Quai du Point du Jour (un si joli nom !), traversé plusieurs bois pour descendre, encore, vers une forêt plus vaste. Là, nous avions chassé. Mon instinct s’était réveillé tout à coup, lorsque Edward avait enfin libéré ma main et que j’avais senti la présence stimulante des animaux qui seraient mes proies pour cette deuxième nuit de ma nouvelle existence. Des biches. Souples, gracieuses et vives. Leur délicatesse avait empli mon être, leur fougue s’était emparée de mon âme. Encore une fois, même s’il n’en éprouvait pas forcément le besoin, pour le plaisir et peut-être même davantage pour me rendre les choses plus faciles, Edward avait traqué avec moi, et nous avions partagé le ravissement ambigu de prendre la vie afin d’apaiser la nôtre.
Quand ma soif fut étanchée, quelques heures avant le lever du jour, mon mari avait repris ma main dans la sienne, non plus pour me protéger de moi-même, m’entraîner pour me préserver de la tentation de me retourner sur des êtres qui ne m’étaient pas destinés, mais tendrement et malicieusement, comme un enfant qui veut conduire quelqu’un qu’il aime vers la surprise qu’il lui a préparée. Je m’étais laissé guider alors, à travers la nuit tiède. De nouveaux bois avaient défilé, d’autres villes. Nous étions remontés vers Paris, mais par un autre chemin. Notre course s’était achevée devant un bassin magnifique, au centre duquel émergeait la statue claire d’un dragon, entouré d’enfants à cheval sur des cygnes et quelques autres créatures marines, à ce qu’il me semblait. Juste à sa droite, en contrebas, se trouvait un autre bassin, immense, à l’extrémité duquel était assis un imposant Neptune antique armé d’un trident. D’autres sculptures l’entouraient, un homme et deux femmes, ainsi que des animaux fabuleux… Nous étions dans un parc extraordinaire, merveilleusement organisé, équilibré, parfait et si… serein. Je demeurai bouche bée. Quel spectacle magnifique ! Et qui n’appartenait qu’à nous, car l’endroit était désert. Me retournant, je découvris un château somptueux.
« Mais… Edward… nous sommes… à Versailles ? »
Sans y être jamais venue, il m’était impossible de ne pas reconnaître ce lieu unique. Et il était encore plus impressionnant que ce que j’avais pu en voir ou imaginer à son sujet !
Edward souriait. Sa lèvre retroussée s’étira encore davantage vers ses pommettes.
« Tu aimes ?
_ Si j’aime ? Mais c’est sublime !
_ J’ai pensé qu’une petite promenade dans ces jardins, à pas lents, pour changer, serait une bonne manière de finir la nuit après notre course. Qu’en penses-tu ? »
D’un bond, je fus dans ses bras.
« J’en pense que j’adore ton idée, Edward…
_ Tu vois… j’en étais sûr. »
Je me mis à rire.
« En fait, tu avais peu de chances de te tromper… ce n’était pas trop difficile.
_ On ne sait jamais… Je crois avoir compris que tu n’appréciais pas forcément le luxe… »
Riant toujours, je levai les yeux au ciel. Je voulus l’embrasser, mon cœur battait dans ma gorge, tout mon corps palpitait de joie. Mais je n’achevai pas mon geste.
« Bella ? Qu’y a-t-il ? »
Je m’écartai d’un pas. Stupéfaite de la brusquerie avec laquelle mes émotions éclataient et se déployaient en une fraction de seconde, je trouvai quand même la force de ne pas y céder tout à fait. Edward s’avança, posa une main sur mon épaule.
« Bella ?... »
Je frissonnai de désir. Non… je pouvais maîtriser cela. Je le devais… Et quelle douleur soudain ! Quelle frustration extrême ! Quel dommage… il serait si doux de se laisser aller encore… J’en avais tellement envie !

Je souris de mon mieux. Le plus tendrement que je pus.
« Rien… Je… je repensais à ce rêve que j’ai fait… il y a longtemps. »
Edward planta un regard mi-hésitant mi-inquisiteur, dans le mien. De ma gorge à mes jambes, le désir se répandit, crépitant à la façon de petites étincelles brûlantes. Je ne saurais jamais résister au regard d’Edward, décidément ! Alors, je saisis sa main, me détournant un peu de lui.
« Dans ce rêve, je m’étais vue… je n’ai jamais trouvé l’intérêt de te parler de ça avant, mais… le lendemain de notre nuit de noces, dans l’île d’Esmé, je… tu étais bouleversé parce que j’étais couverte de bleus. »
Les doigts d’Edward se refermèrent sur ma main. Sa voix caressante se fit plus grave.
« De quoi parles-tu, Bella ? Qu’essaies-tu de dire ? »
Il avait raison. Autant être claire.
« Dans mon rêve, j’étais humaine, et nous avions pourtant fait l’amour, parce que je te l’avais demandé et que tu me l’avais promis. Cela, je te l’ai déjà dit. Tu avais fait en sorte de te contrôler mais… j’avais des marques sur tout le corps. Des courbatures. Je n’avais pas mal, cependant. J’étais heureuse. Et voilà… voilà que c’est l’inverse qui se produit ! »
Edward m’attira doucement contre lui. Ses bras encerclèrent ma taille. Il souriait.
« Ton rêve t’en avait beaucoup dit. Mais les choses étaient un peu décalées, sans doute, comme Carlisle nous l’a expliqué alors. Tu vois… tu sais que je n’ai pas à te craindre. Que je ne souffre pas. Que je suis heureux. Mes émotions sont celles que toi, tu avais ressenties. C’est donc cela, Bella ? Tu refuses de me toucher maintenant ? Tu t’inquiètes pour moi ? Tu crains de me faire du mal ? Très franchement… »
Mon visage touchait presque sa poitrine. J’avais envie d’y poser la joue. De me laisser bercer par son parfum, submerger par sa tendresse. Mes lèvres effleurèrent le creux de sa gorge. Je fermai les yeux.
« Je comprends juste ce que tu ressentais alors, Edward. Ta colère… ton dégoût. Ta honte… »
Le plus doucement que je pus, je me dégageai de son étreinte, mais conservai mes doigts croisés dans les siens. Encore une fois, je souris avec l’air le plus léger que je parvins à me composer. Etait-il crédible ? Je n’en savais rien.
« Marchons, Edward. J’ai très envie de faire cette promenade. Ce parc est plus beau qu’un rêve. »
Un peu hésitant, il ne répondit mot, mais m’emboîta le pas.

Nous avançâmes dans une allée, descendîmes quelques marches de pierre, contournâmes d’autres bassins. Puis, quand nous nous fûmes un peu éloignés du jardin principal, nous poursuivîmes sur la droite, à travers des buissons fleuris et des arbres hauts. Tout, dans ce lieu, respirait la magnificence des siècles révolus. Le temps… le temps passé. Je m’aperçus alors que la notion du temps me semblait un peu étrangère tout à coup. Il y avait toujours des jours et des nuits, mais il n’y avait plus ni fatigue ni inconscience. Il n’y avait plus d’heures dans mon existence. Il n’y avait que des moments. Les siècles allaient passer, et je demeurerais là, moi aussi, comme un monument. C’était cela, être un vampire. Demeurer. Alors que tout passerait et disparaîtrait, nous perdurerions. Enfin, peut-être… si notre destin nous le permettait.
Comme nous approchions d’une petite construction ronde semblable à un temple, Edward me tira de mes pensées en venant soudain se positionner devant moi.
« Je ne veux pas que tu cherches à t’éloigner de moi, Bella, lâcha-t-il dans un souffle en emprisonnant mon menton entre son pouce et son index. Je ne le supporterai pas. Je ne veux plus qu’il y ait de barrières, il y en a trop eu ! »
Je comprenais sa réaction. J’avais éprouvé la même chose tant de fois ! Son pouce suivit le contour de ma lèvre inférieure.
« Nous sommes de la même espèce, à présent, Bella. Et tu es mon épouse. Nous sommes l’un à l’autre et, si tu es à moi, je t’appartiens également… Avec un bonheur immense. »
Je n’eus pas le temps de considérer davantage l’émotion de son regard profond, ni de réfléchir à ce qu’il voulait me faire comprendre par ses paroles. Les mains d’Edward se glissèrent derrière ma nuque. Il se pencha sur moi, et m’embrassa.
Il embrassa ma bouche, mes paupières closes, ma gorge. Il me provoquait. Et il le faisait exprès.
Bientôt, sans que je sache précisément quand ou comment, ma volonté –à nouveau !- capitula.

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !