lundi 11 janvier 2010

A propos des chapitres 14-15-16-17-18-19-20 : inspiration


from http://maniatwilight.files.wordpress.com/2009/10/demetri-alice-cullen-new-moon1.jpg

Bella and Edward run from Demetri and Alec who are chasing them. They take a flight from Bucarest to Ankara, then to Bombay. The Volturi are getting closer. Bella is exhausted, she realizes she can't escape forever and feels she'll have to die. She asks Edward to kill her before Alec could do it. Edward refuses, he's determined to do whatever he can to save her. Alice sees where Demetri and Alec are. She tells Edward Demetri is waiting for them in Colombo (Sri Lanka) where they are about to land, so they change their way to Male. Unfortunately, Alec is there, for he and Demetri separated. He's about to catch Bella and Edward. They escape by sea, but Alec follows them. He confuses Edward, using his hability to cut off senses, and their boat crashes on an island. When Bella wakes, she understands they are on the island she dreamt about long ago. There, they meet an old female vampire called Kaly who has a very powerful hability of persuasion. The Volturi are not allowed to come to her island. She tells Edward and Bella her story. Bella feels Kaly is a benevolent vampire. She knows a lot of myths about humans, vampires and magus origins. She explains vampires were sea creatures first, that got more and more perverted by their thirst of human blood, until they were defeated by humans and magus who destroyed their big city. She tells them how she learned to tame her vampire nature, accept and use it. Edward is very moved by her telling, but he can't really believe what she says. So she offers to show him their mythic city vestiges, in the depths of the ocean. Bella keeps on her own, waiting for their coming back. She feels Edward's fascinated by what Kaly teaches him and she's worried about their relationship.


from http://img268.imageshack.us/img268/9637/twilightposterkapakafi.jpg

La fuite autour du monde de Bella et Edward se poursuit. La menace que représentent Démétri et Alec se rapproche. A se stade de l'histoire, il m'est apparu évident que Bella se retrouve à bout de forces et qu'elle envisage de devoir finalement mourir. Alec désire venger sa soeur, il ne s'estimera satisfait que si Bella ou Edward disparaissent. Ainsi, elle pense permettre à ses enfants et à Edward de vivre en paix. Ce qu'elle souhaite est à la fois tragique et louable, mais Edward ne peut se résoudre à l'accepter. Leur amour ne pourrait pas endurer une séparation définitive. Comme Roméo et Juliette -si chers à S. M.- on comprend que si l'un d'eux quitte ce monde, l'autre ne tardera pas à le suivre.
La très belle chanson de Death Cab for Cutie, qui m'a inspirée depuis longtemps maintenant !, a donc enfin trouvé sa place ici. Malgré son air simple et anodin, elle traite d'un sujet particulièrement grave et choquant. Elle est unique en son genre ! Et traduit bien les sentiments des personnages à ce moment précis.

Le don d'Alec est particulièrement fascinant. Tout comme celui de sa soeur, d'ailleurs. Avec Démétri, il forment un duo de prédateurs-traqueurs auquel il paraît difficile d'échapper, même grâce au pouvoir visionnaire d'Alice. Bella et Edward se retrouvent dans une impasse, ils s'enfoncent dans la nuit.
Après le voyage dans l'espace qu'il me paraissait nécessaire de leur faire accomplir, les voilà prêts pour un voyage dans le temps...





J'avais beaucoup regretté que la saga ne présente aucun personnage de vampire qui soit assez ancien pour apprendre et expliquer plus précisément des choses à tous ces personnages en quête de leur propre raison d'exister. Edward, comme Rosalie, souffre beaucoup de ce qu'il est. Il est torturé, il se sent maudit, il est persuadé d'avoir perdu son âme... Il est croyant, apparemment. Mais ses interrogations à ce sujet n'ont jamais été exploitées ni approfondies. De la même manière, les choix que S. M. a faits concernant la nature particulière de ses vampires, leur venin, leur peau qui scintille à la lumière du soleil... n'ont jamais été justifiés. Cela m'est pourtant apparu impossible à éviter, si l'on veut y apporter du crédit, et faire que ces choix apparaissent sérieux et non pas seulement de pures fantaisies.
C'est également l'occasion de s'interroger sur l'origine des Transformateurs quileutes. Elle m'est apparue évidente.
En y réfléchissant, on trouve de quoi faire, finalement ! Les mythes du monde entier sont d'inépuisables sources d'inspiration. L'Histoire, également...

Kaly est un vampire très particulier. De par son âge très impressionnant, déjà. Mais pourquoi un être immortel ne pourrait-il pas exister durant des millénaires ? L'histoire de l'humanité est bien plus ancienne encore, et il est tellement intéressant de faire revivre ce passé oublié et mystérieux !
Son don, aussi, fait d'elle un vampire unique. Je trouve intéressant que chaque vampire possédant un pouvoir particulier se retrouve un jour face à un autre qui lui résiste ou arrive à le contourner. C'est ici le cas : elle parvient à manipuler Bella, malgré son bouclier, parce qu'elle n'a pas d'action sur l'esprit, sans pour autant parvenir à lire ses pensées (je ne veux pas faire de Bella un personnage tout puissant, capable de résister à tout et à tous. Chez S. M., elle devient vraiment le vampire ultime, à laquelle personne ne peut s'opposer. Elle est un nouveau-né qui se contrôle parfaitement d'emblée... cela me semble trop. Elle peut rester unique, sans pour autant être une sorte de perfection absolue).

Pour le moment, je ne lui donne pas de visage. Son corps tatoué, et sa chevelure extraordinaire, sont ce qui la caractérise le mieux.
Même si elle ne le précise pas, on comprend qu'elle doit être née entre -1800 et -1600 environ. La culture nuragique nous a laissé des vestiges en Sardaigne. De plus, dans son récit, elle fait référence à une éruption volcanique qui aurait ravagé la Crète où vivaient ses enfants et leurs descendants. Cette éruption -celle du volcan de l'île de Kallisté qui a ensuite donné naissance à l'archipel de Santorin- a eu lieu vers -1600 et elle est probablement à l'origine du déclin de la civilisation minoenne.
Kaly explique également qu'elle est une Sherdane. Ce nom fait référence à un peuple, les "princes de Dan" (d'après la déesse Dana), qui se seraient effectivement installés en Sardaigne, île à laquelle ils auraient donné son nom. Tout ceci fait partie de sources historiques... et mythologiques, d'après certains récits d'Homère ou de Diodore.
Plus particulièrement, lorsque Kaly évoque la création du monde, qu'elle nomme les "esprits" qui seraient à l'origine des mages et des vampires, on peut reconnaître d'autres références à des textes sacrés (Bible, Coran, le Talmud, et d'autres...) comme par exemple le livre d'Hénoch, ou encore la kabbale, ainsi que de nombreux autres textes plus ou moins ésotériques. Ceci pour dire que je n'ai rien inventé... j'ai simplement laissé mon imagination tisser des liens, d'une légende à l'autre, et c'est ce qui rend l'histoire plus troublante encore !

Voici, pour illustrer les personnages de Labryos et de Kûsh, quelques portraits qui m'ont inspirée.

Labryos : il est le ravi de Kaly, elle a été sa cantante/ son enchanteresse (mots qui sont formés à partir de celui du "chant", qui revêt dans cette histoire une grande importance). Son comportement, aux antipodes de celui auquel la saga avait pu nous habituer, est violent et ses moeurs sont très différentes de celles des vampires de Twilight. Il est un vampire de l'antiquité, et il lui ressemble. Cela m'a semblé nécessaire de montrer progressivement "autre chose" que le petit monde dans lequel l'histoire était enfermée jusqu'à présent. Bella est loin de Forks, il est temps qu'elle découvre la vie.

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Kûsh : c'est un vampire très mystérieux. Mystique, ancien, probablement sumérien. Il incarne la figure ancestrale des vampires qui auraient été considérés comme des divinités par les hommes, et en auraient abusé. J'ai voulu faire de lui un personnage à la fois inquiétant et magique. Insaisissable.

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L'île.
Il y a tant à imaginer autour de ce lieu géographique... Et quel bonheur en ces mois d'hiver !
C'est un refuge, protecteur. C'est aussi l'image de la solitude. Celle de Kaly.

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Son île fait également écho à l'île disparue, celle du volcan d'où l'on comprend que Kaly tire peut-être son nom, ou encore -bien entendu- au mythe de l'Atlantide, et j'ai voulu qu'on puisse imaginer qu'elle était cette cité engloutie des vampires dont parle le personnage. Là où elle conduit Edward à la fin du chapitre. L'Atlantide, qu'on ne sait toujours pas où situer, aurait été détruite il y a environ 10000 ans. Un chiffre qui laisse rêveur... et de quoi tout imaginer !

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Sur cette île, il n'y a plus ni espace, ni temps. La musique de Dead Can Dance porte cette impression à merveille. Il s'agit de se laisser glisser, sans plus rien retenir, vers cet "ailleurs", qui est l'essence-même de la dernière partie de cette fiction.

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Les sentiments de Bella évoluent encore ici. Elle prend conscience, pour la première fois peut-être, réellement en tout cas, de la différence qu'il y a entre sa nature et celle d'Edward. Elle ressent tout ce qui les sépare. C'est pour cette raison qu'elle éprouve une sorte de jalousie. Même si elle est elle-même captivée par cet énigmatique personnage qui intrigue et impose le respect, Bella craint que Kaly n'ait la capacité d'apporter à Edward tout ce qui lui manque : des réponses, de la nouveauté... qu'elle ne puisse le sortir définitivement de ce mal-être et de cette torture qui le caractérisent et qui font qu'il aime Bella de manière aussi absolue. Le personnage d'Edward a besoin d'évoluer, tout comme Bella a progressé au fil de l'histoire.
Leur amour saura-t-il seulement y résister ?

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dimanche 10 janvier 2010

VOL II _ chpt 14, chpt 15, chpt 16, chpt 17, chpt 18, chpt 19, chpt 20



Chapitre 14 : Fuite/ Flight


A l’aéroport, je vis Edward regarder nerveusement autour de nous à plusieurs reprises. Devais-je m’attendre, d’une seconde à l’autre, à voir surgir devant nous ceux qui nous pourchassaient ? Au détour d’une allée, alors que je m’y attendrais le moins… Faudrait-il courir ? Je n’en aurais sans doute pas la force. Edward, lui, pourrait disparaître en un instant, s’il le fallait. Et j’espérais qu’il n’hésiterait pas à le faire. Moi, j’avais conscience de me traîner. Je me sentais à bout. Molle et vide. J’avais le sentiment d’être un poids. Mon angoisse me lançait, comme une douleur sourde au fond de ma poitrine. J’avais peur pour Edward. Peut-être valait-il effectivement mieux pour lui qu’il m’abandonne. Qu’allions-nous devenir ? Où pourrions-nous nous cacher ? Jusqu’à quand, encore, faudrait-il fuir ?
Après qu’il eut pris les billets, nous nous dirigeâmes vers la salle d’embarquement.
« L’avion décolle dans une demi-heure, annonça-t-il, nous avons de la chance : il restait des places.
_ Où allons-nous ?
_ Ankara. Bella… tu… tu te sens bien ?
_ Pourquoi ? »
Il avait tendu sa main et caressait ma joue.
« Tu es si pâle…
_ Je suis très fatiguée, Edward, mais… ça va aller.
_ Oh, mon pauvre amour… Je suis tellement désolé de ce que tu as dû vivre… de ne pas avoir été là, avec toi, pour te protéger et veiller sur toi ! »
Il me serrait contre lui. Je sentais sa poitrine vibrer à chacune de ses paroles. J’aurais tant voulu fermer les yeux et m’abandonner.
« Tu veilles assez sur moi, Edward, soufflai-je. C’est de ma faute. Je ne suis pas capable de m’en sortir toute seule. Tu vois, je suis une vraie…
_ Bella, me coupa-t-il en faisant glisser ses mains autour de mon visage et en plongeant son regard dans le mien, tout ce qui arrive est uniquement de ma faute. C’est parce que je t’ai entraînée dans mon monde que nous en sommes là. Si je n’étais pas entré dans ta vie, rien de tout cela ne serait arrivé. J’en ai bien conscience. Ne te fais aucun reproche. Tu as assez de courage et de force, crois-moi. C’est moi qui ai fait de ta vie un enfer. »
Je voulais protester, lui dire que, sans lui, il n’y aurait pas eu, il n’y avait pas de vie pour moi, mais il m’attira à nouveau contre lui et son parfum me submergea. Je le sentais, avec beaucoup plus d’intensité que d’ordinaire. Peut-être parce que nous étions restés longtemps séparés, peut-être à cause de ma fatigue, de ma faim et de mon manque de sommeil… Son odeur envahissait ma bouche, mon esprit, chaque pore de ma peau. Ses doigts autour de ma nuque déclenchèrent un frisson qui courut le long de mon dos et descendit dans mes jambes. Elles ployèrent.
« Bella !
_ Je vais… bien, assurai-je. Il faut que je dorme. Beaucoup. Que je mange aussi. »
Je levai les yeux vers Edward. Il paraissait inquiet. Sans doute n’aurais-je pas le temps ou la possibilité de me reposer avant longtemps. Quand pourrais-je simplement prendre une douche ou m’allonger ? Je ne pourrais le suivre toujours dans sa course, je n’y survivrais pas.
Edward dut comprendre ma pensée -ou bien était-ce à cause de l’expression de mon visage ?- car il expliqua :
« Tu vas manger et dormir dans l’avion. Je vais faire en sorte de prendre un vol plus long ensuite, cela te laissera le temps de te reposer. Il faut juste que nous nous éloignions… Après, cela ira mieux. »
Je souris. Oui. Tout irait mieux. Dès que j’aurais retrouvé un peu d’énergie.
« Bien sûr », soufflai-je.
Peu après le décollage, j’appuyai mon front contre l’épaule d’Edward. Mes paupières étaient si lourdes, ma nuque si douloureuse… Je m’endormis avant même de m’en apercevoir et il me sembla que quelques secondes, seulement, étaient passées lorsque la voix d’Edward murmura à mon oreille que nous n’allions pas tarder à atterrir. Je dévorai un petit sandwich et une barre de céréales qu’il avait pris pour moi dans l’avion pendant qu’il retirait, à l’aéroport d’Ankara, nos billets pour une nouvelle destination et écoutait attentivement les messages laissés sur son téléphone portable. A nouveau, les sourcils froncés, il se remit à scruter le hall dans lequel nous nous trouvions, les écrans annonçant les arrivées et les départs, tout son corps tendu et aux aguets. Devant son attitude, mon estomac se noua mais je me forçai à demander :
« Où sont-ils ?
_ Alice les a vus en Roumanie, près d’une vieille église à la façade peinte. Là où je t’ai retrouvée, j’imagine… Ils n’étaient pas sur le même vol que nous, mais je suppose qu’ils arrivent par le prochain et… il atterrit un peu avant que le nôtre ne décolle. Malheureusement, il n’y en a pas d’autre. Ecoute, Bella, voilà ce que… »
Il s’interrompit. J’avais levé un index. Mon estomac avait soudain refusé d’accepter ce que je venais d’avaler. C’en était trop pour mon corps épuisé : j’allais vomir. Je me précipitai en direction des toilettes. Je n’avais pas ressenti un tel malaise depuis bien longtemps. Il me sembla qu’avec lui, tout refluait. Mes pires souvenirs, les images horribles qui peuplaient ma mémoire mais que j’avais réussi à enfouir, à faire taire, à effacer presque, toutes ces sensations trop fortes, insupportables… Chacune menaçait de ressurgir, de m’engloutir et, en définitive, de m’anéantir, à ce moment précis où la porte des toilettes se refermait sur moi.
Quand les contractions de mon estomac eurent cessé et que ma terreur se fut, pour un instant, évanouie, j’essuyai mes joues inondées de larmes et m’avançai vers un des lavabos alignés devant un immense miroir qui couvrait toute la longueur du mur. J’hésitai avant de rencontrer le regard de mon reflet, mais il me fallait y faire face, comme il me fallait faire face à la réalité de mon existence. Mes yeux étaient rouges et gonflés, très cernés d’une ombre grise, presque violette. Mon front était en sueur, mes joues creuses, livides, mes cheveux gras et en désordre. Un fantôme. Voilà ce que j’étais devenue. Je ne ressemblais plus vraiment à un être humain, à un être… vivant. Comment Edward pouvait-il toujours aimer un fantôme ? Je devais retrouver du courage. Je devais retrouver ma dignité et mon humanité. Si la mort venait à notre rencontre, il fallait qu’elle me trouve digne, digne et forte de l’amour que j’avais éprouvé pour tous ceux qui avaient compté et comptaient toujours dans ma vie. Ils étaient les seuls pour qui je devais avoir ce courage. Je ne devais penser qu’à eux et me montrer à la hauteur. Digne et humaine.
Je fis couler l’eau, rinçai mon visage et mes yeux. Un moment, je trempai ma bouche dans le liquide frais au creux de mes mains. Une femme entra. Par la porte entrebâillée, j’aperçus Edward. J’allai vers lui, poussai la porte.
« Est-ce que ça va, Bella ?
_ Tu crois que tu pourrais me trouver une serviette, Edward ?, demandai-je d’une voix sourde. Une serviette et… une brosse à cheveux. Et même une brosse à dents, s’il te plaît. Je… j’ai besoin de me laver un peu.
_ Bien sûr. »
Il disparut quelques minutes. Peu à peu, je commençais à ressentir la fatigue de l’effort que j’avais fourni. Mes côtes étaient douloureuses, mon dos également. Je tremblais. Mais, quelques part, je me sentais soulagée. Ma pensée s’éclaircissait. Edward revint bientôt avec un petit nécessaire de toilette et une serviette portant le sigle de l’aéroport dans lequel nous nous trouvions. Je remplis ma bouteille d’eau et entrepris de laver mes cheveux. Quelques personnes allaient et venaient autour de moi, mais je ne m’en préoccupais pas. J’essorai mes cheveux, les enveloppai dans la serviette quelques minutes, puis les brossai et les coiffai. Ensuite, je retournai dans une des toilettes et utilisai la serviette pour me rafraîchir, frottant soigneusement chaque partie de mon corps fébrile.
Lorsque je ressortis, finalement, rejoindre Edward, mon esprit s’était apaisé. J’étais résignée et, me semblait-il, solide. Prête à affronter tout ce qu’il me faudrait affronter.
« Je t’écoute, dis-je simplement. Que dois-je faire ? »
Pour toute réponse, il m’attira contre lui et me serra longuement dans ses bras.
« Quand ce sera l’heure, Bella, expliqua-t-il après quelques secondes de silence, tu embarqueras. Sans moi. Ne t’inquiète pas, je te rejoindrai. Je vais essayer de mettre Démétri sur une fausse piste… en m’éloignant un peu.
_ Et si tu ne me rejoins pas, Edward ? »
Il hésita, puis secoua la tête.
« Je serai là, Bella. Fais-moi confiance. »
Ses doigts saisirent les miens.
« Viens, il nous reste une bonne heure. Nous allons faire quelques emplettes. Tu as besoin de certaines choses. J’aurais dû te les apporter. Je n’y ai pas pensé, j’en suis navré. »
Et il m’entraîna dans les couloirs, vers les vitrines des nombreux magasins de l’aéroport.

Comme Edward l’avait voulu, je me retrouvai seule pour l’embarquement. Je ne pouvais m’empêcher de regarder avec inquiétude autour de moi, de scruter chaque visage, d’épier chaque mouvement. Je n’espérais qu’une chose : voir Edward réapparaître à mes côtés et m’assurer que tout irait bien. Je priais pour que le vol en provenance de Bucarest soit retardé et que le nôtre parte à l’heure. Je cheminais, bien sagement, avec la file des passagers qui passaient par les différents couloirs et portiques en direction de la dernière salle d’attente. Il me semblait que j’étais quelqu’un d’autre. Vêtue d’un jean, d’un t-shirt et d’un pull neufs, un petit sac de voyage renfermant mes vieux vêtements et mes affaires de toilette sous le bras, une paire de lunettes de soleil posée sur le sommet de mon crâne, je devais avoir l’air de la parfaite touriste occidentale en attente d’exotisme. Au moins, j’avais meilleure allure qu’à notre arrivée. Mes cheveux étaient propres et secs, mon visage devait paraître plus calme, également. Dans l’aéroport, l’air était frais et respirable, mais à l’extérieur, la nuit semblait très chaude et moite. Je me demandais où Edward avait bien pu aller, jusqu’à quelle distance il pourrait s’éloigner sans craindre de rater le décollage de notre avion. Je serrais contre moi mon billet à destination de Bombay. Le vol serait long, cette fois-ci. Suffisamment pour mettre, entre nous et nos poursuivants -si nous parvenions à leur échapper- assez d’espace et de temps pour prendre une nouvelle avance.
Quand on nous demanda de bien vouloir emprunter le couloir qui menait à l’appareil, mon cœur se serra. Edward n’était toujours pas revenu. Je voulais m’attarder, mais une employée de l’aéroport me fit signe et, avec un sourire aimable, m’invita à suivre le groupe des voyageurs.
Une fois à l’intérieur de l’appareil, je trouvai ma place, m’y installai. Edward devait occuper celle qui se trouvait à côté de la mienne. Le visage tourné vers l’arrière de la cabine, je dévisageais tous ceux qui, un à un, s’avançaient à la recherche de leur siège. A chaque seconde, à chaque nouveau visage ma gorge devenait plus sèche, mon souffle plus court. Edward… Où était-il ? Il me semblait que la cabine était comble, on n’allait plus tarder à fermer l’accès. Par le hublot, j’apercevais de petites lumières rouges et blanches, dans le lointain, des ombres sur la piste. Ma gorge était en feu. Ma respiration brûlait mes narines, mon cœur cognait dans mes oreilles. J’ouvris le petit sac que je portais avec moi à la recherche de la bouteille d’eau que j’y avais rangée un peu plus tôt. Mes doigts rencontrèrent une petite forme arrondie et fraîche, métallique. Je sursautai. C’était le téléphone portable d’Edward. Pourquoi se trouvait-il là ? Il y avait autre chose, aussi. Son portefeuille, avec sa carte de crédit à l’intérieur et un petit papier sur lequel était noté un numéro... Soudain, je compris. Il me les laissait pour que je puisse les utiliser, au cas où il ne reviendrait pas. Je sentis monter en moi une vague de panique qui chassa tout le sang de mon visage. Oh, non ! D’une main, je couvris mes yeux. A l’intérieur de l’appareil, le mouvement avait cessé. Tous les voyageurs étaient installés. J’allais… j’allais me lever, expliquer qu’il manquait quelqu’un, quelqu’un qui devait voyager avec moi. On allait attendre un peu… De mes deux mains, j’agrippai le dossier du siège devant moi avec la ferme intention de me précipiter vers la première hôtesse que je rencontrerais.
« Qu’est-ce que tu fais, Bella ? »
Je sursautai. Edward venait d’apparaître à mes côtés. Il était assis, tranquillement, comme s’il avait été là depuis le début. Il levait les sourcils. Je m’effondrai dans mon siège.
« Oh, Edward… !, m’exclamai-je dans un soupir. J’ai failli mourir de peur. Tu… m’as laissé… ton téléphone, tes affaires…
_ Une simple précaution. Rassure-toi. Je suis entré au moment où on fermait les portes. Je pense que nous sommes en sécurité maintenant. Et pour plusieurs heures. Il n’y a pas d’autre vol pour Bombay jusqu’à demain. Nous allons pouvoir… respirer un peu. »
Je pris sa main, secouai la tête.
« Jusqu’à quand ? Tu crois vraiment pouvoir continuer longtemps comme ça ?
_ Le temps qu’il faudra. Je suis capable…
_ Pas moi, Edward. Je ne pourrai pas.
_ Alors, laisse-moi te cacher quelque part… m’assurer que tu pourras attendre confortablement. Le temps que j’aille m’expliquer si on me le demande. »
Pendant quelques secondes, je contemplai sa main dans la mienne. La forme de ses doigts, sa peau pâle, veinée de bleu, fraîche et si fine en apparence. Une peau, une main qui avait plus d’un siècle… et que je tenais là, entre mes doigts fragiles de mortelle. Quelle chose incroyable ! Mon existence avait vraiment été extraordinaire.
On annonça le décollage. Je fermai les yeux, serrant toujours contre mon cœur la main merveilleuse de celui que j’aimais.



« Ce n’est pas une vie, Edward, repris-je calmement quand l’avion se fut stabilisé. Se cacher, fuir, attendre… seule. Ce n’est pas une vie pour moi. Je n’ai pas… le temps. Est-ce que tu peux comprendre ?
_ Quoi ?
_ Pour toi, une année, dix… ne sont rien. Mais pour moi, chaque seconde compte. J’ai voulu vivre, Edward, pour goûter la vie, la vie d’un être humain. C’est ce que tu voulais aussi, n’est-ce pas ? »
Les lèvres serrées, Edward hocha la tête en silence.
« J’ai vécu pour aimer ce qu’il y avait à aimer dans ma vie. Ma famille, Jacob, toi, mes enfants… Si je ne peux pas passer chaque minute de mon existence auprès de vous… de ceux qu’il me reste, alors je n’ai plus de vie. Je ne voudrais pas tomber malade ou mourir accidentellement à l’autre bout du monde alors que j’attends de vous revoir. Je suis trop faible pour… Je pense… Je pense sincèrement, Edward, que ma vie a été bien remplie. Oh, je sais… il y aurait tellement à faire encore, mais… c’est un peu compliqué pour moi aujourd’hui. Et j’ai déjà vécu tellement ! Des choses que je n’aurais jamais pu imaginer, des choses magnifiques, inespérées…
_ Bella, tu parles comme si… tu me fais peur !, murmura Edward en se penchant vers moi et en saisissant fermement ma main.
_ Ce que je veux dire c’est… que je suis prête, je crois… non, j’en suis sûre. Je me sens… bien. Au fond de moi, je suis en paix. Mais je suis si lasse, Edward, si fatiguée en même temps. Tu sais, j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir, pour me rendre compte de certaines choses… Et je crois que si les Volturi nous retrouvent…
_ Ils ne nous retrouveront pas, Bella, articula Edward, la mâchoire crispée.
_ Ils nous retrouveront forcément. Tu le sais. J’espère seulement que Sarah et Karel vivront heureux. Que tu vivras… Je voudrais que tu me fasses une promesse, Edward… »
Les iris d’or d’Edward plongeaient dans mes pupilles. Il eut un silence. Il n’y eut plus que le silence. Il n’y eut plus de temps.

Tu as eu raison de leur dire que tu m’avais tuée… C’est ce que j’aimerais que tu fasses, Edward.

« Quoi ?
_ Je… »
Il avait à nouveau clairement entendu ma pensée et je ne comprenais toujours pas comment ce phénomène pouvait se produire. Cela n’avait pas vraiment d’importance, au fond. Edward entoura mon visage de ses mains, m’attira vers lui, son front pressé contre le mien.
« Jamais, Bella, tu m’entends !, murmura-t-il d’une voix à peine audible. Voilà ce que tu penses ! Jamais… ! Je ne te survivrais pas.
_ Il le faudra peut-être Edward, dis-je en caressant son visage du bout de mes doigts. Je préfèrerais… très franchement, tu sais… Alec… C’est une vengeance qu’il cherche. Rien ne pourra l’apaiser. Si quelqu’un doit m’ôter la vie, je préfère… je veux que ce soit toi. Et tu veilleras sur nos enfants.
_ Je ne veux pas t’entendre prononcer de telles paroles, Bella ! Tu es épuisée, désespérée aussi, sans doute, mais je t’assure… il reste de l’espoir. Chut ! Viens, viens là. »
Edward allongea son bras autour de mes épaules, m’allongea contre lui. J’enfouis mon visage dans sa poitrine. Un moment, il caressa mes cheveux, le regard perdu, lointain. Dans les bras d’Edward, mon corps se détendait peu à peu. Je respirais son parfum, si familier et rassurant. Oui. Il serait doux de mourir ainsi, dans les bras de celui que j’aimais. Comme je perdais doucement conscience, il déplia une des deux petites couvertures, fines et douces, qui se trouvaient à disposition dans les filets accrochés aux sièges devant nous. Il m’en couvrit, m’enveloppa et me berça. Longuement, longuement.
Jusqu’à-ce que je m’endorme enfin.





Chapitre 15 : Sans issue/ No way out

Lorsque j’ouvris les yeux, Edward me serrait toujours contre lui. Il semblait qu’il n’avait pas bougé. Il n’avait sûrement pas bougé. Pourtant, l’effusion qui régnait dans la cabine m’apprit que la nuit était passée et, par certains hublots, je vis la lumière vive du jour qui s’était levé, depuis longtemps sans doute.
« Il est tard ?, demandai-je d’une voix étouffée. »
Edward sourit.
« Beaucoup plus tard que ce que tu crois. Nous allons vers l’est, le temps va plus vite que nous.
_ Ah ?
_ Tu as faim ?
_ Euh… »
J’espérais que mon estomac s’était remis du choc de la veille. Dans mes côtes et mon dos, les courbatures étaient toujours vives.
« Laisse-moi un moment. »
Je me redressai, m’étirai, frottant mon visage et mes jambes engourdies. Je me levai, marchai un peu dans l’allée, jusqu’aux toilettes. J’arrangeai mes cheveux, me débarbouillai, puis rejoignis Edward. Un plateau repas avait été distribué, qu’il m’avait mis de côté. Cette fois-ci, je pus en profiter pleinement et, lorsque nous débarquâmes à Bombay, j’avais retrouvé une certaine énergie.
Edward prit de nouveaux billets, à destination du Sri Lanka. Je supposai que c’était le lieu dans lequel il espérait me faire demeurer un moment. J’avais du mal à envisager de le voir me quitter encore. Je ne savais pas s’il y comptait réellement, de toute manière, après notre discussion de la veille. Je craignais sa résolution muette. J’aurais voulu connaître le fond de sa pensée, comme lui avait pu percevoir le mien, car je redoutais vraiment ses intentions. Je le savais capable d’un geste radical. Mais il avait l’air si calme, si confiant, également, si sûr de lui… Etre un vampire lui donnait sans doute la capacité d’envisager les choses d’une manière très différente de la mienne. Il devait se sentir beaucoup plus fort que moi. Invincible peut-être, comme immortel… Cela, il l’était certainement. Capable d’échapper indéfiniment au danger, de s’opposer à notre destin même, de lutter. Il l’était bien davantage que moi en tout cas, c’était l’évidence.
En attendant notre prochain vol, il consulta sa messagerie. Personne n’avait cherché à nous joindre. Alors, il appela Alice. Celle-ci décrocha presque immédiatement, mais leur conversation ne dura que quelques secondes. Elle n’avait pas eu de nouvelle vision, même si elle faisait tous les efforts dont elle était capable pour rester concentrée en permanence sur la pensée de Démétri. Sans lui donner le moindre renseignement concernant notre destination, Edward raccrocha rapidement.
Notre vol allait durer quelques heures, il y aurait une escale, nous arriverions à la nuit tombée.
La première partie du trajet fut assez silencieuse. Il me semblait que nous nous étions tout dit. Nous savions, chacun, à quoi nous en tenir. Nous savions ce que nous pouvions craindre de pire, nous nous efforcions d’espérer et, surtout, de profiter l’un de l’autre. De ces instants que nous passions encore ensemble, au milieu de cette foule anonyme d’étrangers, de voyageurs, dans le bruit et la confusion, les modalités répétitives des embarquement et des débarquements, entre attente et précipitation. Nos mains ne se lâchaient plus.
L’escale à Chennai durait une trentaine de minutes. Immédiatement, Edward ralluma son téléphone portable. Il parut surpris : il avait plusieurs messages. Dès qu’il en eut pris connaissance, il saisit mon bras.
« Viens, Bella. Nous changeons de route. Je ne sais pas comment Démétri se débrouille mais Alice vient de le voir. Il nous attend à Colombo. »
Le regard d’Edward prit une expression alarmée qui me glaça le sang.
« Alice a vu autre chose, Edward ? »
Il ne répondit pas à ma question mais empoigna mon sac.
« Nous partons tout de suite. »
A nouveau l’aéroport, le prochain vol au départ, les minutes d’attente angoissée, l’embarquement.
Je n’osais rien demander. La réaction d’Edward me laissait assez envisager l’anxiété qui avait dû être celle d’Alice. Dans ma tête, j’entendais sa voix affolée.
« Ils sont là Edward, ils vous attendent, vous ne leur échappez pas !, s’exclamait-elle. Vous devez changer de destination. Oh, j’espère que vous aurez ce message à temps ! »
Le vol avait été assez court, il n’avait duré qu’une paire d’heures. Bientôt, nous atterrîmes à Malé. Dès que nous eûmes quitté l’appareil, Edward me força à presser le pas à travers les couloirs de l’aéroport, en direction d’un guichet où il reprendrait des billets pour une destination plus lointaine. Je ne voyais plus rien autour de moi, je courais presque, passant des visages, des panneaux d’affichage, des sièges. Soudain, Edward s’arrêta net, se figea. Son bras s’enroula autour de ma taille, il me tira en arrière, si subitement que je manquai de tomber. Je jetai un coup d’œil dans la direction que nous avions prise. Alors, je l’aperçus. Entre les petits groupes de voyageurs qui allaient et venaient, adossé contre le comptoir de l’accueil. On ne voyait que lui, on ne pouvait pas ne pas le remarquer. Sa peau à l’éclat lunaire, ses yeux dissimulés par des lunettes de soleil alors qu’il faisait nuit, son costume sombre, impeccable, presque incongru pour quelqu’un qui avait l’air d’être si jeune -presque un enfant encore-, il cherchait, scrutant attentivement le hall autour de lui. Ce n’était pas Démétri. C’était Alec. Je me plaquai immédiatement contre le pilier derrière lequel Edward se tenait. Nous étions encore bien loin de lui, mais si nous bougions, il ne manquerait pas de nous voir. Je voulus parler, mais les doigts d’Edward me couvrirent la bouche. Il fit « non » de la tête. Qu’allions nous faire ? Nous étions perdus. Où était Démétri ? Il n’allait pas tarder à localiser Edward… Déjà, je le voyais, apparaissant devant nous comme un démon sorti tout droit de l’enfer, un rictus triomphant au coin de la bouche. Edward tira mon bras. Un groupe de personnes venait de passer près de nous, ils étaient assez nombreux, c’était l’occasion où jamais. Nous nous mêlâmes à eux. Le groupe passa assez près du jeune vampire dont le regard devait balayer, loin devant lui, chaque couloir et chaque recoin du hall. Nous étions si près… Je me serrai contre Edward qui, lui-même, se collait presque aux inconnus qui nous entouraient. Je regardais le sol, le mouvement des pieds autour de moi. Le groupe se dirigeait vers la sortie. Une porte vitrée s’ouvrit sur la nuit, une chaleur étouffante m’enveloppa, des odeurs puissantes, comme je n’en avais plus respiré depuis des heures, envahirent mes narines. Derrière nous, la porte se referma. Une seconde, je me retournai. Alec hochait la tête, un bras replié vers son oreille. Je regardai Edward. Ses yeux étaient plissés, il semblait extrêmement concentré. Il écoutait. Son index se posa à nouveau sur ma bouche pour m’intimer le silence puis, sans un mot, il m’entraîna plus loin, vers la file des taxis qui attendaient les nouveaux arrivants.
Ce ne fut que lorsque nous eûmes roulé plusieurs bonnes minutes et que l’aéroport eut disparu derrière nous qu’il reprit la parole.
« Ils se sont séparés, Bella. Alice a bien vu Démétri, mais elle ne m’a pas parlé d’Alec. Oh, je m’en veux ! J’ai été stupide. Alec est en contact avec Démétri par téléphone. Il a beau être à des kilomètres, il sent maintenant très exactement où je me trouve par rapport à Alec et il peut lui indiquer ma position. Il vient juste de lui dire que nous n’étions qu’à quelques mètres de lui… Il faut trouver le moyen de lui échapper et l’empêcher d’exercer son pouvoir. Nous mêler à la foule, rester toujours à une bonne distance de lui. Il faudra sans doute… que tu retournes seule à l’aéroport prendre de nouveaux billets, et vite, avant que Démétri n’arrive et qu’un d’eux ne se mette à y monter la garde. Oh, vraiment, j’aurais dû prévoir qu’ils en arriveraient là ! »
Malgré la douceur de sa voix, je percevais la colère d’Edward. Ses yeux luisaient dans la pénombre, un de ses poings était serré.
« Non, Edward, tu ne pouvais pas tout imaginer, et Alice a été trompée par sa vision, par son angoisse… Ce n’est pas votre faute. »
La partie d’échec qui se jouait maintenant depuis plusieurs heures, depuis plusieurs mois, en fait, semblait approcher du dénouement. Et il n’était pas en notre faveur. Les Volturi avaient finement positionné leurs pions, nous étions dans une impasse, semblait-il. Etrangement, au fond de mon ventre, la pression qui comprimait mes reins se relâcha d’un coup. Voilà. Nous étions arrivés au terme de notre course. Je tenais à la vie, pourtant, à mes enfants, à Edward… mais le temps était venu, celui où il me faudrait savoir tout abandonner. Sans cris, sans haine, le plus courageusement et le plus dignement possible. A plusieurs reprises, je respirai profondément, en caressant du pouce le dos de la main d’Edward. Dans cette caresse anodine, je mis tout l’amour qu’il me restait. Et je savais qu’Edward s’en rendait compte.



Le taxi nous laissa dans une rue illuminée où déambulait une foule animée et joyeuse. Nous allions faire quelques pas et, dans une autre rue, je reprendrais un taxi qui me ramènerait à l’aéroport pendant qu’Edward multiplierait les trajets de manière à ce qu’Alec ne puisse le localiser avec précision. Passant près d’un restaurant à l’enseigne lumineuse criarde et repérable entre mille, nous convînmes de nous retrouver là, deux heures plus tard. Nous cherchâmes un moment une nouvelle station de taxis. Finalement, nous parvînmes à en trouver une, mais elle était vide. Je m’apprêtais à attendre un moment, Edward allait lâcher ma main, me tourner le dos et se perdre dans la foule des touristes, quand, à ma grande surprise, il se serra contre moi. Sa bouche à mon oreille souffla :
« Bella, il va falloir que tu coures. Maintenant. »
Avant que j’aie eu le temps de comprendre, je vis la silhouette d’Alec qui s’avançait vers nous. Edward tirait ma main. Nous plongeâmes à travers les passants. Au milieu d’eux, Alec ne tenterait rien, il ne voudrait pas se faire remarquer. Il fallait s’éloigner de lui. Coûte que coûte. Je courus, longtemps. Aussi vite que je pus. Mais je savais que je ne parviendrais pas à le semer. Edward pouvait, lui. Pas moi. Tout à coup, je m’aperçus que la main d’Edward n’était plus dans la mienne. Je tournai sur moi-même, à bout de souffle, perdue. Personne. Des inconnus me dévisageaient. Je cherchai dans la foule. Edward n’était plus là. Je ne voyais pas Alec non plus. Ma course m’avait menée au bout de la rue, près du port, où de nombreux bateaux étaient amarrés. Le temps que je revienne de ma stupeur, une main saisit mon bras.
Je fus soulevée du sol et le monde qui m’entourait devint flou durant quelques secondes. Je me retrouvai allongée dans un petit bateau qui s’éloignait déjà des autres, dans le port, glissant sur l’eau noire avec une vibration sonore. Au bout du ponton que nous venions de quitter, je vis très nettement se découper la silhouette sombre d’un jeune garçon. Elle resta immobile une seconde, puis disparut comme par enchantement.
« Edward !, criai-je malgré moi en me relevant. Est-ce qu’il peut… nager à notre suite ?
_ Il pourrait mais… il peut faire exactement comme moi aussi. Il faut que nous nous éloignions d’ici, le plus vite possible. »
Quand le port ne fut plus qu’une guirlande lumineuse le long de la côte derrière nous, Edward poussa le moteur à fond. Le petit bateau était rapide, la mer très calme. La lumière qui venait du ciel était faible, un épais manteau nuageux dissimulait la lune et les étoiles. Nous étions entourés d’obscurité. De fines gouttelettes d’eau mouillaient mon visage. Seuls, le bruit du moteur et le mouvement de l’eau autour de nous m’empêchaient de croire que nous voguions à travers le vide. De longues minutes passèrent. Il me sembla que notre fuite dans la nuit durerait toujours.
Edward ne ralentissait pas. Cependant, au bout d’un moment, il se retourna à plusieurs reprises, scrutant de ses yeux à la vision surnaturelle les ténèbres qui nous entouraient.
« Quoi ? Qu’y a-t-il ?
_ Il y a un autre bateau… qui se rapproche. »
Je regardai à mon tour. Je ne vis rien. Edward vira à angle droit. De longues minutes après, seulement, je commençai à distinguer un petit point blanc, très, très loin de nous encore. Mais il était bien là, et il était rapide. Il l’était plus que nous, sans doute. Edward regardait droit devant lui, le bateau décrivait des courbes. J’en percevais le mouvement. Il me sembla que nous devions rebrousser chemin vers la côte. A ma grande stupeur, au regard suivant que je jetai derrière nous, je m’aperçus que le point qui nous suivait avait étonnamment grossi. Je ne compris pas immédiatement ce qu’il se passait quand, tout à coup, Edward se retourna vers moi en tendant une main. Je la saisis, m’accrochai à lui.
« Il faut aller plus vite, cria-t-il si fort que j’en sursautai. Il faut s’éloigner de lui. Je… je ne vois ni n’entends plus rien, Bella !
_ Quoi ? »
Malgré la distance, Alec parvenait à exercer son pouvoir sur Edward. Cela lui était d’autant plus facile, certainement, qu’il n’y avait personne d’autre que nous dans son champ de vision.
Il était si près ! De plus en plus à chaque seconde.
Il y eut une embardée, je fus projetée vers l’arrière du bateau. Ma tête cogna violemment contre un des rebords. Une douleur sourde se propagea dans tout mon visage, ma nuque et mes épaules. Dans mes yeux, l’image d’Edward, agitant ses bras devant lui comme un aveugle, vacilla. Je l’entendis appeler mon nom, puis il y eut un autre choc, une vague d’eau fraîche pénétra à l’intérieur du bateau, fouetta mon visage, je suffoquai, voulus me débattre sans y parvenir, mes oreilles bourdonnaient… puis tout ralentit, tout disparut et ce fut le grand silence.





Chapitre 16 : L'île/ The island

« Bella ?... Bella ! Comment vas-tu ? Dis quelques chose ! »

La voix d’Edward. Ses lèvres sur mon front.


« Oh, Bella, tu m’as fait si peur ! »

Les yeux d’Edward.


« Est-ce que tu peux bouger ? »

Sous mes doigts, quelque chose de doux… Du sable. Du sable humide. La nuit.

« Nous sommes vivants ?
_ Oui, oh, Bella !, soupira Edward en me serrant contre lui. Je ne sais pas comment ! Alec a… disparu. Il est parti ou… je ne sais pas. Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé exactement, je n’ai plus rien vu, rien entendu ni senti pendant un bon moment. Nous sommes sur une île. Le bateau s’est ensablé.
_ Une île ? »
Je tentai de me redresser.
« Oh, ma tête ! »
Il me semblait qu’elle pesait une tonne, qu’elle était un vrai bloc de béton posé sur mon cou.
« Tu as dû te cogner. Tu as perdu connaissance et… ton nez saigne.
_ Ah ? »
Il me semblait en effet que mon nez était bouché. Je revis la vague qui m’avait submergée, son sel qui brûlait mes narines, j’avais l’impression d’avoir cessé de respirer à partir de ce moment. Dans ma gorge, je cherchai le goût du sang mais… rien. Rien qu’un liquide un peu épais et ma langue douloureuse. Pas d’odeur ni de goût particuliers. Je passai ma main sur mon visage. Le tour de ma bouche était collant, mon cou également. Mes vêtements étaient trempés. Ceux d’Edward aussi.
« Il faut que je me nettoie.
_ Attends un peu. Tu dois revenir à toi, d’abord, reprendre tes esprits. J’espère que tu n’as rien de cassé… »
Je bougeai mes mains, mes bras, doucement, ma tête, de droite à gauche, mes jambes, mes pieds.
« Aïe ! Oh, ma cheville ! »
Cette douleur ne m’était pas inconnue. Ma cheville, la même qui avait, autrefois, souffert à cause de la poigne d’Edward, me lançait douloureusement. Je ne pouvais pas bouger mon pied.
« Juste la cheville… j’ai dû la tordre en tombant. Le reste, apparemment, ça va. »
Mais je savais que cela n’allait pas si bien. Je n’étais plus en état de marcher. Encore moins de courir… J’étais réduite à l’impuissance totale.
Edward soupira. Il semblait soulagé, cependant. Se penchant sur moi, il m’embrassa, très brièvement, et se redressa soudain, comme électrisé.
« Je vais… je vais t’aider à te nettoyer. »
Avant que j’aie pu dire quoi que ce soit, il était debout et s’était avancé vers les vagues tranquilles qui venaient lécher imperceptiblement le sable fin de la plage. Il pénétra dans l’eau, s’éloigna un instant. Le bateau était là. Il récupéra mon sac qui s’y trouvait toujours. Avec un des t-shirts qu’il contenait, je pus éponger mon visage et ma gorge. Progressivement, je parvenais à me redresser. Finalement, je pus m’asseoir.
« Tout est trempé…
_ Oui. Mon portable est hors d’usage. Quand tu iras mieux, nous verrons ce que nous pouvons faire. Je ne sais pas si le bateau repartira…
_ Je ne comprends pas où est passé Alec. Il est peut-être allé chercher Démétri ? »
Edward pinça les lèvres et secoua la tête. Il n’avait pas de réponse.
Au bout d’un moment, je voulus essayer de me lever. Ma tête tournait. Edward me porta afin que nous nous éloignions un peu de l’eau. Quelques buissons et branches d’arbres morts annonçaient le début d’une végétation que l’on pouvait deviner, plus loin, à une masse sombre et large. Il étendit le contenu de mon sac sur les branches les plus proches. Malgré l’humidité, il ne faisait pas froid. Au contraire. L’air était chaud et lourd. Rien ne bougeait autour de nous, tout était silencieux. Seul le mouvement léger des vagues dérangeait le calme étrange de cette nuit. Je me demandai si cette île était vaste, si elle était habitée. Il faisait trop sombre pour pouvoir juger de son étendue. Edward s’assit derrière moi, j’appuyai mon dos contre sa poitrine. Il me serra contre lui. Ce fut à cet instant que je remarquai qu’il manquait… quelque chose.
« Edward !, m’exclamai-je. Je ne sens plus… !
_ Quoi ?
_ Il n’y a plus d’odeur. Ni ton parfum ni… rien ! Je ne sens rien ! »
Il posa sur mon front une main fraîche.
« C’est le choc que tu as reçu, sans doute, reprit-il après un silence. Ne t’inquiète pas, cela va passer. »
Sa voix se voulait calme et rassurante, mais j’avais du mal à envisager que le vide olfactif que je ressentais n’était qu’un engourdissement passager de mon odorat. C’était une absence. Totale. Extrêmement troublante. Je portai une de mes mains à ma bouche, léchai la peau de son dos. Rien non plus.
« Edward, dis-moi si ma peau est salée, demandai-je d’une voix tremblante en lui tendant ma main, … s’il te plaît ! »
Il hésita un instant.
« Elle l’est, Bella. Je n’ai pas besoin de la goûter, je la sens.
_ Alors j’ai perdu l’odorat… et le goût. C’est… affreux. Je n’ai jamais éprouvé un tel… vide. Même avec le pire des rhumes ! Oh… !
_ Calme-toi, Bella. Je suis sûr que cela reviendra. Il faut un peu de temps. »
J’essayais de me persuader qu’Edward avait raison. Je devais me détendre, il ne servait à rien de paniquer. Là où nous nous trouvions, il n’y avait rien à faire de toute manière. Ma tête était lourde. Je palpai la peau de mon crâne. Elle était très douloureuse, mais il n’y avait pas de plaie apparemment. Je pris quelques profondes inspirations. Il allait falloir attendre. C’était tout ce que nous avions à faire. Attendre au moins le lever du jour. Si Alec ou Démétri ne nous rejoignaient pas d’ici-là. Edward me serra plus étroitement contre lui, et nous demeurâmes ainsi, en silence, perdus quelque part dans le temps et l’espace qui semblaient ne plus exister, dans cette nuit épaisse du bout du monde, qui, peut-être, ne finirait jamais.



Peu à peu, pourtant, l’horizon blanchit. L’espace autour de nous se révélait, s’ouvrait. Le sable était si fin et clair ! L’eau, calme, lâchait quelques éclats d’argent de plus en plus vifs et réguliers à mesure que la lumière s’intensifiait. Les nuages du ciel d’abord gris se dissipèrent et tout devint rapidement rose. Un rose intense, extraordinairement tendre et doux, enveloppa la mer, la plage, la végétation luxuriante derrière nous, nos corps enlacés. Rapidement aussi, l’air se fit plus chaud. Avec le mouvement léger des vagues, les teintes changeantes des nuages, la caresse de l’air, j’eus la sensation que tout se mettait à vibrer autour de nous. A peine. Mais c’était une vibration de vie, dans chaque élément de ce paysage que je découvrais, une vibration heureuse. L’endroit était, en réalité, splendide. Nous étions entourés d’eau. L’île ne paraissait pas très grande. Cependant, je ne pouvais le déterminer avec certitude, car la forêt qui s’étendait, à quelques mètres de la plage, était si dense qu’elle ne laissait rien percevoir de sa profondeur.
Au fur et à mesure que les tons changeaient, un sentiment s’éveilla en moi. Un sentiment très particulier, que je n’identifiai pas immédiatement tant il était incongru. Mais au bout d’un moment, quand je tournai vers Edward un visage émerveillé, je compris ce que je ressentais. Je sus.
Edward souriait, charmé comme moi par le spectacle magnifique qui se déroulait sous nos yeux. Je posai une main sur sa joue.
« Edward, soupirai-je. C’est formidable. Cette île…. je la connais.
_ Ah ? C’est à dire ?
_ Elle me donne le sentiment… d’être rentrée chez moi.
_ Bella… tu… tu te sens bien ? »
A nouveau, il avait posé sa main fraîche sur mon front, inquiet sans doute.
« Oh, oui, très bien ! Je l’ai déjà vue, simplement, il y a longtemps. Tu te souviens de mon premier rêve ? Il y avait une île… Nous y sommes. Je reconnais… la forme de cette plage. Il y avait une maison dans mon rêve, mais elle n’a pas l’air d’être là. Peut-être plus loin ?
_ Je vais aller explorer un peu les environs, déclara Edward en embrassant mon front. Voir s’il y a du monde. Je serai rapide.
_ Oui. Vas-y. Il n’y a pas de problème. Je suis… très contente d’être ici, Edward. Aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai de très bons souvenirs de cette île ! Elle me rend heureuse. Elle me donne confiance. »
Un moment, Edward me considéra avec attention, comme s’il s’étonnait de ma réaction ou cherchait à percevoir dans mon attitude une inquiétude dissimulée. Mais je n’étais pas inquiète. A l’horizon, les premiers rayons du soleil allaient apparaître. Ils rasaient déjà la surface de l’eau qui n’était plus qu’un miroir scintillant. La peau d’Edward vibrait elle aussi, de millions de petits éclats lumineux, de petits points de feu vifs comme des étincelles. Je contemplai ses mains, son visage, sa gorge. Je n’avais que peu eu l’occasion de le voir ainsi, finalement, depuis toutes ces années. La lumière révélait sa vraie nature, et je mesurai encore à quel point elle était différente de la mienne. Si étrange… et belle. Je le regardais. Un instant, il parut presque gêné. Il allait se lever, quand quelque chose attira son regard, loin, derrière moi.
Je me retournai. Sur la plage, une forme était apparue, qui avançait très doucement au bord des vagues. Quelqu’un. Une silhouette, humaine. Une forme sombre. Elle glissait, imperceptiblement.
Edward se tendit. Je ne savais pas ce qu’il fallait faire. Allait-il soudain disparaître dans la forêt ? Devait-il se cacher ? Mais il m’apparut rapidement que ce n’était pas son intention car ses mains se posèrent sur mes épaules, fermes et protectrices. Ses sourcils étaient froncés, il semblait sur ses gardes. Que se passait-il ? La silhouette progressait dans notre direction. Très lentement.
« Edward ? Qu’est-ce qu’il y a ?
_ Ce n’est pas un être humain. »
Je sursautai. Me retournant vers la forme qui avançait vers nous, je cherchai à distinguer son apparence. Elle était encore très loin, mais je pus constater qu’il ne s’agissait pas d’Alec ou de Démétri. C’était une femme. Elle portait une sorte de robe, ses cheveux étaient très longs et noirs. Je ne l’avais jamais vue auparavant.
« C’est un vampire ?
_ Je ne sais pas. Je ne sens pas d’odeur particulière. Et… je ne perçois pas de pensée non plus. »
Venant d’Edward, cette dernière remarque me surprit énormément, et m’inquiéta du même coup.
La femme avait quitté le bord de l’eau et se dirigeait à présent droit sur nous. Je ne percevais pas son visage, le soleil se levait dans son dos et m’empêchait de bien distinguer ses traits. Cependant, elle semblait jeune, plutôt petite et très fine. Sa façon de se déplacer me rappelait celle d’Alice. Elle était très certainement un vampire. Elle ne pouvait pas être humaine, en tout cas. Edward ne bougeait pas. Ses bras m’entouraient. Quand elle fut à quelques mètres de nous, la silhouette noire s’immobilisa. Elle était drapée dans une simple pièce de tissu bleu foncé et léger, comme un voile, qui ondulait sous l’effet de la brise, tout comme ses longs cheveux bouclés. Rien d’autre ne bougeait plus en elle. Elle était devenue une vraie statue. Un vampire, j’en étais à présent certaine.
Elle nous regardait, en silence. Tout à coup, ses bras s’animèrent. Pressant ses mains l’une contre l’autre sur sa poitrine, elle nous salua, d’un signe de la tête. Je sentis qu’Edward hochait également la sienne, et je fis de même. Alors, elle fit encore quelques pas et vint s’asseoir, assez près de nous.
Tout dans son attitude silencieuse montrait qu’elle n’avait pas d’intention hostile. Elle ne nous regardait plus. Son visage était tourné vers la mer. A nouveau immobile, elle me donna l’impression de s’être encore une fois pétrifiée. Maintenant que le soleil l’éclairait de face, je pouvais voir plus précisément ses traits. Sa peau, contrairement à celle d’Edward, ne scintillait pas. Elle luisait, plutôt, comme si elle était recouverte d’un léger film nacré. Elle n’était pas aussi pâle que lui, non plus. Elle paraissait presque hâlée. Ses cheveux, surtout, m’impressionnèrent. Je n’en avais jamais vu de pareils. D’un noir profond, ils tombaient en lourdes boucles emmêlées sur le sol. Malgré quelques rondeurs, ses traits étaient assez anguleux. Ses bras, ses épaules, ses jambes étaient nerveux, arrondis de muscles fermes. Elle était plutôt belle. D’une beauté inhabituelle. Intemporelle et fascinante. Je remarquai que, de ses poignets, partaient une longue file de petits symboles, d’un noir bleuté, peints sur sa peau, qui remontaient le long de ses bras et de ses épaules, jusque dans son dos, sans doute, où je ne pouvais plus les voir. Ses pieds et ses chevilles aussi, étaient recouverts de ces petits dessins, qui m’évoquaient une écriture ancienne. Elle ne portait rien d’autre sur elle. Que son long paréo indigo noué sur une épaule. Pas de bijou, ni de chaussures. Elle n’était pas spécialement coiffée. Ses mains étaient posées sur ses genoux. Des veines grises affleuraient sous la peau dorée comme des racines emmêlées. Elle m’avait d’abord fait l’effet d’une amazone, mais elle ne ressemblait pas du tout à celles que j’avais eu l’occasion de voir en rêve. Elle avait plutôt l’air d’une gitane, simple et sauvage. Il m’apparut que son comportement relevait d’une forme d’approche instinctive, quasi animale. Elle prenait son temps, nous laissait le temps. De la regarder, de nous familiariser, sans que les mots ne soient nécessaires. Et c’était bien cela, sans doute, car j’eus tout à coup l’impression que c’était, plutôt qu’un être humain, un étrange animal qui se trouvait là, assis près de nous, à une distance respectueuse. Une curieuse petite panthère qui cherchait à s’habituer d’abord, elle aussi, à notre odeur. Peut-être dangereuse, malgré le calme qu’elle affichait. Sûre d’elle et téméraire en tout cas, puisqu’elle n’avait pas craint de nous approcher alors qu’elle avait dû percevoir qu’Edward aussi était un vampire, dont elle ne connaissait rien.
« Etes-vous dangereuse ? », demandai-je.
Mes propres paroles me firent sursauter. Je n’avais pas souhaité les prononcer. Elles étaient sorties de ma bouche malgré moi.
Alors, le visage de la statue se tourna vers nous et je vis ses yeux. Ils ne ressemblaient pas à ceux des Cullen. Encore moins à ceux des Volturi. Ils semblaient faits de métal. Un métal gris et froid, comme du platine légèrement assombri. Son visage était parfaitement inexpressif. Un vrai masque rigide et tranquille, dans lequel dansait cette paire d’yeux liquides extraordinairement perçants -si semblables à la mer de métal qui s’étalait devant nous en cet instant !- surmontés de sourcils dont la forme évoquait deux longues ailes noires. Ce n’était pas une panthère, c’était un sphinx. Son regard se posa sur moi, longuement. J’étais subjuguée. Je sentis que je rougissais d’avoir trahi aussi spontanément et irrépressiblement ma pensée. Je rougissais de me sentir ainsi regardée, également, car j’avais le sentiment d’être comme un livre ouvert dont on était en train de feuilleter à l’envi toutes les pages. Au bout de quelques secondes, son regard se détacha de moi cependant. Avec tout autant d’insistance, elle considéra alors Edward.
« Qui êtes-vous ? », fit-il aussitôt.
Je perçus son tressaillement dans ses bras qui m’entouraient. Le regardant, je constatai que ses yeux s’étaient plissés sous l’effet de la surprise. Ses sourcils étaient toujours froncés, tout son corps raidi par la méfiance que lui inspirait la nouvelle venue.
Elle ne répondit pas immédiatement à nos questions, mais ferma les yeux. Puis elle regarda à nouveau du côté de la mer. Enfin, sa bouche s’ouvrit. Elle prit une longue inspiration.
« Vous êtes sur mon île, déclara-t-elle d’une voix qui ressemblait davantage à un souffle. Vous y êtes les bienvenus. Et… vous pouvez m’appeler Kaly. »





Chapitre 17 : Un répit/ Respite

Quelques secondes de silence passèrent. Un moment, j’avais craint qu’elle ne parle pas notre langue. Ou qu’elle ne parle pas du tout. A présent, de nombreuses questions se bousculaient dans ma tête. Je n’avais pas le sentiment qu’elle pouvait ou souhaitait nous être hostile, mais je sentais qu’Edward était toujours en alerte.
« Elle ne nous veut pas de mal, Edward », assurai-je à haute voix, encore une fois malgré moi.
Edward me lança un regard inquiet.
« Ton ravi est très contrarié parce que, contrairement à son habitude, il n’entend pas mes pensées, déclara Kaly d’une voix toujours basse et traînante. »
Elle lança un regard en direction d’Edward. Ses mains glissèrent de mes épaules. Je me tournai vers lui. Il considérait la jeune femme assise près de nous avec une sorte de stupeur. Il avait sans doute perçu quelque chose, cette fois-ci.
« Apparemment, ça va mieux, ajouta-t-elle. Tu vois… je ne voulais pas vous effrayer.
_ Vous savez que je suis capable de lire les pensées ?, s’étonna Edward.
_ Oui. J’ai… entendu parler de vous. Je vous connais un peu. Et puis, franchement… ça se sent tout de suite. Enfin, moi je le sens. »
Son regard alla à nouveau se poser sur l’horizon des vagues. Elle parut s’y absorber un instant puis reprit :
« C’est… amusant… que vous soyez là… Aucun vampire ne s’est aventuré jusqu’ici depuis vraiment très longtemps. Les hommes, eux, n’y viennent pas, à cause des requins qui sont très nombreux dans les environs, et de leurs superstitions. Ils ont surnommé ce lieu l’île du fantôme… à cause de moi, sans doute.
_ Vous avez entendu parler de nous ?, fis-je intriguée. Qui vous a parlé de nous ? Vous connaissez les Volturi ? »
Pour la première fois, son visage se détendit. Lentement, il devint plus expressif. Elle leva un sourcil.
« Oui, je connais les Volturi. Mais… nous ne nous fréquentons pas. Et c’est la rumeur qui parle de vous.
_ La rumeur ?, répéta Edward.
_ Mmmh…, acquiesça la vampire aux yeux d’acier. Vous ne connaissez pas, n’est-ce pas ? »
Edward secoua la tête.
« Eh bien…, expliqua-t-elle, avec un peu d’entraînement, d’ici quelque temps -plusieurs siècles peut-être-, tu commenceras à l’entendre. Si tu écoutes. Si tu écoutes attentivement et dans le silence. Tous les vampires sont liés, c’est dans notre nature. Cela crée un flot de pensées, confus et constant, que l’on peut percevoir, si l’on s’y efforce convenablement, comme des voix entremêlées. C’est cela, la rumeur. Peu d’entre nous se donnent la peine de l’écouter, sans doute… Mais les voix sont indistinctes, on ne sait pas à qui elles appartiennent. Parfois, l’une d’entre elle se détache. Elle crie plus fort que les autres, en quelque sorte, alors on peut entendre ce qu’elle dit. J’en ai entendu quelques unes qui parlaient de vous.
_ Et que disaient-elles ?, demandai-je.
_ Beaucoup de choses, et confusément. Mais c’était intéressant… Alors c’est toi, le bouclier qui intéresse tant Aro ? »
Kaly plongea son regard dans le mien. Je frissonnai. Je vis un coin de sa bouche se relever doucement. Elle souriait presque.
« Les Volturi cherchent notre mort, répondis-je. Nous voulions juste… vivre tranquilles.
_ La vie n’est pas tranquille. Jamais, répliqua Kaly. Et les Volturi… ne la rendent pas plus simple avec leurs lois et leur hypocrisie. Leur soif de pouvoir… est pénible. Mais Aro est avide. Je ne pense pas qu’il se résoudra à te tuer. Il préfèrera faire de toi un vampire. Et tuer plutôt ton compagnon, même si son don l’intéresse beaucoup aussi. A moins qu’il ne s’en serve pour te faire du chantage. C’est sa spécialité, le chantage.
_ Vous n’appréciez pas Aro, remarqua Edward.
_ Et je crois qu’il m’apprécie encore moins…, souffla-t-elle dans un sourire. Il n’aime pas ce qui lui échappe. Et il m’en veut pour ce que je lui ai fait. Aussi, nous avons un accord tacite. Nous nous ignorons. Et j’en suis très satisfaite. Cet endroit leur est interdit. C’est peut-être bien le seul dans le monde !
_ Alors, c’est pour cette raison qu’Alec a cessé de nous poursuivre !, m’exclamai-je.
_ Certainement. Et je suppose qu’à l’heure qu’il est son maître fulmine… Tant que vous êtes ici, aucun d’entre eux n’osera rien contre vous. Vous êtes en sécurité. »
Une lueur espiègle s’alluma dans les yeux de l’étrange petite vampire brune, chassant tout à fait la sévérité de son expression. De toute évidence, l’idée l’amusait. Pour ma part, j’étais soulagée de pouvoir, pour un moment, cesser de penser à la fuite et prendre un peu de repos. Notre course folle s’était interrompue de la manière la plus inattendue. Je poussai un soupir.
« Que lui avez-vous fait ?, questionna Edward, visiblement intéressé.
_ Quelque chose qu’il n’a pas du tout apprécié mais… il m’a obligée. »
Elle ferma les yeux. Edward écarquilla les siens. Il sourit. Je compris qu’il avait à nouveau eu accès à sa pensée.
« Comment faites vous ?, interrogea-t-il encore. »
Sa voix était douce, respectueuse. Malgré l’impolitesse que cela pouvait représenter, je comprenais son désir d’en savoir davantage. De plus, le vampire qui se tenait assis à nos côtés avait l’air si détaché de tout… il me semblait qu’aucune de nos questions ne pouvait l’importuner.
« Mon don est… très particulier, répondit sans hésiter Kaly de sa voix sourde et calme. J’ai lutté contre lui toute mon existence. Mon plus grand défi a été d’apprendre à ne pas m’en servir. Il m’a fallu des siècles pour cela. Mais il est pratique. Je l’ai un peu utilisé sur vous, j’en suis désolée. Il me permet d’aborder les autres… avec franchise. Enfin, dans une certaine mesure… Je peux leur demander de me livrer leurs sentiments. Ainsi, je sais immédiatement à quoi m’en tenir. J’aime les choses claires et directes. Pour moi, le mensonge et la dissimulation sont une perte de temps inutile. Mon don me permet de les éviter. J’influence le désir. Je suggère. Je persuade. Je peux obtenir ce que je veux de quelqu’un. Vraiment tout. C’est assez terrible en soi... »
Je regardai Edward. Il semblait pensif.
« Vous m’avez d’abord obligé à ne pas lire vos pensées, déclara-t-il ensuite. Et Bella a aussi dit les siennes. Malgré son bouclier ?
_ Son bouclier protège sa pensée, son mental. Moi, je n’ai pas d’emprise directe sur l’esprit, c’est autre chose… C’est antérieur. Je sais manipuler l’envie, les passions, la pulsion primaire… le coeur. Personne n’a jamais su me dire comment cela fonctionne exactement, mais il me semble que cela se situe plutôt à ce niveau-là.
_ Ce que vous avez poussé Aro à faire est incroyable. Et devant tous les Volturi !, gloussa Edward en levant les sourcils.
_ Ils n’étaient pas très nombreux, c’était il y a longtemps. Et il l’avait vraiment cherché. Il fallait que je lui montre qu’il devait me laisser tranquille. Afin qu’il le comprenne… définitivement. Et s’il y a quelque chose que l’orgueil ne supporte pas, c’est bien le ridicule. Tu comprends qu’il ne m’apprécie pas. Je sais qu’il m’appelle le fléau. Enfin, il évite de parler de moi, le plus souvent, mais s’il doit évoquer mon existence, c’est ainsi qu’il me nomme. Je suis un très mauvais souvenir… qui vient juste de se rappeler à lui ! »
Même si je ne pouvais savoir ce qui s’était exactement passé, l’idée qu’Aro ait pu être mis en échec me faisait du bien. Il avait trop longtemps exercé sur moi une peur de chaque instant pour que cette idée n’ait pas l’effet d’une véritable libération. Je ris. Kaly sourit également.
« Vous avez un grand pouvoir, affirma Edward avec une certaine admiration.
_ Tous les dons sont différents. Il s’agit juste d’apprendre à s’en servir. C’est ce qui prend le plus de temps. Et on ne sait jamais comment cela va évoluer. Parce que cela évolue sans cesse, surtout quand on est un vampire. Qui sait ce que le tien deviendra avec le temps ? Ce que les vôtres deviendront… »
Elle prit une poignée de sable, la fit glisser dans sa main. Sur un ton plus las, elle reprit :
« Mon don… mon don est une plaie. Pendant des siècles, je l’ai utilisé malgré moi et… peux-tu seulement imaginer ce que c’est que de pouvoir pousser n’importe qui à faire n’importe quoi ? Tu sais déjà ce que c’est que de devoir vivre en permanence en sachant ce que chacun pense et veut réellement au fond de lui, la souffrance que cela représente de constater la fausseté, les obsessions et les intérêts constants de chacun… Eh bien, moi, non seulement je peux savoir tout cela si je le souhaite mais, en plus, je peux changer les autres pour les faire répondre à mon propre désir. Personne ne me dit non. Si je veux quelque chose, je l’obtiens. Il n’y a pas de difficulté, de lutte ou de risque. Pas de vérité. J’ai perdu la vérité, tout le temps qu’il m’a fallu pour apprendre à ne pas utiliser mon don. J’ai dû apprendre à me battre contre mes propres désirs et ma propre volonté. Apprendre à accepter le refus, à céder alors que j’ai le pouvoir de faire céder. J’ai fini par y parvenir mais… je n’ai de réel repos que dans la solitude. »
Edward hochait la tête. Je savais que les paroles de Kaly faisaient écho à un sentiment qu’il connaissait bien. Contrairement à elle, cependant, Edward subissait en permanence l’assaut des pensées de ceux qui l’entouraient. Elles ne le laissaient jamais en repos. Pour ne pas les entendre, il devait fournir un effort de chaque instant. Son don était aussi une torture pour lui. Sauf avec moi. J’étais la seule qui lui permettait de trouver la paix. La seule… jusqu’à présent.
Je posai ma main sur la sienne. Le soleil avait complètement émergé de l’eau. Il rayonnait de tous ses feux d’or au dessus de l’étendue placide de la mer. Les doigts de la jeune femme aux longs cheveux bouclés caressaient le sable. Je n’éprouvais aucune défiance à son égard. Malgré son étrangeté, elle me semblait amicale, bizarrement familière et proche, alors que tant de temps et d’espace nous avaient toujours séparées. Un long moment, je détaillai son profil. Il n’évoquait rien dans mes souvenirs, pourtant… j’avais l’impression de la reconnaître. Comment cela était-il possible ?





Chapitre 18 : L'autre/ The other one

Comme si elle avait pu percevoir mes interrogations, elle tourna soudain son regard vers moi. J’y lus une sorte de curiosité, mêlée de mystère. Un mystère profond et alarmant… comme une menace, qui me stupéfia et m’effraya. Je pris conscience que je ressentais… une attraction, très particulière, pour cette surprenante vampire. Elle me captivait. C’était là, sans doute, un effet de sa nature. C’était le cas avec Edward, chacun des Cullen ou encore avec les Volturi : aucun humain ne pouvait résister au charme magnétique que ces êtres surnaturels exerçaient. Mais il y avait autre chose… Elle m’inquiétait et me troublait, alors qu’elle dégageait à la fois tant d’assurance, de légèreté et de douceur ! Je sentis que je rougissais à nouveau, comme cela ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Pourquoi me dévisageait-elle ainsi, me détaillant, scrutant l’air autour de ma personne ? Pour couper court à mon malaise, je bredouillai :
« Nous… nous avons de la chance de vous avoir rencontrée.
_ De la chance ?, répéta-t-elle le regard songeur. Je ne sais pas… Je ne crois pas en la chance. Pour moi, c’est… Disons que cela devait sans doute arriver. »
Je souris. Pourquoi son attitude m’était-elle si réconfortante ?
« Vous croyez au destin ?, demandai-je avec un sourire.
_ Je crois en bien peu de choses…, non, autant dire que je ne crois en rien, souffla-t-elle en plissant les yeux. Cela fait longtemps que j’ai cessé de croire… Je me contente de ce que je sais, et c’est déjà beaucoup. J’ai pu constater que, dans ce monde, les choses ont tendance à chercher leur place et à se mettre en place d’elles-mêmes, même si c’est parfois très long. Elles cherchent… une sorte d’équilibre. Les êtres agissent, poussés par… une force qui les dépasse, qui est plus que ce qu’ils ne sont, et qui est ce qu’ils sont profondément, en fait. Je ne sais pas si je me fais comprendre. Tu es… vous êtes très jeunes. Excusez-moi de le dire si directement mais… vous êtes des ignorants. Vous ne savez rien, vous n’avez rien vu. Je ne dis pas que c’est mal. C’est ainsi, voilà tout. C’est un moment délicieux, en soi : l’innocence. C’est très touchant… »
Elle s’interrompit. Ses yeux se posèrent sur Edward.
« Mais la connaissance… apporte une vraie satisfaction… ainsi qu’un grand désarroi. C’est ce qu’il y a de plus inhumain dans le fait d’être un vampire : pouvoir apprendre, toujours. Découvrir et… changer de point de vue en permanence. Une vie humaine ne permet pas ce genre de chose. Ou alors à toute petite échelle. L’histoire de l’humanité est fondée sur l’oubli, et la répétition constante des mêmes choses. Des mêmes prises de conscience, des mêmes erreurs. L’ignorance et l’oubli sont à la fois une bénédiction et une plaie pour le genre humain. Un vampire ne peut rester éternellement dans l’ignorance et, pour lui, l’oubli n’est plus possible. Nous ne pouvons jamais oublier ce que nous avons vu ou vécu et, parfois, cette mémoire devient un douloureux fardeau. Il y a des vampires qui considèrent cela comme notre malédiction. Concernant la nature humaine, l’ignorance mène le monde et tout recommence sans cesse. Certaines choses évoluent pourtant, les sciences, les technologies… c’est ce qui me fascine. Je me demande toujours où cela va. On peut encore être étonné… si l’on se montre attentif aux choses, qu’on les observe avec humilité. Le temps passant, beaucoup de vampires perdent le goût d’exister…
_ Excusez-moi, intervint Edward, mais… quel âge avez-vous exactement ? »
Kaly baissa le regard. Ses longs cils noirs eurent un mouvement léger, comme l’expression d’une confusion, puis elle nous considéra soudain avec malice.
« Exactement ? Je ne sais pas. Le temps… n’existe plus vraiment pour moi. Il y a eu tant de périodes dans mon existence… J’ai été tant de personnes différentes ! Mais pour essayer de te répondre, je dirais que je dois à ce jour avoir vécu… plusieurs millénaires.
_ Quoi ?, soufflai-je. Mais c’est extraordinaire !
_ Extraordinaire ?, elle sourit en soulevant les sourcils. C’est une façon de voir les choses. Ma vie humaine a débuté dans une autre île… en méditerranée. Je suis une Sherdane. »
Kaly cherchait dans mon regard un écho à ses paroles. Mais ce qu’elle venait de dire ne m’évoquait rien. Edward ne réagit pas non plus. Elle secoua la tête et sourit.
« Cela ne vous dit rien, n’est-ce pas ? Les Sherdanes étaient un de ceux qu’on a surnommés les "peuples de la mer". Des pirates, des envahisseurs. Je suis née dans l’île qu’on appelle aujourd’hui la Sardaigne, tout au sud, près de la ville de Cagliari. Ma famille était venue s’y installer longtemps avant que d’autres, plus nombreux, n’arrivent de l’île grecque de Rhodes et ne colonisent totalement le pays. Mon peuple avait des croyances et un mode de vie aujourd’hui oubliés. Si les hommes savaient… Rien ne change, en définitive ! Nous adorions les esprits de la nature, nous construisions des tours pour les abriter et nous protéger. Nous étions pacifiques, même si nous avons dû apprendre à nous protéger peu à peu. Aujourd’hui, on nous appelle les Nuraghes, à cause de nos constructions particulières qui demeurent… Non ? Vous ne voyez pas ce que c’est ?
_ Je suis profondément désolé, s’excusa Edward. Vous avez raison. Nous ignorons beaucoup de choses. »
Kaly ferma les yeux. Elle évoquait des souvenirs. Des souvenirs si lointains qu’elle seule pouvait sans doute les faire vivre encore. Edward les captait, attentif et comme emporté. Je ne lui avais pas vu cette expression passionnée depuis… depuis cette nuit où il avait ressenti les émotions humaines à travers l’esprit de Jacob. A cet instant, je sentis à quel point Edward devait avoir besoin, déjà, de nouveauté, de découvertes, combien la vie devait lui paraître routinière et sans surprise. Il avait à peine un siècle, pourtant ! Et que représentait un siècle face à plusieurs millénaires ? Dans le fond de mon cœur, un nouveau sentiment émergea. Je compris cette alarme que j’avais ressentie, un peu plus tôt, ce sentiment de n’être qu’une page blanche, qu’une petite chose faible et sans intérêt : je craignais qu’Edward ne soit autant fasciné que moi par cette impressionnante vampire. Et peut-être même l’était-il davantage ? Elle pouvait lui apprendre tant de choses… Une onde angoissée courut le long de mon dos.
Quand Kaly rouvrit les yeux, le visage d’Edward exprimait une grande joie.
« Mon père… mon père adorerait pouvoir vous rencontrer, déclara-t-il. C’est un homme -un vampire- sage, qui révère la science et respecte le monde qui l’entoure. Il cherche des réponses, comme nous tous… Vous pourriez lui en donner.
_ Je me méfie de mes semblables, en général, expliqua Kaly en fronçant légèrement les sourcils. Mon expérience m’a montré que ma compagnie… ne leur est pas particulièrement bénéfique. Et la leur me cause souvent du tort, également. Surtout lorsqu’ils vivent en groupe. Ils en viennent fatalement à vouloir m’utiliser. Les plus anciens, notamment. Un vampire seul, et jeune, comme toi, ne représente aucune menace, mais dès qu’il y en a plusieurs… J’ai du mal avec la hiérarchie, l’organisation, la dépendance. Je suis redevenue assez sauvage, avec le temps, finalement ! Et j’aime ma liberté.
_ Nous sommes un clan assez particulier, poursuivit Edward. Nous refusons de prendre la vie d’êtres humains. Nous essayons de cohabiter avec eux, de leur être utiles… »
Les yeux de Kaly s’agrandirent un instant puis ses sourcils s’étirèrent.
« Et vous y parvenez ?
_ Pas toujours. Mais la plupart du temps, oui, assez bien, répondit Edward avec une certaine fierté. Surtout Carlisle. Il soigne les humains, c’est un médecin. Un excellent médecin.
_ En effet, acquiesça Kaly, ce vampire-là a l’air d’avoir du mérite. Il a choisi une voie difficile… et ce sont souvent les plus intéressantes, j’en sais quelque chose. Il existe de nombreux chemins, et nous évoluons, au fur et à mesure que le temps passe. Rien ne dure… Ni notre foi, ni nos mœurs, ni nos amours… Ils ne peuvent durer. Ils ne sont pas faits pour ça, car ils sont à l’échelle humaine. Mais nous, nous durons, quand nous sommes assez solides pour ça. »
J’eus un frisson. Même si j’avais déjà eu l’occasion de l’envisager, la dernière affirmation de Kaly augmenta mon inquiétude. Il était assez difficile pour moi de considérer l’existence du point de vue d’un immortel, mais ce qui venait d’être dit avait des accents de vérité qui remuèrent en moi d’autres vieilles peurs. Mes choix, ma vie, mon amour… tout cela n’avait de réelle valeur que parce que j’étais mortelle, parce que tout devait cesser d’exister un jour. C’était cela qui rendait chaque chose, chaque instant, si précieux.
« Comment êtes-vous parvenue à vivre ainsi ?, murmura Edward la mâchoire tendue et le regard rivé sur l’horizon. Cela me semble insupportable. Moi, j’ai besoin de croire, d’être convaincu qu’il y a une vérité. J’ai besoin d’aimer, d’un amour unique. Sinon… plus rien n’a de sens. »
Kaly considéra Edward pendant quelques secondes, puis elle sourit. Elle baissa ensuite son regard vers moi.
« Vous êtes si jeunes… si frais ! Vraiment tous neufs…, rit-elle tout à fait. Et tellement marqués, conditionnés, façonnés à votre insu par votre temps ! Mais j’apprécie beaucoup, ne vous y trompez pas. Cela me rappelle des souvenirs... Et puis mon point de vue n’a pas besoin d’être partagé, je n’ai pas l’intention de l’imposer à quiconque. Je sais seulement que… c’est lorsqu’on se perd qu’on peut ensuite se retrouver. A cause de mon don, j’ai dû abandonner cette idée de vérité très tôt. Et c’est en m’en éloignant qu’elle m’est apparue, là où je ne l’attendais pas. Nous avons chacun nos expériences, ce sont elles qui nous construisent. Ce que je sais, je le sais parce que je l’ai éprouvé. Très douloureusement, la plupart du temps. J’ai… beaucoup vu, beaucoup vécu. De nombreux vampires, très anciens, recherchent la mort comme une délivrance. Le plus souvent, l’ennui a raison d’eux. C’est le pire des maux, lorsque l’on vit plusieurs vies d’homme. Il est très difficile de ne pas y succomber, de ne pas perdre tout goût pour l’existence. Certains vampires finissent par choisir de disparaître de leur plein gré, ce qui n’est pas une chose aisée. J’en ai croisé. D’autres encore, perdent la raison. Je me suis approchée de ces états… ils ne m’ont pas emportée, je les ai traversés. Et il y a autre chose, après, encore. Toujours. Des surprises et de nouvelles questions. Car je n’ai pas toutes les réponses. Personne de les a. Aujourd’hui, je suis encore là, et je suis sereine. Une vraie ermite, mais… paisible !, acheva-t-elle avec un petit sourire, une main posée sur sa poitrine.
_ Savez-vous s’il existe beaucoup d’autres vampires, plus anciens que vous encore ?, fis-je en glissant mes doigts dans la main d’Edward.
_ Beaucoup, je ne le sais pas. Les anciens ne se montrent guère. Je suppose que oui. J’en ai connu. Celui qui m’a faite était déjà très vieux quand je l’ai rencontré. Je ne l’ai pas revu depuis… une éternité. Mais il est peut-être toujours là, quelque part. »
Les pupilles de Kaly s’assombrirent. Un moment, tout son corps parut se pétrifier et son visage perdit toute expression. Je me tus.
Devant nous, dans le ciel clair, le soleil suivait sa course. La mer était d’un bleu translucide.





Chapitre 19 : Kaly


Je n’osais pas poser encore d’autres questions, pourtant, elles me brûlaient les lèvres. Edward aussi demeurait silencieux. Je me penchai en avant, touchai ma cheville. Elle était gonflée, rouge et douloureuse. Ma tête était lourde, également, et je ne percevais toujours aucune odeur. Je soupirai.
Kaly se retourna vers nous, un nouvel éclat dans les pupilles.
« J’ai vécu ce que vous vivez, déclara-t-elle en promenant son regard sur Edward et moi. L’enchantement. Cela n’est pas très fréquent, et très difficile...
_ Ce qu’Aro appelle la cantante ?, enchaînai-je aussitôt. »
Elle hocha la tête.
« Le premier vampire que j’ai rencontré s’appelait Labryos. Il m’a expliqué que je l’avais enchanté, que je lui avais ravi son cœur et son âme. Il était mon ravi et moi son enchanteresse. Ce phénomène a plusieurs noms.
_ C’est lui qui vous a transformée ?
_ Non. Il ne voulait pas. Un autre l’a fait. »
Spontanément, les doigts d’Edward se resserrèrent légèrement autour des miens.
« Comment saviez-vous pour nous ?, demandai-je encore. C’est la rumeur qui vous l’a dit ? »
Kaly plissa les yeux.
« La rumeur ne disait rien à ce sujet. Disons que… cela se voit de manière évidente. Un vampire, en compagnie d’une humaine, ce n’est pas très habituel. Qui la protège et… l’épouse, fit-elle en désignant nos mains, c’est encore plus rare ! L’attitude d’Edward m’a rappelé celle de Labryos, et je sais que c’est une terrible souffrance. Je n’ai jamais été enchantée, moi-même, mais je suis convaincue qu’il n’y a que deux façons de se comporter pour un vampire, lorsqu’il subit l’enchantement. Soit il cherche à maintenir en vie l’humain qui l’a charmé, coûte que coûte, au risque de se perdre lui-même, soit… il le tue immédiatement, que ce soit pour en faire un vampire ou simplement boire son sang. L’attraction qu’il représente est trop puissante. Y résister est extrêmement difficile, même avec le temps et l’habitude, il faut être particulièrement fort... »
Nos mains étaient toujours unies. Je pouvais sentir mon cœur battre dans chacun de mes doigts, le sang circuler dans mes phalanges. Je savais qu’Edward m’aimait… et me désirait, plus qu’aucun autre vampire -qu’aucun autre homme- ne le ferait jamais. Je savais ce qu’il avait enduré pour moi.
J’avais tant envie de demander à Kaly ce qu’était devenu Labryos, pourquoi il n’était plus avec elle ! Mais je craignais qu’Edward ne souffre de ma question. A ma grande surprise, il leva vers notre hôte un regard dur.
« Le charme a été rompu. Quand vous avez été transformée, n’est-ce pas ? Rien n’a plus jamais été pareil… »
Kaly plongea ses yeux extraordinaires dans ceux d’Edward. Elle avait une façon vraiment particulière de nous regarder. Je ne savais pas si l’impression qu’elle me donnait était due à l’effet que l’âge avait eu sur sa nature ou bien à la couleur si spéciale de ses yeux… mais son regard m’était impossible à soutenir car il donnait la sensation de se retrouver nu, soudain, jusqu’au plus profond de son âme. Edward fronça légèrement les sourcils, son air se fit triste.
« C’est ce qui t’inquiète, souffla doucement Kaly. Je comprends… tu vas être déçu par ce que je peux t’en dire. Dans un sens, malheureusement, tu as raison. Le fait que je devienne un vampire a profondément changé les choses. Mais… en ce qui nous concernait, c’était un peu plus compliqué. Il y a d’autres responsables à notre séparation : la vie, le temps, nous-mêmes… Ma rencontre avec Labryos n’a pas été des plus "romantiques". Ni le temps que nous avons passé ensemble, d’ailleurs. J’étais très jeune, j’avais… été vouée à notre déesse. Tu vois, comme vous, j’étais déjà une humaine assez différente. Ma famille avait remarqué ma capacité à orienter les autres. Ou à les désorienter, plutôt. Alors, quand j’ai eu une dizaine d’année, j’ai été choisie pour devenir une prêtresse de Ma, la Grande Mère, que mon peuple appelait aussi Dana. On m’a appris beaucoup de choses. Nos Telchines nous enseignaient ce que les servantes de la déesse devaient savoir. Il y avait des cérémonies, des rites, des fêtes. Le temps a passé. Sans le savoir, j’ai été remarquée lors d’une célébration, par un marchand. Un marchand d’esclaves. Des esclaves spécialement destinés à des maîtres exigeants. A cette époque, comme à d’autres, d’ailleurs, ce commerce occulte avait un certain succès. J’ai été enlevée, vendue, achetée. Si j’avais été proposée ailleurs, je n’existerais sans doute plus. Mais c’est Labryos qui m’a achetée, et cette rencontre a bouleversé nos vies. C’était un vampire qui avait quelques siècles, déjà. Il était dur et très possessif. Mais avec moi, il devenait quelqu’un d’autre. Il avait vu beaucoup de choses dont j’ignorais l’existence, il m’a raconté des histoires fabuleuses, m’a emmenée dans des villes et des pays que je ne connaissais pas. Nous avons vécu quelques années en Crète. Il ne me traitait pas en esclave, mais comme sa maîtresse. Le temps passant, cependant, il devenait triste et versatile. Je savais qu’il voulait me voir heureuse, mais mon bonheur n’était pas compatible avec le sien. Je connaissais sa nature, je le voyais tuer, mais je ne pensais pas qu’il m’était possible d’y faire quelque chose. La mort -celle d’esclaves- était si courante ! Je suis devenue une affreuse jeune femme, capricieuse et exigeante, trop gâtée. Je prenais conscience de mon pouvoir et j’aimais en jouer. J’aimais aussi jouer de ce qu’on m’avait appris quand je servais la déesse. Labryos m’aimait passionnément, irrationnellement. Il voulait me voir vivre. Il me donna des amants… qu’il tuait. J’eus des enfants. Après avoir donné la vie au troisième, j’ai été très malade et j’ai manqué mourir. Mais, jamais, il n’a voulu faire de moi un vampire. Il m’a soignée, et guérie. J’aurais pu passer ma vie d’humaine près de lui. Il me disait qu’il aimait être "brûlé" par ce qu’il ressentait, parce que c’était tellement plus fort que tout ce qu’il avait pu vivre… alors il endurait sa douleur.
Cependant, lors d’un banquet qu’il avait organisé -un banquet de vampires venus déguster des esclaves de premier choix- un de ses amis arriva en compagnie d’un vampire très particulier, jeune en apparence, et très beau. C’est lui qui m’a transformée. Il s’appelait Kûsh. Il n’avait peur de rien ni de personne. Il était merveilleux. Absolument incroyable. C’est ce que j’ai cru du moins, longtemps. J’étais très attachée à mon maître mais… je suis tombée amoureuse, comme une humaine peut s’éprendre d’un vampire extraordinaire. C’était plus fort encore que l’attirance que Labryos exerçait sur moi. Cependant, abandonner mes enfants m’était une idée parfaitement inenvisageable. Kûsh n’a rien voulu savoir. Il est venu me chercher, m’a emportée -c’était si simple pour lui : ce qu’il voulait, il le prenait !- et il a fait de moi ce que je suis. Immédiatement, et sans aucune hésitation. Il désirait une compagne. Quand j’ai été transformée, je me suis sentie perdue. Je ne savais plus quoi faire. La soif… était ma seule obsession. Je craignais de revoir mes enfants. Je pensais que Labryos chercherait à nous retrouver, qu’il nous tuerait, peut-être, mais je ne l’ai jamais revu. Avec Kûsh, nous sommes partis, loin. Nous nous sommes établis un moment à Ur, puis à Babylone. Mon existence est devenue très différente. J’étais un vampire et Kûsh était persuadé que le monde nous appartenait, que nous étions des dieux et devions être traités comme tels. Il était tellement puissant, il savait tant de choses ! Un moment, je l’ai cru… Nous étions véritablement insensés. »
Kaly s’interrompit. Ce qu’elle venait de nous raconter m’avait stupéfaite. A la voir, telle qu’elle était aujourd’hui devant nous, si calme et si douce, j’avais du mal à croire ce qu’avait pu être son existence. J’en percevais toute la violence, et je ne pouvais sans doute pas m’en figurer l’étendue réelle. C’était une bien longue existence. Sans doute lui avait-elle donné l’occasion de vivre plusieurs vies, d’être plusieurs personnes, très différentes, comme elle nous l’avait expliqué.
Cependant, son expérience n’apportait pas à Edward la réponse qu’il attendait. Elle avait quitté Labryos avant de devenir vampire. Qui sait s’il l’aurait aimé avec autant de passion ensuite ? C’était cela qui préoccupait Edward, qui lui faisait peur, au plus profond de lui. Cela qui le poussait sans doute à accepter, à préférer, que je reste humaine, même si je devais en mourir un jour, je le savais bien. Peut-être ressentait-il la même chose que Labryos. Peut-être avait-il pris goût à sa brûlure.
Je repensai au premier rêve que j’avais fait, il y avait bien longtemps maintenant. Je m’étais vue y devenir vampire. Edward m’avait transformée pour ne pas que je perde la vie, après que j’aie donné naissance à notre enfant. Je me demandai s’il en serait capable, en réalité. S’il prendrait le risque de voir notre amour, son amour pour moi, disparaître à jamais, alors que mon existence durerait éternellement. Je ne savais pas si je serais, moi-même, capable de prendre ce risque. Je pensai alors à Sarah et Karel, qui étaient si loin de moi à présent.
« J’ai des enfants, déclarai-je et je sentis ma gorge se serrer.
_ Ah ?, fit Kaly en souriant doucement. C’est bien. Les enfants sont la seule manière que nous avons de réellement nous survivre. Ils sont la vraie immortalité, celle de la vie qui continue et se renouvelle. Moi, je ne sais pas ce que les miens sont devenus. Je me dis que leurs descendants vivent, quelque part dans le monde. Je l’espère en tout cas.
_ Vous n’avez jamais cherché à les revoir ?
_ Si. Mais beaucoup de temps s’était écoulé, que je n’avais pas vu passer. Un jour, j’ai appris qu’une catastrophe avait ravagé l’île et la ville où nous avions vécu. Une éruption volcanique avait détruit une grande partie du pays. Alors je suis partie à la recherche de ma famille. Je voulais les sauver, si c’était encore possible, retrouver des survivants. Je me demandais ce que Labryos était devenu également. Mais je n’ai rien trouvé. Que la ruine, la mort et la désolation. Cet événement a fait de moi une vraie furie, j’étais emplie de rage, je n’étais plus moi-même. Je me suis perdue. C’est à partir de ce moment que Kûsh m’a rebaptisée Kaly. Il disait que l’esprit du volcan en colère était entré en moi, cela l’amusait beaucoup. Il était complètement inconscient de ce que peuvent éprouver les humains, il avait oublié depuis trop longtemps ce que c’était que d’être humain, et moi, je l’étais encore un peu. J’ai vécu plusieurs siècles encore avec lui mais, progressivement, notre relation s’est dégradée et nos chemins se sont séparés.
_ Vous avez vécu des choses terribles, déclarai-je émue. »
Kaly posa sur moi ses yeux d’acier.
« J’ai vu, et j’ai fait, des choses terribles. J’ai essayé d’être juste aussi, ensuite. Mais, en réalité, il n’y a pas de justice. En croyant être juste, on se trompe souvent. Etre un vampire, rend la monstruosité, le meurtre et la barbarie… légitimes. Et pourtant, j’ai vu des être humains se comporter plus cruellement que je n’aurais jamais pu le faire ! Ce monde est plein de bruit et de fureur. Si vous en avez été préservés, si vous n’en connaissez ou n’en imaginez même pas la plus petite part, vous pouvez vous en réjouir, d’une certaine manière. En ce qui me concerne, je n’ai plus aucune illusion sur la nature humaine, ou la mienne d’ailleurs. Je me contente juste de m’émerveiller, parfois, de ce qu’elle parvient à accomplir, et j’essaie de ne pas m’apitoyer sur les atrocités dont sont capables les hommes. »
Edward restait silencieux. Il avait écouté notre conversation et semblait réfléchir, le regard baissé vers le sable. Un moment, je posai ma tête sur son bras et fixai la mer ondulante.

« Quand je suis devenu vampire, reprit Edward après avoir déposé un baiser sur mon front, j’ai voulu me montrer juste. J’ai cherché à devenir un instrument de la justice. J’ai résolu d’employer ma nature… au mieux. Enfin, à ce qu’il me semblait. J’ai tué des criminels. Des hommes dont je pouvais, à travers leur pensée, connaître les intentions : des assassins, des violeurs, des humains dangereux pour leurs semblables. Mais qui étais-je, moi, pour me permettre d’agir de la sorte ? J’ai réalisé alors que j’étais comme eux, que je n’étais pas plus qu’eux. Le choix de Carlisle, la ligne de conduite de notre clan, me sont apparus comme la meilleure solution. »
Kaly hocha la tête. Elle semblait attendrie.
« Ce que tu as fait, je l’ai fait aussi. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’y avait plus rien de commun entre nous et les hommes. Que je devais me détacher de l’humanité. Ce qui a été très difficile pour moi, peut-être encore davantage que cette envie que j’avais de réparer leurs erreurs, d’utiliser mon pouvoir pour mettre de l’ordre dans le monde, a été d’accepter la disparition de certains d’entre eux, que j’ai connus et aimés. J’ai rencontré des humains merveilleux, au cours de ma longue existence au milieu d’eux, des hommes et des femmes exceptionnels, uniques par leur beauté, leur intelligence, leur personnalité… et je ne pouvais me résoudre à ce qu’ils doivent mourir. Cela, je n’ai pas pu le tolérer, pendant très longtemps. J’en ai changé certains en vampires. Mais un jour, j’ai compris que ce n’était pas non plus un pouvoir que je devais me permettre d’exercer comme bon me semblait. Que je ne les sauvais pas. Je l’ai compris le jour où un des êtres humains, à qui j’avais proposé de devenir mon semblable pour échapper à la mort, a refusé. Aujourd’hui encore, il me manque tellement ! Je ne cesserai jamais d’avoir des regrets. J’ai dû apprendre à respecter et à accepter la mort. C’est ainsi que j’ai compris le vrai sens de la vie. De la vie humaine. Et que je m’en suis détachée. Je ne la regarde plus que rarement, et de loin. Mais j’ai acquis la force de la regarder bien en face lorsque je le fais, de l’apprécier, et de la laisser passer. Comme je regarde chaque lever et chaque coucher de soleil, tous uniques et différents, sans pouvoir les retenir, ni espérer les faire durer toujours. J’ai gardé l’envie, cependant, la curiosité de savoir à quoi le prochain ressemblera. Elle est dans mon être profond. C’est elle qui me pousse encore et m’a permis de poursuivre ma route sans succomber à l’ennui, même si, évidemment, il m’arrive quelques fois de me demander si mon existence n’a pas atteint ses limites... »
A cet instant, Kaly prit une profonde inspiration. Je compris la gravité de ses dernières paroles. Mais, presque aussitôt, ses yeux retrouvèrent une expression douce et calme. Elle reprit :
« Pour un vampire, rester attaché à l’humanité est la pire des souffrances. Nous n’en faisons plus partie. Nous sommes autre chose. Et il n’y a pas d’ordre dans le monde. Ou plutôt si, il y en a un, mais que nous ne pouvons ni comprendre totalement, ni influencer. Tenter de le faire, c’est se leurrer. Je pense sincèrement que pour vivre en harmonie avec le monde dans lequel nous sommes, chacun doit suivre sa nature profonde, et ce n’est pas si facile. Boire le sang des êtres humains fait partie de notre nature… cependant, nous pouvons la soumettre et non pas y être soumis. Le renoncement que ton clan a choisi, je peux le comprendre, moi-même j’ai appris à renoncer. Mais je sais aussi que tout ce qui existe a sa place, et mérite le respect. Nous-mêmes, nous devons nous respecter et apprendre à aimer notre propre nature que nous haïssons, d’abord, quand l’humain que nous avons été est encore trop présent en nous. Avec le temps… tu verras. Ce que je sais m’a permis de comprendre qui je suis, et j’ai trouvé ma propre voie. Il faut longtemps pour comprendre et maîtriser la nature vampirique. La maîtriser, ce n’est pas en abuser ni la brimer. Et dans sa maîtrise, on parvient à trouver un réel bonheur, une exaltation. Je dirais même une sorte… d’extase. »
Sans m’en apercevoir, je m’étais redressée. Encore une fois, les paroles de Kaly trouvaient en moi leur écho. Ce qu’elle exprimait, je l’avais pressenti, malgré ma courte existence. Chaque événement de ma vie, chaque épreuve que j’avais vécue, en était le condensé. J’étais heureuse d’entendre, pour la première fois, un vampire s’exprimer avec autant de sagesse au sujet des humains et des vampires. Sans ne mépriser ni les uns, ni les autres. Je regardai Edward. Ses yeux brillaient. Tout son être, surnaturel, resplendissait dans cette lumière vive du jour. Les petits éclats de diamants de sa peau scintillaient… mais il y avait autre chose encore. Il paraissait ému, troublé. Son visage avait une expression que je ne lui avais jamais vue. Lui aussi, avait entendu des mots qui disaient clairement ce qu’il avait toujours ressenti, qui expliquaient sa réticence à faire de moi un vampire, lorsque je le lui avais demandé, quelques années auparavant.
Mon cœur se serra. Jamais je n’avais autant eu le sentiment que nous étions si différents l’un de l’autre, que quelque chose nous séparait, profondément. Quelque chose d’essentiel.
Alors, l’idée me vint -l’idée terrible- que je pouvais à présent le perdre.





Chapitre 20 : Révélations



Le soleil était haut dans le ciel.
Il faisait chaud. Nous étions baignés de lumière. Mais dans mon âme, dans mon corps blessé, dans mon cœur, une ombre, insidieuse et avide, étendait lentement ses voiles opaques. C’était comme si la nuit précédente, cette nuit dense, pesante, était revenue, ou plutôt qu’elle n’avait pas cessé, malgré le lever du jour.
« Vous tuez toujours des êtres humains, n’est-ce pas ? »
La question d’Edward ressemblait davantage à une affirmation. Un frisson me parcourut. Prendre conscience que je me trouvais en présence d’êtres qui avaient tué mes semblables pour étancher leur soif ne pouvait me laisser indifférente et me donnait toujours une sensation de malaise.
« Il m’arrive de boire leur sang, répondit Kaly d’une voix basse. Je n’ai pas besoin de les tuer, mais si je le faisais, je n’en éprouverais pas de remord. J’ai accepté depuis longtemps l’idée que je peux être la mort qu’ils rencontrent un jour sur leur chemin, comme un hasard. La mort fait partie de l’existence humaine, de son fonctionnement même. Pour ce qui est de leur sang… ils me l’offrent, quand je le leur demande, tout comme je peux leur demander d’oublier ce qu’ils ont fait. Je peux les amener à faire beaucoup de choses. J’ai ce pouvoir, et la morsure n’est pas nécessaire. On peut retenir la pulsion de la morsure et seulement boire. Alors cela m’arrive, oui. Mais très rarement à présent. Vivre dans l’eau fait taire l’envie et puis… j’ai appris à aller au-delà de la souffrance que cela entraîne. Au bout de cette souffrance, il y a la paix. Il y a toujours une récompense prodigieuse lorsqu’on parvient à aller au-delà de soi-même.
_ La couleur de vos yeux… Votre peau… Ils sont donc dus à cela, remarquai-je.
_ Il semble, effectivement, que ce soit un des effets de l’abstinence et de la vie aquatique qui, selon moi, sont notre mode de vie naturel. Elles rendent aussi plus… réceptifs, elles aiguisent les sens vampiriques, et donnent une grande force. Elles permettent à notre âme de se rapprocher des choses immatérielles. Et c’est un état que j’aime par-dessus tout.
« J’ai toujours pensé que nous étions des êtres maudits, déclara Edward en se mordant les lèvres. Que nous avions perdu notre âme en devenant vampires… que nous la volions à ceux que nous transformions à notre image. »
Kaly leva légèrement les sourcils.
« Tu t’inquiètes pour ton âme ?, sourit-elle. Tu crois l’avoir perdue ? Mais où serait-elle donc passée ? »
Sa voix avait une intonation de surprise.
« Je peux t’assurer que ce que tu appelles ton âme est bien là, au contraire, dans ton corps de vampire. Sinon, tu ne serais pas comme tu l’es ! Elle y est même attachée très, très solidement... C’est une des conséquences de la transformation. »
Les yeux d’Edward s’agrandirent.
« Vous avez des certitudes concernant notre âme ?, s’exclama-t-il.
_ Des certitudes… il est difficile de parler de certitudes concernant une partie de notre être qui ne se voit pas mais je sais certaines choses, des choses dont j’ai fait moi-même l’expérience, et qui font que je ne raisonne pas du tout comme tu le fais. »
Elle rit tout à fait. Sa légèreté contrastait étonnamment avec la gravité qui se lisait à présent sur le visage d’Edward.
« Des enfants !..., plaisanta-t-elle même. Votre ignorance vous conduit à vivre dans la peur et la tristesse. Elle vous pousse même à vous sentir coupables. Ce sont encore des sentiments humains que tu éprouves à travers ta nature de vampire. Et ils sont aussi dû à l’époque qui t’a vu naître et vivre… Tu es marqué, consciemment ou inconsciemment, par les croyances de ton temps et l’oubli qui caractérise le monde dans lequel tu vis aujourd’hui. »
Nous ne savions plus quoi répondre. Kaly nous considérait avec un air las et presque désolé. Elle comprit qu’il lui fallait expliquer.
« Je suis née à une époque où l’on vénérait les éléments, la terre, le soleil et l’eau, où l’on vivait près de la nature et à travers elle. Les hommes… y étaient peut-être plus humains qu’aujourd’hui. Il ont oublié, depuis, tant de choses ! Peut-être finiront-ils par les redécouvrir ? On ne parlait ni de Dieu ni de diable, alors, il n’y avait ni enfer ni paradis. Il y avait la vie et la mort. Il y avait les esprits, les corps, les forces essentielles. Il y avait d’autres histoires, d’autres légendes. J’en connais beaucoup. Elles proviennent du monde entier. Et elles se ressemblent toutes tant qu’il est impossible de ne pas y voir des vestiges de nos origines et des vérités à propos de ce que nous sommes. Humains ou vampires. Vous ne savez donc rien à ce sujet ?
_ Je ne connais personne qui sache quoi que ce soit à ce propos, répondit Edward visiblement ébranlé. Je connais certaines légendes concernant les vampires, certains mythes et certaines croyances. Le folklore. Ce que tout le monde connaît. Ils n’apportent pas de réponse…
_ Ils disent tout ce qu’il y a à savoir au contraire ! Tout ce que nous sommes encore en mesure de savoir. Si on les ignore, ou s’ils sombrent dans l’oubli, ceux qui viendront après nous ignoreront tout, c’est certain. Peut-être est-ce ainsi que les choses doivent aller, ma foi… Quoi qu’il en soit, les vampires ont leurs propres légendes et elles ne sont pas bien différentes de celles des humains. Nous sommes tous liés. J’ai vu certaines choses de mes propres yeux, on m’en a raconté d’autres dont je ne peux affirmer qu’elles disent l’absolue vérité mais… elles sont assez sensées et d’un grand intérêt.
_ Vous savez d’où nous venons ?, souffla Edward.
_ Cela, précisément, non, mais je peux vous dire ce qu’on m’a raconté. »
Le regard de Kaly était paisible, elle sentait que nous étions troublés.

« Nous, les vampires, serions en quelque sorte des enfants de la Nuit et de l’Océan, commença-t-elle. Cela ne vous paraît pas une évidence ? Ne le sentez-vous pas ? Kûsh m’a appris beaucoup de ce que je sais, et il m’a montré énormément de choses. Il était un vampire très ancien. Pour lui, ces histoires étaient la mémoire de notre passé. Je continue à les considérer comme des mythes, pour ma part, mais il me semble qu’ils expliquent bien ce que nous sommes.
Une de ces légendes raconte que les premiers vampires vivaient dans la mer. C’est pour cela que nous sommes si à l’aise dans l’eau, que nous n’avons pas besoin de respirer, que nous ne craignons pas les profondeurs et que nous y voyons clairement. C’est pour cette raison que notre peau change quand nous nous métamorphosons. Les vampires sont d’abord faits pour vivre dans l’eau. Peu à peu, ils ont voulu vivre comme des humains, se mêler à eux, mais c’était une erreur. C’était déjà une perversion de leur propre nature. Kûsh me disait que nous étions les vraies sirènes de ce monde. Et il est vrai que, personnellement, je passe plus de temps dans l’eau que sur la terre ferme. Vivre sur cette île me convient parfaitement.
Tous les mythes humains, toutes les légendes concernant les sirènes proviendraient de ces premiers peuples qui habitaient les mers. On les présentait comme séduisants, enchanteurs -possédant un chant merveilleux, d’ailleurs- et parfois dangereux, assoiffés de sang. Du sang des humains, de sa vibration qui nous attire comme une musique irrésistible. Nous sommes particulièrement sensibles à la musique… il semblerait que ce soit en lien avec notre origine première. Le chant du sang humain nous la rappelle et c’est ce qui nous pousse à le vouloir avec tant de force, même si nous pouvons, peu à peu, nous en passer.
Au fil du temps, ces premiers peuples marins, conscients de leur origine, auraient cherché à prendre le pouvoir sur les êtres humains et à dominer le monde. Ils seraient alors devenus plus avides encore du sang des hommes, désireux de s’en nourrir constamment, et davantage par plaisir que par nécessité. Ils s’organisèrent, construisirent une grande cité où même certains hommes vinrent s’installer et vécurent longtemps heureux, puis ils commencèrent à mener des guerres. Finalement, ils auraient été vaincus par les armées levées par les hommes et leurs alliés aux grands pouvoirs. Les légendes présentent ces derniers comme des dieux, maîtrisant les éléments, ou peut-être bien encore des sortes de mages. Une fois la grande cité des êtres de la mer détruite, ce sont eux qui ont, ensuite, régné sur les peuples de la terre avant d’abandonner totalement le pouvoir aux êtres humains et de disparaître en se cachant parmi eux. Pour cette raison, les vampires auraient eux aussi voulu quitter les profondeurs marines et se mêler aux hommes. Il semblerait également qu’ils aient toujours eu du mal à ne pas chercher à exercer une domination sur eux. Souvent, je me demande si les Volturi ne vont pas reproduire la même erreur que nos ancêtres. Ils considèrent les hommes comme du bétail, parfois. Il leur en faudrait peu pour décider de les asservir… »
Kaly s’était interrompue, elle secouait la tête en signe de désapprobation. Le regard d’Edward glissait sur la mer.
« Que voulez-vous dire quand vous parlez de "votre origine première" et de votre attirance irrésistible pour le "chant" du sang humain ?, demandai-je.
_ Il y a certains mythes qui racontent comment serait née la lignée des vampires, répondit Kaly avec un petit sourire. Celles des vampires, des hommes et des mages. Les trois lignées qui auraient existé à l’origine et progressivement peuplé la terre.
_ Qui sont ceux que vous appelez les mages ? Ce sont des magiciens ? Des sorciers ?
_ Des êtres quasi-humains qui ont certaines aptitudes très particulières. On les appelle mages, chamanes, sorciers…, ils ont beaucoup de noms et des capacités diverses, selon les humains avec lesquels ils se sont unis. Nos Telchines, par exemple, étaient issus d’une lignée de mages très puissants. Le point commun entre toutes ces familles est que leurs membres peuvent influencer la matière du monde. Ils ont le pouvoir de changer d’apparence, de commander aux éléments avec une grande puissance, de détacher leur esprit de leur corps, et d’autres choses encore. Ils sont assez discrets, cependant. Bien plus que les vampires, en tout cas. »
Je ne savais pas si ce que Kaly évoquait avait un rapport avec ce que j’avais découvert concernant le peuple des Quileutes et le clan des Transformateurs. Pourtant, la description qu’elle venait de faire s’en rapprochait tout à fait et je repensai à cette impressionnante capacité qu’ils avaient de changer leur corps en ceux d’animaux fabuleux.
« Ce mythe n’a rien d’insolite, poursuivit Kaly. Il se rapproche beaucoup de tous les récits de création du monde que vous pouvez connaître. Sans entrer dans les détails, je peux vous dire qu’il parle d’un esprit originel -que vous pouvez appeler Dieu si vous voulez, il porte tant de noms !- qui aurait créé le monde et les hommes. Avant eux, il s’était entouré d’esprits supérieurs, issus de lui-même, et qui lui servaient d’aides. Au moment où il aurait décidé de créer les êtres humains, ce dieu aurait choisi de s’incarner totalement dans sa propre création, de s’y absorber, lui donnant sa propre vibration de vie, la musique de son souffle. Et l’humanité aurait débuté, se serait développée, aurait évolué. Le monde des hommes aurait connu les évènements que nous ont rapportés les très anciens textes qui sont devenus les textes sacrés des hommes. Plus tard, quelques esprits supérieurs auraient décidé de rejoindre leur dieu absorbé dans sa création, en s’incarnant à leur tour. Certaines versions du mythe disent que les esprits dont nous sommes issus avaient d’abord eu l’intention de détruire l’humanité qui s’était révélée une création imparfaite et chaotique, alors que d’autres souhaitaient la protéger. Ils étaient tous des esprits faits de feu et d’eau, des esprits purificateurs. Parfois, on les appelle daïmon, mais on pourrait aussi les apparenter à des anges. En tout cas, il jouent le même rôle.
Quoi qu’il en soit, ces esprits auraient finalement renoncé à faire ce pour quoi ils étaient venus et se seraient unis à des êtres humains par désespoir d’avoir été abandonnés par leur dieu ou par amour pour son œuvre. C’est vraiment la partie la plus stupéfiante de l’histoire et, pour moi, la plus révélatrice. On se sait pas combien ils étaient au juste. Certaines légendes en mentionnent un seul, à la double nature, ou bien deux, d’autres, encore, vingt-deux. Ils ont même des noms. Des noms très intéressants. On les appelle Samaël, Ozriel, Shaytan, Nakash ou encore Iblis. Ce qui est intéressant, c’est que ces noms évoquent le feu ou le venin. En prenant possession du corps des hommes, ils se seraient, comme leur créateur, dissous en eux, mais cette fusion aurait donné naissance à deux nouvelles lignées, distinctes de celle des hommes. Celle des Brûlants et celles des Etres froids, selon la sensibilité de l’esprit incarné. Afin de laisser les humains vivre en paix, les premiers auraient d’abord choisi d’aller habiter les régions lointaines, aux extrémités du monde -sans doute les pôles- et les seconds auraient peuplé les mers du milieu. C’est ainsi que seraient nées la lignée des mages et celle des vampires. »
Kaly se tut. Elle nous considéra un moment, son regard métallique cherchant dans les nôtres une réaction. Nous étions médusés.

Un instant après, Edward sourit.
« Je n’avais jamais entendu cette légende, assura-t-il. C’est effectivement une histoire très intrigante. Elle laisse imaginer beaucoup de choses…
_ Plus que vous ne pouvez croire, répondit Kaly. D’autres histoires expliquent encore de manière plus précise le fonctionnement de notre nature, pourquoi nous nous sentons parfois si déchirés, pourquoi nous désirons ardemment boire le sang des êtres humains et n’enfantons pas comme eux mais à partir d’eux.
_ Vraiment ?
_ Oui. Ce serait l’expression de l’esprit qui nous a créés. Il voulait l’anéantissement de l’humanité, mais il aimait son dieu. Il n’avait pas l’intention d’engendrer lui-même d’autres êtres à son image. Il voulait juste retrouver la vibration divine, à travers le souffle et le chant du sang des hommes, en lesquels résidait désormais son créateur. Il faut croire que la nature humaine dans laquelle il s’est fondu en a décidé un peu autrement… Cette union a eu de surprenants effets. Ainsi, par essence, nous sommes solitaires et sujets à la culpabilité, quand nous ne choisissons pas de suivre notre instinct de prédateurs, notre pulsion destructrice. Nous sommes en permanence pris entre deux aspirations contraires. Si elle nous pousse à tuer, notre nature nous a aussi faits séduisants pour les hommes, puissants et immortels. L’esprit qui a donné naissance à la lignée des mages, lui, a produit des êtres très différents. Il voulait se fondre dans l’humanité, s’assimiler à elle, pour la protéger. Même s’ils ont gardé des pouvoirs surnaturels qui peuvent se révéler extrêmement impressionnants lorsqu’ils sont convenablement maîtrisés, ils vivent donc comme des êtres humains qui donnent la vie et s’éteignent. Ils ont perdu la liberté de choisir. Et, peu à peu, comme les hommes, ils oublient ce qu’ils ont été et même, parfois, ce dont ils sont capables.
Les humains ont toujours connu et redouté ces êtres à la double nature, à la fois si proches et si éloignés de ce qu’ils sont eux-mêmes. Ils les ont d’abord appelés nephilims, ce qui signifie "ceux qui font tomber les autres", et les considéraient comme des êtres supérieurs. Certains mages, comme certains vampires, ont longtemps cru que leur rôle était effectivement de dominer l’humanité. Cependant, nous avons tous la même origine...
_ Il me semble, dis-je, que tout cela sonne vrai.
_ Ce sont des mythes, souffla Edward avec un nouveau sourire. Nous ne saurons jamais…
_ Effectivement, intervint notre hôte en souriant également, certaines vérités sont perdues dans la nuit des temps, mais pour d’autres, il existe des preuves. Je les ai vues moi-même et je sais qu’il reste peu de vampires qui en ont, comme moi, connaissance. Je ne pense pas que les Volturi sachent… cela ne les a jamais intéressés, d’ailleurs. Et c’est sans doute mieux comme cela. Qui sait comment ils réagiraient s’ils savaient ?
_ Comment ?, fit Edward dont le sourire s’effaça subitement. De quelles preuves parlez-vous ?
_ Ces mythes sont gravés dans la roche, sur les murs de temples et de palais. Je peux te les montrer, si tu veux, proposa Kaly avec une sorte de désinvolture provocante. Maintenant, même. Je suis persuadée que cette connaissance t’ouvrirait les yeux. »
Edward parut atterré. Il eut un léger mouvement, mais ne quitta pas sa place. Il posa sa main sur mon épaule.
« Cela ne prendra pas longtemps, affirma Kaly d’un air compréhensif. Pour nous, c’est vraiment tout près d’ici… Ne t’inquiète pas pour ta compagne, elle n’a rien à craindre.
_ Je ne pourrai pas marcher, dis-je à regret.
_Tu ne peux pas venir avec nous, de toute manière, expliqua avec douceur la belle vampire aux longs cheveux bouclés, les murs dont je parle sont ceux de notre antique cité engloutie. Ils se trouvent dans les profondeurs de cet océan. »
Edward tressaillit. Je percevais son émotion. Je posai ma main sur la sienne.
« Je crois que tu devrais aller voir, chuchotai-je. C’est… important, pour toi comme pour moi. Je peux attendre. Je suis en sécurité ici, et je me sens bien. »
Je mentais. Edward hésita. Kaly promenait sur nous son énigmatique regard d’eau pâle. Elle attendait, sans chercher à convaincre Edward davantage. Ce qu’elle lui proposait n’avait pas besoin d’être accepté, mais Edward aurait été fou d’y renoncer. L’occasion ne se présenterait sans doute plus jamais.
« Nous serons bientôt revenus ?, demanda-t-il finalement.
_ Cela dépend de la vitesse à laquelle tu nages, répondit simplement l’antique vampire. J’ai l’impression que ce n’est pas dans tes habitudes, je me trompe ? »
Edward hocha la tête.
« En tout cas, nous serons revenus avant la fin de cette journée, si cela peut te rassurer.
_ Bon, acquiesça Edward. Il me semble que… il faut que je voie cela. »
Se penchant sur moi, il m’embrassa. Kaly se redressa en une fraction de seconde, si vite que je ne la vis pas faire. L’instant d’après, elle s’avançait vers les flots.
« Si c’est trop loin, je fais immédiatement demi-tour, souffla Edward comme à regret. Viens, je vais te porter un peu plus près des arbres, pour que tu puisses te reposer le temps que nous serons partis. »
Il me souleva et alla me déposer près d’un tronc lisse et un peu penché, non loin duquel se trouvaient plusieurs buissons serrés. Au-dessus de ma tête, de larges feuilles s’étendaient en ondulant. L’air était plus frais à cet endroit. Tout était paisible et accueillant.
« Je vais attendre, ne t’en fais pas, assurai-je. Moi aussi, je veux que tu voies et que tu me dises. »
Edward embrassa ma main. Plus loin, Kaly regardait vers l’horizon.
Il ne leur fallut qu’une seconde pour entrer dans l’eau et disparaître aussitôt.
Alors, à nouveau, je fus submergée par l’oppressante sensation que j’avais éprouvée un peu plus tôt. L’obscurité se répandait dans mon cœur glacé. Il me sembla que je ne devais plus jamais revoir mon mari. Pourquoi éprouvai-je un tel sentiment ? Kaly… Kaly était un être bienveillant, je l’avais senti, son comportement nous l’avait prouvé, mais je ne pouvais m’empêcher de craindre… Edward avait accepté de la suivre, alors que je ne pouvais les accompagner. Avait-elle exercé sur lui son pouvoir de persuasion ? Il me semblait pourtant qu’elle n’en avait pas eu besoin. Quel intérêt y aurait-elle trouvé de toute manière ? Ils reviendraient bientôt, Kaly l’avait promis et Edward n’allait pas m’oublier, seule, sur cette île magnifique. Ce que je ressentais était une sorte de jalousie, je devais me rendre à l’évidence. C’était stupide et, malheureusement, inévitable. Je me rendis compte que c’était la première fois que j’éprouvais ce sentiment, et ce qu’il déclenchait en moi était particulièrement insupportable. Je me sentais comme dépossédée de moi-même.
Longtemps, je demeurai le regard rivé sur l’étendue d’un bleu parfait qui se trouvait face à moi, écoutant le bruissement léger et reposant de la végétation au-dessus de ma tête. J’étais très fatiguée. La nuit avait été longue, le début de la matinée si riche en révélations qu’il me donnait l’impression d’avoir duré des jours. Il me semblait avoir vécu des siècles, également, à travers ce que Kaly nous avait raconté.
Alors, je me couchai contre le sable fin et blanc, mon visage posé sur mon coude replié, et je fermai les yeux.

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !