dimanche 20 mars 2011

VOL III _ chpt 25, chpt 26, chpt 27


Chapitre 25 : Renaissance



Comme nous quittions La Push, je me retournai vers Edward.
J’avais passé de longues minutes, les yeux clos, le nez enfoui dans la chevelure fine et soyeuse de Karel, aspirant son parfum, m’imprégnant de lui, me retrouvant en lui, détail après détail, comme à travers un prisme. Puis je m’étais penchée vers Sarah, avais caressé son petit visage rond, du bout de mes doigts.
« Sarah, ma chérie… que tu es jolie ! »
Sa peau avait des teintes douces de caramel, et ses longs cils bruns papillonnaient autour de ses yeux noirs de poupée. Un peu renfrognée, d’abord, elle avait soudain explosé en un magnifique sourire qui creusait deux petites fossettes au centre de ses joues pleines et rondes d’enfant. Elle s’était mise à babiller. Et rien ne semblait devoir l’arrêter à présent. Elle aussi, avait certainement beaucoup à raconter…
J’avais tellement attendu, et redouté, ce moment ! J’avais tant craint d’être rejetée, après avoir été oubliée, comme une étrangère, ou pire… j’avais eu si peur d’inspirer moi-même la peur à mes enfants !
Mais rien de tout cela ne s’était produit. Les choses s’étaient faites simplement. Même s’ils ne pouvaient s’en souvenir, sans doute ressentaient-ils que nous nous connaissions, profondément, viscéralement. Et ils devaient bien percevoir l’intensité de ce que je ressentais pour eux, également…
« Ils nous ont acceptés, Edward, n’est-ce pas ?, soufflai-je en lissant les mèches noisette de Sarah. Ils ont l’air… de se sentir bien avec nous. Spontanément. En confiance… Tu penses qu’ils peuvent… nous reconnaître ? Qu’ils ne nous ont pas totalement oubliés ? »
Edward me sourit tendrement.
« C’est possible… Il y a certainement quelque chose qui demeure… dans nos odeurs par exemple. »
Mais aussitôt, je réalisai que la situation n’était pas tout à fait comme elle aurait dû l’être.
« C’est… c’est surtout parce que nous sommes des vampires, Edward, c’est ça ? »
Mon mari souleva légèrement les sourcils. Il prit quelques secondes avant de répondre.
« Oui, Bella, je pense aussi qu’ils sont sous le charme… c’est normal. Mais… il ne doit pas y avoir que cela, j’en suis certain. »
Malgré mon bonheur, un sentiment indéfinissable s’insinua en moi. Comme une amertume. L’impression d’une trahison, que j’aurais moi-même commise.
Alice se retourna vers nous.
« Jacob t’a reconnue, Bella ! C’est vraiment incroyable ! Je me demande comment ça se fait…
_ En effet, intervint le docteur Cullen. Voilà qui est particulièrement intéressant. »
Il marqua une pause, s’absorbant dans sa réflexion. Puis il reprit vivement :
« Je suis si heureux de vous retrouver, mes enfants ! Nous vous avons tellement attendus ! L’existence est bien surprenante… Nous allons aussi devoir nous montrer prudents. »
Puis, après quelques instants, durant lesquels je remarquai la manière dont Edward se plongeait dans les pensées de son père, il acheva :
« Il y a tant à vous dire, et tant à apprendre de vous ! J’espérais que nous saurions anticiper votre retour, de manière à ce que les choses se fassent en douceur, mais… cela n’a pas été possible.
_ Je suis désolée !, s’écria alors Alice. J’ai vraiment fait ce que j’ai pu, mais tout s’est retourné contre moi. Quoi que je décide, c’était une erreur…
_ Ne te culpabilise pas, Alice. Ton don ne te permet pas d’avoir le contrôle sur les évènements, tu n’y peux rien. Et puis, finalement, cela ne s’est pas mal passé, tu vois…
_ Tu savais que nous allions revenir ?, demandai-je. Depuis longtemps ?
_ Oh, oui !, s’exclama-t-elle en pivotant tout à fait vers nous. C’est ce qui nous a permis de ne pas mourir d’inquiétude et de chagrin ! Je t’ai vue revenir, bouleversée, obnubilée par l’idée qu’il était arrivé quelque chose à Sarah et Karel. Mais en même temps, je ne savais pas comment t’annoncer… Et je t’avais vue vampire ! Je n’avais aucune idée du moment où cela se produirait, si tu serais encore un nouveau-né dangereux ou non… D’ailleurs, comment parviens-tu à te contrôler comme tu le fais ? Depuis quand… ?
_ Cela fait un peu plus d’un an, répondit Edward sans laisser sa sœur achever sa question.
_ Un an ? Et tu te comportes déjà de façon si… humaine ? Et puis, comment se fait-il que tu… que tu aies su que les petits étaient à La Push quand vous êtes arrivés ? Est-ce que, par hasard, tu ne… ?
_ C’est une longue, une très longue histoire, Alice », coupa à nouveau Edward sur un ton particulièrement sérieux qui n’avait rien de désagréable pour autant.
Je comprenais que ce qu’il lisait dans leurs esprits -et qui lui en apprenait bien davantage et plus rapidement que ne pourraient jamais le faire des paroles- avait de quoi le préoccuper. Mais je ne pouvais parvenir à me concentrer, à rappeler, en cet instant, le sentiment qui me permettait de me connecter à la pensée de mon mari. J’étais encore sous le coup des émotions contradictoires et particulièrement perturbantes qui m’avaient assaillie un moment plus tôt. De plus, je tenais mes enfants dans mes bras.
Enfin ! Je n’avais plus de crainte à avoir pour personne pour le moment, j’étais comblée.

Quelques minutes passèrent, durant lesquelles nous demeurâmes tous silencieux.
En cet instant, je réalisai que je n’enviais pas le don d’Edward, car il ne lui permettait pas, comme je le faisais, de jouir du moment présent, dans le silence et l’attente. Car l’attente peut elle-même être un plaisir, parfois, surtout lorsque l’on sait qu’elle ne débouchera que sur l’explication d’éléments à l’issue heureuse, et même inespérée ! Le don d’Edward l’obligeait à aller constamment de l’avant, lui, à découvrir, à savoir, chercher à comprendre, sans arrêt, sans repos jamais. C’était ce qui stimulait son intelligence, bien sûr, et qui, d’une certaine manière, satisfaisait aussi ses attentes personnelles. Sans doute avait-il besoin de réponses, lui aussi, et peut-être même désirait-il les obtenir plus rapidement que moi ? Peut-être s’inquiétait-il de certaines choses… qui le poussaient à souhaiter savoir avant moi… ? La vérité était surtout qu’il lui était impossible de faire autrement, et qu’il n’avait pas le choix.
La voiture s’engagea sur le chemin qui menait à la villa des Cullen.
« Eh bien, vous allez nous raconter cette très longue histoire », déclara alors Carlisle, avec un enthousiasme certain.
Nous pénétrâmes dans le salon.
Edward s’assit dans le canapé, Sarah blottie dans ses bras. Elle semblait avoir besoin de replonger dans le sommeil dont nous l’avions tirée, mais elle luttait pour rester éveillée. Karel, lui, me regardait toujours de ses yeux clairs immenses et intelligents. Carlisle prit un fauteuil, sur l’accoudoir duquel Alice se posa comme un oiseau joyeux et impatient.
« Où est Esmé ?, demandai-je alors. Rosalie et Emmett ne sont pas là non plus ? Jasper…
_ Il est à Seattle, intervint Alice. Des affaires à régler. Il revient demain. Je ne pouvais plus imaginer aller nulle part après t’avoir eue au téléphone ! »
Elle était manifestement très joyeuse, et rien ne semblait devoir la faire changer de sentiment.
Le regard de Carlisle glissa sur Karel et Sarah, avant de se poser sur Edward.
« Rose et Emmett voyagent en Europe depuis un moment. Ils sont actuellement en Irlande… Esmé est allée leur rendre visite. Je vous en dirai plus après… Comment tu sens-tu, Bella ? Tu as l’air particulièrement maîtresse de toi-même, comme l’a fait remarquer Alice. C’est merveilleux !
_ Je vais bien, Carlisle, répondis-je alors qu’un étrange sentiment de gêne s’emparait de moi. Je suis heureuse d’être enfin rentrée. Tout va bien, n’est-ce pas ? Comment les choses pourraient-elles aller mal ? Avec ce que nous venons de découvrir ! »
Je marquai une courte pause. Mon enthousiasme se teintait d’inquiétude.
« Il n’est rien arrivé de… grave au moins ? Est-ce que Rosalie… ? »
Une part de moi commençait à envisager qu’il pouvait s’être produit un événement dont je ne mesurais pas encore tout à fait les conséquences.
« Rassure-toi, Bella. Tout le monde va très bien, sourit le docteur Cullen.
_ Oh, Carlisle !, m’exclamai-je enfin, mais comment est-ce possible ? Jacob !... Jacob… »
Les mots me manquaient, mais ils bouillonnaient dans mon esprit. Ils sortirent finalement d’une traite.
« Il est vivant ! Et il est… si différent. Quand cela s’est-il produit ? Comment est-ce arrivé ? Comment… est-ce possible ! »
Le docteur Cullen sourit, très doucement. Très sereinement. Il était ému. Je pouvais le percevoir.
« Pour répondre à ta dernière question, Bella, je n’en ai aucune idée. Personne n’en sait rien. Le choc a été violent pour nous tous. Pour Billy, surtout. Mais… il a vite été remplacé par un bonheur… un bonheur qu’il n’est donné à aucun être humain de pouvoir éprouver ! Je suis sûr que vous réalisez à quel point cela dépasse l’entendement. »
Edward acquiesça.

Alice souleva les sourcils et prit une grande inspiration. Elle vibrait d’excitation.
« C’est sa sœur qui l’a trouvé, expliqua-t-elle de sa petite voix chantante. Rachel. Avec Paul.
Elle était venue à La Push, pour quelques jours seulement. Cela faisait vraiment longtemps qu’elle ne l’avait pas fait. Elle a rencontré Paul. Le coup de foudre a été immédiat. Enfin, pour lui surtout… ce truc de loup, tu sais. Mais elle est revenue peu de temps après. Tout est allé très vite. Et elle a décidé de rester, définitivement.
Au début, quand elle s’est étonnée de l’absence de Jacob, Billy lui a parlé d’un voyage, qui s’est transformé en fugue, puis en disparition. Mais il a rapidement compris qu’il ne serait plus possible de la garder dans l’ignorance. A partir du moment où elle a décidé de lier sa vie à celle de Paul, elle a appris la vérité. Elle en a été profondément bouleversée. Et sa réaction a été particulièrement violente. Elle était furieuse contre son père, la tribu… les traditions ! Elle était dans une rage incroyable contre le clan des Transformateurs. Elle les accusait de lui avoir volé sa famille, son enfance, son frère… Elle était, bien entendu, profondément malheureuse, mais elle ne se calmait pas. Paul ne savait plus quoi faire. Il est même venu chercher Carlisle. On lui a proposé un tranquillisant, pour lui permettre de se reposer un peu, et de s’apaiser. Elle l’a refusé, au début. Notre présence lui était aussi devenue intolérable… puis elle a fini par accepter, quand elle s’est sentie vraiment trop accablée par le chagrin.



La première nuit de calme qu’elle a passée, il y a eu un orage. Terrible. Je crois n’en avoir jamais vu de pareil ici ! C’était… à la fin de l’été, l’an dernier. Un vent phénoménal, des éclairs, des trombes d’eau. Il a fallu une semaine pour rétablir le réseau électrique de la réserve quileute après ça. Ça a duré jusqu’au matin. Le vieux Quil Ateara disait que c’était la colère de Rachel qu’on avait tenté de faire taire qui s’exprimait de cette manière. Qu’on ne parvient jamais à dompter l’esprit tourmenté d’un Quileute, surtout lorsqu’il s’agit d’un Black… Enfin, le lendemain, tout le monde est allé constater les dégâts. Beaucoup d’arbres étaient tombés. Certaines routes étaient impraticables. De la boue partout. La plage… la plage de La Push était dévastée, mais… le plus surprenant, c’était la quantité de poissons échoués qu’il a fallu ramasser ! Rachel, elle, s’est réveillée, totalement différente. D’un calme saisissant. Elle a déclaré qu’elle comprenait, alors, qu’elle avait accepté. Elle a même présenté des excuses à tous ceux qu’elle avait maudits les jours précédents. Elle a aussi demandé à voir l’endroit où les cendres de son frère avaient été déposées. Paul a proposé de l’y conduire, dès que ce serait devenu possible.
Deux ou trois jours après, ils se rendent donc dans la forêt, et là, au pied de l’arbre… ils trouvent le corps d’un homme. A moitié enseveli, à ce qu’ils ont expliqué, couvert de boue, de poils, de plumes ! Méconnaissable. Ils ont d’abord cru qu’il s’agissait d’animaux morts… avant de réaliser. Quand ils se sont approchés, la forme a bougé. Alors ils se sont précipités à son secours. Rachel a voulu nettoyer son visage… ils n’en croyaient pas leurs yeux. Paul est allé chercher de l’aide. Ils l’ont ramené. Ils ont immédiatement appelé Carlisle. Personne ne savait quoi faire. »
Alice s’interrompit. Nous gardâmes le silence un instant. Dans mon esprit, des images se formaient et défilaient. Je revoyais l’Arbre aux Ancêtres. Entre ses racines, le corps de Jacob, mêlé à la terre.
C’était impensable. Et pourtant… ne l’avais-je pas senti ? Très clairement ? Je savais qu’il m’avait quittée. Lorsque ma transformation s’était achevée, j’avais vu… j’avais éprouvé… Comme une chute. Et un sentiment de perte, presque triste.
« Cela s’est produit au moment où Bella est devenue vampire, déclara soudain Edward de sa voix douce. Très exactement. J’en suis persuadé. »
Son père le considéra gravement durant quelques secondes. Il poursuivit :
« Nous étions à Paris. Là-bas aussi, il a fait un orage tout à fait spectaculaire. Il me semble qu’il doit y avoir un lien… Non, c’est une évidence ! Bella et moi avons appris beaucoup de choses… concernant notre nature, nos origines… Nous avons rencontré quelqu’un… »
Carlisle plongea son regard dans celui de son fils, appuyant son menton sur son poing refermé. Edward se tourna vers moi. Je lui souris. Dans ses bras, Sarah ne dormait toujours pas.
Il raconta rapidement notre fuite. Comment Alec nous avait poursuivis jusqu’au bout du monde. L’île de Kaly. Ce qu’elle nous avait dit et montré. Ce qu’il avait découvert lui-même… Ce que j’étais devenue, avant qu’il n’accepte finalement de faire de moi sa semblable.
Carlisle était fasciné. Alice s’était immobilisée. Je savais qu’elle écoutait, avidement, ces réponses que tout vampire, quel qu’il soit, attend, et que nous étions en train de lui apporter.
Un moment, je me demandai si nous devions bien leur révéler tout cela, si Kaly l’aurait souhaité, elle qui tenait tant à préserver les secrets oubliés des vampires. Mais il nous était impossible de rien cacher à notre famille. Je savais qu’ils étaient tous des êtres en qui nous pouvions avoir une confiance absolue. De plus, les connaissances et l’intelligence de Carlisle pourraient certainement se grandir encore de notre expérience à tous deux.

Quand il en fut venu à ma transformation, il se tut. J’enchaînai alors, détaillant du mieux possible mon ressenti concernant le legs de Kaly, la manière dont il me semblait qu’il m’avait aidé durant les premiers mois de ma nouvelle vie. Mais je ne donnai pas de détails, il y en avait tant ! Tant de sensations, tant de prises de conscience… et je n’étais pas vraiment à ce que je racontais, me semblait-il. J’étais préoccupée par autre chose. Autre chose à quoi j’étais liée, corps et âme, dont je ne pouvais me détacher, qui me prenait tout… tout mon être. Un grand bonheur. La présence, si réelle et si puissante, quoique tellement discrète et fragile, de ces deux petits êtres : mes enfants.
Je fus d’ailleurs interrompue par un changement, que je remarquai tout à coup, dans l’attitude de Karel et Sarah. Je percevais maintenant de leur part une sorte d’impatience, une agitation. Je m’aperçus alors que le soir tombait. Que se passait-il ? Ils avaient faim, bien sûr ! Ils étaient restés si sages jusqu’à présent. Trop sans doute. Il me fallait m’occuper d’eux. Les nourrir, les préparer pour la nuit. Avais-je déjà tout oublié de l’humanité pour ne plus être attentive à ses besoins essentiels ? Une peur me saisit, fulgurante. Un poignard en plein cœur. Mon cœur glacé de vampire. J’étais à peine de retour, et, déjà, j’avais le sentiment de ne pas être une bonne mère !
« Il faudrait…, intervins-je, … les petits doivent manger. Et nous devons les coucher. Je dois… je dois… »
Alice bondit.
« Je m’en occupe ! »
Mais ce n’était pas ce que je voulais.
Carlisle s’anima. Plongé dans une immobilité de statue, son regard-même avait perdu, pendant un long moment, tout éclat. Son visage se détendit, pourtant, en une seconde. Il paraissait revenir de très loin, ou plutôt de très profondément, en lui-même.
« Bien sûr, Bella. Allons à la cuisine. »
Il comprenait que, malgré notre désir réciproque de partager ce que nous savions, nous avions tout le temps pour cela désormais. Et il savait. Il savait bien, lui, ce qui m’animait, me portait et me transportait. Il savait que pour un vampire qui aime -éperdument, totalement-, un être humain, il n’est pas d’autre préoccupation possible. Et ils étaient deux…
Nous préparâmes le repas des enfants. Comme si de rien n’était. Comme s’il était naturel, simple et évident de faire ces gestes… couper, cuire… alors que je ne pouvais même pas goûter à ce que je préparais, savoir si c’était bon ou non, alors que nous venions, en quelques heures, de traverser les mers et les âges, dans un salon impeccable et tranquille… alors que nous étions des êtres d’une nature tellement autre. Nous étions là, penchés sur ces deux petits bouts d’humains, attentifs à leurs demandes, leurs réactions.
Un grand bonheur m’envahit pourtant, durant ces instants. Accomplir ces tâches anodines et dérisoires, si loin de nos préoccupations actuelles -et pourtant tout autant importantes qu’elles !- me fit comprendre la raison profonde de tout. Tout ce que j’avais fait, tout ce dont j’avais fait le choix, qui j’étais devenue. C’était pour cela, et cela seulement. Etre là, dans cette cuisine, avec mes enfants, à m’assurer de leur bien-être.
Je réalisai à quel point l’amour d’un vampire peut être fort. Il est à la mesure de ses émotions, de toutes ses émotions, de sa souffrance la plus terrible (et j’en connaissais déjà suffisamment l’étendue), et il est même… bien davantage.Violent. Impérieux. Absolu. Tenter de le décrire avec des mots humains est extrêmement réducteur. De l’amour, j’en éprouvais pour Edward, depuis toujours. Il avait évolué avec ma transformation : clairement perceptible désormais dans chaque fibre de mon être, il vibrait, à travers tous mes sens lorsque mon mari m’effleurait du regard, me parlait, touchait ma peau, dans l’étendue de mes pensées qui se liaient aux siennes, dans celle de mes souvenirs si vivants… L’amour d’un vampire pour un vampire. Mille fois plus intense -et toujours le même pourtant !- que celui que j’avais éprouvé lorsque je n’étais pas sa semblable. Mais l’amour d’un vampire pour des êtres humains !... je venais de le découvrir. De l’éprouver. Du plus profond de mon être. Il est une émotion si troublante qu’elle nous vole à nous-mêmes. Qu’elle nous ravit intégralement. Selon le terme que Kaly avait employé pour qualifier le lien qui unissait Edward à moi, et dont je comprenais à présent tout le sens.
L’amour est toujours l’amour, quelle que soit sa nature, quel que soit son objet. Et celui que j’éprouvais pour mes enfants était bien celui d’une mère, mais décuplé, au centuple, à l’infini. Je me sentais tellement responsable d’eux ! De leur protection, leur confort, leur bonheur. Je pouvais tout donner, je pouvais oublier que j’existais moi-même, et cette sensation me donnait en retour une force incroyable. Oui. Jamais je n’avais eu tant le sentiment d’être, vraiment, un bouclier. Solide. Infaillible. Je serais celle qui se pencherait au-dessus d’eux, toujours, pour éloigner toutes les menaces, toutes les attaques, toutes les blessures. C’était mon rôle, cela. Ma raison d’être.

Lorsque le repas fut fini, Edward et moi montâmes préparer un petit bain, dans lequel Sarah et Karel jouèrent longuement. Puis nous les couchâmes, dans la chambre qui leur avait été, de toute évidence, réservée chez les Cullen. Elle était adorable, bien qu’encombrée de jouets de toutes sortes, et de peluches gigantesques. Une fois au lit, Sarah nous expliqua elle-même que nous devions allumer son « caroussel machique ». Il s’agissait d’une lampe-veilleuse musicale, posée sur un chevet, qui projetait en plus au plafond des formes lumineuses. Des lunes, des étoiles, un mouton à l’air timide, et des oiseaux attelés comme un équipage, tirant à leur suite, à travers le ciel, un petit garçon portant une écharpe. La mélodie m’était familière. Elle était parfaite. Il s’agissait du Clair de Lune, bien évidemment. Karel exigea un câlin, mais il s’endormit vite, lui aussi, peu après sa sœur. J’aurais pu -j’en avais tellement envie !- passer toute ma nuit là, à les contempler, à veiller sur eux. Cependant, au bout d’un moment, quand la mélodie se fut tue d’elle-même et que l’obscurité eut envahi l’espace, Alice passa son nez par l’entrebâillement de la porte.
« Je crois que vous ne leur êtes plus d’aucune utilité… », chuchota-t-elle malicieusement.
Elle avait raison, même si, en cet instant, je sentais que je pourrais éternellement vivre dans la seule contemplation de ces deux êtres dont j’avais tant à découvrir encore, dont j’aurais toujours tant à découvrir.





Chapitre 26 : « Au bout de tout »/ « Right to the end »

De retour au salon. Je repris mon récit là où je l’avais laissé. Je racontai alors plus particulièrement l’évolution de mon don, la compréhension progressive que j’en avais eu, ma faculté -un peu aléatoire encore, et soumise à mon émotion- à me connecter à la pensée d’Edward… Mon incapacité à utiliser volontairement les souvenirs trop nombreux de Kaly que je portais en moi, leur aptitude à se présenter parfois d’eux-mêmes, et suivant des mécanismes que je ne maîtrisais pas, à ma conscience. Mes scrupules à m’y introduire… Anyota et les hommes-léopards. Les appels que j’avais ressentis… jusqu’à cette vision de mon propre bouclier, quelque part dans la mer glacée du pôle… et ce sentiment, qui ne m’avait pas quittée, cette sensation… cette certitude…
A nouveau très méditatif, Carlisle me laissa aller juqu’au bout de mon histoire sans jamais m’interrompre. Il soupira simplement, quand j’eus achevé :
« Merveilleux… Ce que vous nous avez raconté m'a donné à pensé et à rêver pour les siècles à venir ! J'aurais tant aimé avoir moi aussi l'opportunité de rencontrer cette extraordinaire vampire, Kaly... »
Ni lui ni Alice ne posèrent aucune question. Ils se perdaient, chacun, dans leurs réflexions, où Edward, lui, pouvait les suivre.



« Qui est-il ? », demanda-t-il soudain à l’adresse de son père, réagissant certainement à une de ses pensées.
Les mains de Carlisle s’ouvrirent.
« Il est… lui-même, sourit-il. A n’en pas douter. Il est bien Jacob.
_ Il est différent, cependant. Je n’entends plus ses pensées. Et sa présence est…
_ Toi non plus !, s’exclama sa sœur. Jasper n’est arrivé à rien quand il a essayé de le calmer et…
_ Quoi ?, intervins-je. Que voulez-vous dire ? »
D’un bond, Alice vint s’agenouiller près de nous.
« Quand Jacob est… revenu… il a eu… des moments difficiles. Nous avons tous essayé de l’aider.
_ Il est d’abord resté plus d’un mois sans articuler une seule parole, expliqua à son tour Carlisle. Il était très faible. Billy et Rachel étaient affreusement inquiets. Il avait beaucoup de mal à se nourrir. Il n’avait pas une attitude normale. Puis il s’est montré réellement perturbé, effrayé, de n’avoir plus aucun souvenir, plus rien sur quoi s’appuyer, rien de certain et de réconfortant. Il a lui fallait tout réapprendre. Mais il l’a fait. Et extraordinairement vite ! Comme tout le reste, d’ailleurs. Les anciens du clan étaient très préoccupés. Face à un tel phénomène, il y a de quoi s’interroger, effectivement ! Les peurs et les superstitions leur faisaient imaginer le pire.
_ Ils se demandaient s’il était bien humain !, renchérit Alice.
_L’est-il ? »
Edward avait posé la question avec un tel sérieux que je me retournai soudain vers lui.
« Mais enfin, Edward !
_ Il l’est, affirma Carlisle. Aussi incroyable que cela puisse paraître… il est bien humain. Je lui ai fait tous les examens nécessaires afin de déterminer s’il était en bonne santé ou non. Il est fait de chair, de sang et d’eau… il est un humain bien vivant ! Quoique l’origine de cette chair et de ce sang demeure un vrai mystère... Comme d’autres choses, d’ailleurs. Notre existence n’est pas scientifiquement explicable non plus, que je sache ! »
Je souris. Voilà en effet quelque chose que la science ne parviendrait certainement jamais à expliquer, contrairement à ce que j’avais pu envisager autrefois moi-même, dans un de mes rêves…

Alice remarqua mon sourire.
« Qu’y a-t-il, Bella ?
_ Je repensais simplement… Il y a quelques années, lorsque j’avais fait le premier de mes rêves révélateurs, tu sais. Eh bien, Carlisle m’y expliquait qu’il avait effectué des tests sur les Transformateurs et les vampires, afin de comprendre leur nature… et qu’il avait découvert des différences. Au niveau des chromosomes. Que par rapport aux simples humains, les hommes-loups en avaient une paire supplémentaire, alors que les vampires en avaient deux de plus. C’est absurde. Je ne sais pas pourquoi je suis allée imaginer ça… »
A ma grande surprise, Carlisle eut un rire.
« Oh, Bella ! Quelle jeune femme surprenante tu es ! Pourquoi ne m’avoir jamais raconté cela ?
_ Je… je pensais que cela ne rimait à rien. Même si mes connaissances en biologie ne sont pas très approfondies, je sais tout de même que le nombre de chromosomes d’un être vivant ne peut pas changer soudain et que…
_ Sais-tu ce que signifie le mot, lui-même ?
_ Le mot ?
_ Chromosome. Il veut dire corps coloré ! »
Carlisle nous dévisageait, souriant, comme s’il y avait là une révélation. Mais il m’était bien impossible de partager son enthousiasme.
« Je ne…
_ Ils ont été nommés ainsi car c’est la manière par laquelle les scientifiques les ont d’abord mis en évidence : en les colorant. Mais… J’ai effectivement fait certaines expériences, lorsque j’en ai eu l’opportunité, et avec les plus grandes précautions, tu t’en doutes, pour tenter de découvrir la manifestation physique de notre nature particulière. Bien entendu, notre corps ne subit pas de modification génétique de la manière dont tu avais pu le supposer. Car nous restons fondamentalement l’être humain que nous étions. Mais nos cellules… sont animées d’une vie… qui dépasse soudain les lois établies de la biologie. Prélever un fragment de notre être n’est déjà pas chose aisée, mais lorsqu’on y parvient, à l’aide d’un laser par exemple, et que l’on se penche au-dessus d’un microscope pour y regarder de plus près, que voit-on ? »
Je n’en avais aucune idée. J’imaginai tout à coup des cellules continuant à vivre, et à se reproduire sans doute, bien qu’elles aient été séparées du corps auquel elles appartenaient, et capables, à tout moment, de se réintégrer à lui si on le leur permettait. C’était cela, certainement, puisque le corps des vampires avait la capacité de se régénérer de manière inexplicable, et que même des membres arrachés pouvaient être ressoudés au corps qui les avait perdus, pour peu qu’on leur en donne l’occasion. C’était bien la raison pour laquelle les vampires étaient immortels, et invulnérables. N’était le feu…
Je secouai cependant légèrement la tête. Carlisle rit à nouveau.
« Rien. On ne voit strictement rien !
_ Pardon ? Je ne…
_ Ou plutôt si : des couleurs ! Qui masquent tout le reste. Notre matière irradie. Elle est faite d’irisations intenses, pour être plus précis. En elle-même, je veux dire. Et l’on ne peut rien percevoir d’autre. Peu importe l’analyse que l’on tente. Rien de rien. Tant que la moindre étincelle de vie -et c’est bien le cas de le dire !- l’anime, il est impossible de regarder en face sa substance profonde ! Et une fois consumée, notre matière redevient la même que celle des humains. Du carbone. Ni plus, ni moins. Comprends-tu, Bella ?
_ Je crois…, soufflai-je, je ne sais pas… Oui. Cela me semble logique, au fond.
_ Tu n’avais pas tort en définitive, il est bien question de couleurs concernant l’essence-même de nos corps, mais le message, comme souvent, était crypté. C’est à chaque fois un tel plaisir pour moi de me rendre compte de ta capacité à saisir la vérité des choses !
_ Et… pour les Transformateurs ?
_ Je n’ai jamais eu l’occasion de faire une telle expérience les concernant. Je ne me serais jamais permis. Pas sans leur consentement, en tout cas. Ce que je n’ai jamais eu l’opportunité de leur demander. Je ne suis pas certain que cela les intéresse réellement, de toute façon… »

Je comprenais ce que le docteur Cullen était en train de dire. A quoi bon, en effet ? Qu’est-ce que cela aurait bien pu leur apporter de plus ? Tout comme à nous. Apprendre que notre corps était différent de ceux des humains, sans réellement pouvoir jamais comprendre ni comment, ni pourquoi, outre ce que des mythes et des légendes voudraient bien nous en dire… ne le savions-nous pas déjà tous ?
« Et Jacob ?
_ Jacob ne diffère en rien d’un être humain, a priori. Rien de visible, en tout cas, au vu des analyses que j’ai été amené à faire et que je n’ai pas cherché à pousser plus avant. Ce n’était pas dans mes préoccupations immédiates, tu le comprends bien. Je m’inquiétais surtout de sa santé. Outre son imperméabilité aux dons particuliers que certains d’entre nous peuvent avoir, son odeur et sa chaleur si singulières, ainsi que cette étrange impression que nous avons, parfois, lorsque nous nous trouvons en sa présence d’être happés -vous l’avez certainement ressentie, n’est-ce pas ?... »
J’acquiesçai pendant qu'il achevait :
« … au point que nous nous sentions obligés de nous tenir à distance de lui, le fait est que Jacob est un homme. Comme eux tous. Et c’est ce que j’ai expliqué à son clan. Cela les a beaucoup apaisés.
_ Tant mieux, soupirai-je. Oui, vraiment… Mais cela n’en demeure pas moins extraordinaire ! »
Je souris à mon tour.
« Notre monde est plein de choses extraordinaires et inexplicables, Bella… C’est une grande satisfaction pour moi. Quoi de plus exaltant ? Apprendre sans cesse où se trouve la limite, entre ce qu’il nous est donné de comprendre et ce à quoi nous ne parviendrons jamais. Cette limite, c’est notre espoir, et notre liberté. Elle vient de se modifier encore pour moi, ce soir. Après tout ce temps… je n’y aurais jamais cru.
_ C’est bien ce que j’ai ressenti, moi aussi, docteur Cullen, quand j’ai eu la vision bien réelle de mon bouclier et que j’ai compris son fonctionnement. C’était… à la fois si proche, si clair, et tellement lointain pourtant ! J’avais le sentiment d’avoir franchi un seuil que je n’avais jamais été autorisée à atteindre. Comme une… transgression. Et je sentais que je pouvais aller plus loin encore, explorer, saisir… J’ai failli. Il ne m’aurait fallu que quelques secondes, si seulement… si je n’avais pas été chassée par cette vague… »
Un index posé sur ses lèvres, le père d’Edward s’était à nouveau absorbé dans sa réflexion. Au bout d’un moment, il secoua légèrement la tête, et planta ses pupilles de miel blond dans les miennes.
« Je ne crois pas, Bella. Tout ce qu’il t’a été donné de sentir et de percevoir est lié à ce que tu es. A qui tu es, devrais-je plutôt dire. Et comme j’ai déjà eu l’occasion de te le dire, je crois que ton don est des plus intrigants. Il te réserve encore beaucoup de surprises. Malgré ta rapide évolution, tu n’es encore, physiquement, qu’un très jeune vampire. Certains dons peuvent prendre des années à se développer… voire des siècles ! Parfois, cela dépend d’un simple hasard, d’une occasion involontaire.
_ Comme pour moi, s’exclama Alice d’un ton enjoué. Comment pouvais-je savoir que j’avais la capacité de sentir les loups-garous ? Je ne pensais même pas qu’il en existait encore !
_ Tu as tout à fait raison, ma chérie, reprit le docteur Cullen. D’ailleurs, je me demande… il faudrait que je vérifie…
_ Je pense que c’est bien le cas, intervint Edward. Mais ça demande effectivement vérification. Je crois me souvenir, de plus, qu’il n’est pas fixe.
_ Mais de quoi parlez-vous, enfin ?, s’enquit Alice visiblement agacée tout à coup de ne pouvoir suivre instantanément les réflexions de son frère.
_ Carlisle pense que Bella se trouvait peut-être exactement au pôle magnétique lorsqu’elle a pu voir son bouclier et qu’elle a eu cette étrange sensation d’être soudain fixée, au beau milieu d’une mer déchaînée. Il est probable qu’il y ait un lien entre les dons psychiques que certains d’entre nous peuvent avoir et les éléments de la nature dont nous n’avions pas la sensation consciente lorsque nous étions humains. »
Sa sœur haussa les sourcils.
« Ouh ! Je ne serais donc pas la seule à réagir aux ondes ou aux champs… de toutes sortes ?
_ Apparemment. Mais pas de la même manière, c’est certain. Je crois, Alice… que les visions incontrôlables de l’avenir et les loups-garous resteront ta spécialité ! »
La lèvre d’Edward se souleva en un demi-sourire taquin. Mais Alice s’attrista :
« J’ai vraiment fait ce que j’ai pu, tu sais. Tout était tellement insensé !... Comment voulais-tu que je croie en mes premières visions ? Il y avait tellement d’eau… Rien n’était net. Des poissons partout sur la plage. Bella vampire, Sarah et Karel humains. Jacob et vous discutant comme de nouvelles connaissances. C’était absurde ! Je me suis dit que je délirais complètement. Jusqu’à cette nuit… Tout s’est précipité. Alors j’en ai parlé. Nous savions que vous reviendriez. C’était déjà tellement réconfortant pour nous ! Mais nous ne savions ni quand, ni comment. Et je t’ai vue tellement angoissée… J’avais peur que tu sois furieuse et incontrôlable. »
Elle s’adressait à moi à présent, sur un ton repentant qui m’émut profondément. Je connaissais l’innocence naturelle d’Alice, et sa profonde sincérité. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Cependant, je sentais aussi que cette attitude contrite devait avoir plus de raison d’être que ce qu’il m’était donné de pouvoir comprendre.
« Pourquoi aurais-je été furieuse, Alice ? Je n’en ai aucune raison. Des évènements se sont produits, auxquels personne ne peut rien. Et il sont formidables, me semble-t-il ! Jacob nous a été rendu. Sarah et Karel ne sont apparemment plus des Transformateurs et, aussi brutal et étrange que soit ce changement de leur nature, je dois reconnaître qu’une part de moi s’en réjouit, au fond… Alors pourquoi es-tu si triste ? Il y a autre chose encore… A propos de mes enfants, n’est-ce pas ? Ou bien… »



Ce fut le regard, si particulier et énigmatique, qu’Alice lança à Edward qui déclencha, malgré moi, le processus.
Un, en moi, la peur que quelque chose ne menace ceux que j’aime. Deux, mon sentiment de devoir tout mettre en oeuvre pour les préserver. Trois, mon abandon total.
En trois temps. Clic, clic, clic. Voilà comment se levait la partie de mon bouclier qui me reliait à Edward, lorsque mon esprit était assez clair et détaché pour ne pas être perturbé par d’autres émotions.
Mais que se passe-t-il ?
Je compris que mon mari cherchait tout à coup à ordonner ses pensées pour qu’elles ne me parviennent pas de manière trop affolante. Ma réaction invasive avait été si soudaine ! Mais, en plus des siennes, ce furent celles de Carlisle et d’Alice que je perçus aussi.
Elle est prête, il faut lui dire, pensait Alice.
Aussitôt, je vis Rosalie, accablée de chagrin, se ruant hors de la villa des Cullen. Karel et Sarah d’abord inconscients dans leur berceau, si semblables à deux petits enfants morts, puis emmenés à La Push par un Seth ému et abasourdi. Ma mère, en larmes, sanglotant entre les bras de Phil, tous deux assis sur le canapé du grand salon. Carlisle expliquant…
Quoi ?
Tout était si confus, que je ne saisissais plus rien. Etait-ce le passé ou l’avenir ? Les visions d’Alice ou les souvenirs de Carlisle et sa fille ?
Laisse-moi voir, Edward ! Laisse-moi comprendre !
« Edward ? », s’enquit le docteur Cullen qui se doutait de ce qui était en train de se produire.
Il faut être délicat, mon fils, plus que nous n’avons pu l’être. Elle aura besoin de temps pour comprendre, et accepter.
Pour toute réponse, Edward se retourna vers moi et m’enlaça, me serrant très fermement contre lui. Son émotion me submergea, cherchant à adoucir mon inquiétude grandissante.
Un peu de temps, Bella. Pas si vite. Laisse-moi te montrer correctement…
Je sentis s’éloigner les pensées d’Alice et de Carlisle, Edward les chassait volontairement de son esprit. Il savait le faire, même si cela lui demandait un effort certain. Le calme se fit. Peu à peu, je perçus chaque chose, dans l’ordre, et plus distinctement. Mais la tension qui raidissait mes membres ne me quittait pas.

Dans un grand silence, quelques minutes passèrent.

Edward m’immergea en son esprit, comme dans une eau douce et protectrice.
Alors je sus. Tout ce qu’il y avait à savoir.

Mon mari ne relâcha pas son étreinte. Comme cette nuit-là...
Jusqu’à-ce que je cesse finalement de me débattre au cœur de sa pensée, jusqu’à-ce que je cède et, qu’après les angoisses, les luttes et les profondes douleurs, je me détende, je me rende. Il me serra contre lui. Tant que je ne fus pas prête.

Alors, lentement, j’émergeai.

Les mains d’Edward entouraient encore ma nuque, elles glissèrent lentement sur mes joues.
« Eh bien…, soufflai-je lentement. Je n’avais jamais vraiment voulu envisager… et me voilà donc arrivée au bout, finalement... Au bout de tout. »
Je marquai une pause, puis :
« Allons-y, s’il te plaît. Je veux voir. J’ai besoin de voir ça…
_ D’accord, murmurèrent ses lèvres contre la peau de mon front. Allons-y, mon amour. »

Et, sans avoir plus à nous soucier de rien d’autre, nous sortîmes dans la nuit noire, en direction de la ville endormie.





Chapitre 27 : Les vivants et les morts/ The living and the dead

La grille noire. Le petit muret. Les grands arbres bruissant dans le petit vent frais. La tristesse profonde, pourtant escortée de calme et de silence.

Je n’aurais jamais pensé revenir si tôt. Trop tôt… Encore.
Nous glissâmes silencieusement entre quelques rangées de tombes.

Lorsque Edward m’avait montré, quelques instants plus tôt, ce que je redoutais tant, sans en avoir clairement conscience, j’avais plongé immédiatement dans la tourmente que les souvenirs de sa soeur et de son père lui avaient racontée.
Alors, j’avais vu cette nuit d’orage… Terrible.
Elle n’avait pourtant pas effrayé Emmett et Jasper, qui étaient sortis dans la tempête. Esmé regardait au-dehors, par l’une des grandes baies vitrées, les éléments déchaînés, à la fois inquiète et fascinée. Avant l’aube, tout s’était peu à peu, calmé, doucement, tout doucement. Et Rosalie avait fait irruption dans le salon encore obscur, bouleversée, terrorisée.
« Carlisle ? Où est-il ? Je deviens folle… Il s’est passé quelque chose. Les petits… les petits… »
Elle s’était précipitée hors de la villa, à la recherche du docteur Cullen.
Dans les bras d’Esmé, Sarah et Karel étaient inconscients. Leur odeur… n’était plus la même. Un goût me vint à la bouche, un parfum… Celui du sang. Tel qu’Alice l’avait perçu. Un sang jeune, vif, humain.
Rosalie était revenue. Plus que jamais semblable à la sublime statue d’une jeune héroïne antique soudain frappée par la cruauté du Destin, elle était demeurée près de la porte d’entrée, immobile, figée. Alice s’inquiétait, n’obtenait aucune réponse. Lorsque Carlisle eut confirmé l’impensable métamorphose, elle avait simplement articulé :
« Je ne peux pas rester ici. Plus maintenant. »
Et elle avait disparu depuis. En Australie, puis en Europe. Emmett l’avait rejointe. Et maintenant Esmé. Elle s’était refusée à donner davantage d’explications. Tous supposaient que le violent changement dans la nature de Karel, qu’elle chérissait si tendrement, avait rouvert une blessure profonde. Rose ne supportait pas de devoir endurer cette sensation, à laquelle elle avait cru avoir enfin le bonheur d’échapper, mais qu’elle avait pourtant retrouvée en sa présence : la tentation. Permanente. Et instinctive. Contrôlable, certainement. Mais qui ne pouvait pas être abolie, de quelque manière que ce fût. Il fallait espérer que le temps, seul, lui permettrait de surmonter cette nouvelle épreuve. Si seulement elle n’était pas encore plus terrible pour elle que ce que l’on pouvait s’imaginer…
Pauvre Rose !
Je comprenais sa détresse. Je la comprenais totalement. Et une part de moi, étrangement, s’identifiait à elle, épousant sa réaction, se braquant avec elle, fuyant avec elle, l’âme en cendres.

A la consternation générale, Seth avait ensuite été frappé à son tour par la foudre de l'imprégnation, alors qu’il venait annoncer la stupéfiante découverte faite par Rachel et Paul dans la forêt.
Après cela, il avait agi en fantôme, totalement dépossédé de lui-même, pendant de longs jours. Ne dormant plus, ne se nourrissant plus, en proie à l’angoisse, il n’avait retrouvé la sérénité que lorsqu’il avait été certain que Sarah était en pleine forme, malgré son changement incompréhensible de nature et les quelques heures d’inconscience qui avaient touché les jumeaux. Il se sentait le devoir de la protéger, plus que jamais, de veiller sur elle jour et nuit. Et impossible de ne pas le laisser faire, bien entendu, il serait devenu fou !
Malgré les progrès de Jasper, les petits étaient souvent à La Push, Rachel, Billy, le clan des Transformateurs entier penchés sur eux. Tantôt étonnés, préoccupés ou bienveillants, tantôt méfiants ou attristés, chacun venait contempler le prodige. Les prodiges. Et la connexion surprenante qui semblait exister entre eux. De plus, le docteur Cullen avait pu constater que la présence de Sarah et Karel avait manifestement un effet réconfortant sur Jacob.
D’abord plongé dans une sorte de mutisme terrorisé, ce dernier s’était progressivement montré de plus en plus agité, au point qu’on avait décidé de recourir au don de Jasper pour maîtriser ses émotions trop douloureuses. Sans succès. Cependant, il s’était avéré que la proximité des jumeaux lui donnait toujours, et immédiatement, un certain répit. Après quelques mois, Jacob avait retrouvé l’usage de la parole. Un beau jour, il s’était adressé à son père, comme si de rien n’était. A partir de là, son tempérament était demeuré particulièrement calme et retenu. Ses facultés s’étaient révélées surprenantes. Il se montrait serein, s’intéressait à tout, mais sans curiosité aucune pour ce dont on avait choisi de le tenir à l’écart. Il avait soif, pourtant. Soif de savoir et d’apprendre… Toutes sortes de choses. D’abord seul, il avait dévoré tous les ouvrages qu’il avait trouvés à sa disposition. Il venait même de demander à reprendre les cours, pour la dernière année… Il était un enfant prodigue, revenu au foyer paternel après une errance et un accident mystérieux. Il avait droit à une nouvelle chance. A toutes les chances, à tous les bonheurs. Il était soutenu et aimé. Protégé. Et soigneusement maintenu dans l’ignorance de la vérité.
Personne n’osait envisager l’idée de lui apprendre quel avait été réellement son passé. Le nôtre. A tous. Personne ne savait s’il était approprié de lui faire part de la nature des uns ou des autres...
Y avait-il bien une nécessité à le faire, d’ailleurs ? Du moins, pour le moment. Ce que je comprenais assez. Jacob n’avait pas transmuté depuis son retour. Et Billy aspirait simplement à ce que son fils, tragiquement perdu et miraculeusement retrouvé, puisse vivre en paix.
Il le mérite, Edward. Il le mérite vraiment.

Malgré la joie que m’inspirait cette dernière vision, mon trouble ne se dissipait pas. Je sentais qu’il me restait à apprendre… le pire. Je le discernais déjà. N’ayant jamais réellement voulu l’envisager, voilà que j’allais devoir y faire face. Et c’était maintenant.
Sa silhouette approchait. Son visage. J’avais du mal à accepter de le regarder…
Ma mère, Edward. Que se passe-t-il avec ma mère ? Je l’ai vue. Pourquoi va-t-elle si mal ? Dis-le moi, toi, je n’y arriverai pas toute seule !
Alors, mon mari m’expliqua. Le plus précautionneusement qu’il put. Mais devais-je vraiment en éprouver de la surprise ? Comment pouvais-je refuser qu’il en fut autrement ?
Lorsque les visions d’Alice avaient été confirmées par le retour de Jacob et la transformation de nos enfants, les Cullen avaient eu la certitude qu’Edward et moi reviendrions, un jour prochain, et que je serais alors devenue leur semblable. Cela impliquait… tant de choses ! Moi qui avais cru… qui avais toujours voulu espérer… qui avais imaginé… que la vie continuerait ! Notre vie, cette vie d’avant, celle que j’avais appris à aimer malgré toutes les douleurs et toutes les difficultés dont elle était pleine. Mais non. Comment avoir pu désirer cela ? Elle n’était plus possible. J’avais si longtemps occulté cette issue ! J’avais refusé de voir la vérité, d’accepter ce qu’au fond de moi je savais pertinemment.
J’étais un vampire à présent. Et mes enfants, ma mère, la seule famille qu’il me restait, étaient humains. Ils étaient mortels, alors que je demeurerais immuable. J’étais potentiellement dangereuse, n’était-ce que par ma force… Je devais me nourrir de sang, chasser et tuer pour étancher ma soif, et même s’il ne s’agissait que d’animaux, cela n’avait rien de normal pour des êtres humains ! Comment pourraient-ils comprendre ? Comment tolérer ? Je n’avais plus de famille. Ou plutôt : je ne faisais plus partie d’elle. J’appartenais à une autre désormais. A un autre système, d’autres règles de vie. Et il y avait la Loi. Cette loi du secret. Cette interdiction logique, abominable. Et salutaire pourtant.
Les Cullen avaient fait le nécessaire. Qui d’autre l’aurait pu mieux qu’eux ?
Notre long voyage… Nous n’en étions jamais revenus.

Edward serra tendrement son bras autour de mes épaules, en désignant la pierre blanche où nos noms avaient été inscrits. Au-dessous d’eux, une date. Et ces mots : "L’amour est éternel".
Une tombe vide. Un mensonge. Et une vérité.
Dans la nuit, la nature chantait. Tout autour de nous, la terre humide, la sève, les minuscules craquements, les glissements, effleurements de feuilles fines, d’ailes douces. Le vent frais soulevait mes cheveux, s’enroulait dans mon cou, coulait dans mes yeux et mes narines. Coulait dans tout mon corps planté là, bouillant et pourtant figé ; glacé, mais irradiant de sa puissante vie surnaturelle.
Je tendis les doigts, caressai les lettres dorées.
Ainsi, j’étais morte. Nous l’étions tous les deux. Et je ne l’avais jamais vraiment réalisé. Jusqu’à cet instant.

Je n’avais pas seulement quitté pour toujours tous ceux que j’avais pu côtoyer durant ma vie humaine -René, Phil, Angela… Mike, Ben, Jessica… et tant d’autres !- Edward et moi avions également été déclarés définitivement disparus par d’autres. Les Volturi.
Pour les uns, notre avion s’était écrasé, quelque part, à l’autre bout du monde. Abîmé dans les profondeurs de l’océan. Aucun survivant. C’était malheureusement une catastrophe qui s’était réellement produite durant notre absence, et Jasper et Carlisle avaient profité de l’occasion, usant de leurs relations pour faire modifier la liste des passagers à bord… Rien de plus facile pour eux.
Pour les autres… un certain Fléau nous avait anéantis pour d’obscures raisons que personne ne s’aventurerait jamais à tenter d’éclaircir. Refusant à Alec la terrible vengeance à laquelle il aspirait si ardemment, et à Aro la satisfaction de l’ambition qu’il avait envisagée un moment, avec délectation, de pouvoir placer en nous. Leur frustration était grande. Mais elle n’égalerait certainement jamais la nôtre. J’avais beaucoup perdu en devenant vampire. Bien plus que je n’avais jamais voulu l’envisager. En réalité, j’avais presque tout perdu. Mais, curieusement, des événements s’étaient produits… inconcevables. Prodigieux. Comme une contrepartie. En valait-elle le prix ? Je ne savais plus que penser. Ma peine était énorme.



Jamais je n’avais autant eu la sensation d’être faite de pierre. Il me semblait peser plusieurs tonnes soudain. Et cependant l’air nocturne embrassait de ses lèvres invisibles mes paupières, la paume de mes mains, la peau de mon dos… J’étais bien là pourtant ! Sans plus avoir le droit d’y être. Et nous faisions tous partie du même monde. Que me restait-il à faire ?
« J’avais vu…, commençai-je en posant ma tête contre l’épaule d’Edward, j’avais vu une petite maison, dans les bois. Charmante. Parfaite. Trop, sans doute… J’aurais dû savoir que cette partie-là de notre existence ressemblait trop au rêve merveilleux d’une petite fille pour ne pas être totalement issue de mon imagination ! C’était tellement… Je me suis prise pour Blanche Neige, ou je ne sais qui ! Pauvre petite Bella ridicule… C’est même étrange, ce refuge que je nous avais créé… »
Edward ne répondit rien. Il avait perçu le cynisme douloureux de ma réflexion. Il comprenait ma douleur, mieux que personne. Il se contenta de déposer un baiser sur le haut de mon front alors que je reprenais :
« J’avais imaginé… une paire de lentilles, et le tour était joué avec René ! Il y avait Charlie aussi… Mais qu’est-ce que j’avais voulu me faire croire, enfin ? Que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Que la princesse et le prince se marieraient et vivraient heureux, pour toujours, dans leur beau château rose et bleu ?... Je n’ai jamais vraiment trouvé que cela me ressemblait, de toute manière. Rien ne peut jamais être parfait. La perfection n’existe pas. »
Se retournant vers moi, Edward prit mon visage dans ses mains. Ses prunelles luisantes m’en disaient assez pour que je cesse mes réflexions stériles et que j’accepte enfin de céder à l’émotion qui m’envahissait. Ce n’était pas de la panique, mais une inquiétude sourde, doublée d’une infinie tristesse. Elle ferait à jamais partie de moi désormais.
« Edward…, finis-je par soupirer, qu’allons-nous faire maintenant ? Je ne peux pas envisager de ne pas… être près de Sarah et Karel ! Et la maison de Charlie ? Où allons-nous vivre ? Jacob... Les Quileutes, comment vont-ils réagir en ce qui nous concerne ? Ils risquent de décider de bannir ta famille, ou pire. Le traité a été rompu !... Et René ! Je ne lui dirai donc jamais adieu… Mais comment vais-je supporter… ? »
Edward m’embrassa.
Son baiser me bouleversa profondément. Il était une réponse.
Tu vas supporter, Bella. Et ce ne sera pas facile. Ça ne l’est jamais. Mais je t’aime… Je vais t’aider, nous allons tous t’aider. Et nous ferons tout notre possible pour que chacun vive au mieux. Nous donnerons à nos enfants tout ce dont ils auront besoin. Et toute l’affection dont nous sommes capables. Il y a des moyens, tu sais…
Non, je ne savais pas. Mais j’allais devoir y réfléchir. Minute après minute, jour après jour. Avec un autre regard, un autre état d’esprit. Une autre manière d’envisager les choses et l’existence…
J’allais faire… non pas ce que je voulais, mais ce que je pouvais, avec ce qu’était à présent pour moi le monde et la vie. Choisir, dans la mesure du possible, prendre les décisions qui me sembleraient justes, en accord avec moi-même. Faire du mieux que je pourrais.
Comme cela avait toujours été le cas, en fin de compte.
Et avec un peu de chance…

Une page se tournait.

Une bourrasque de vent nous enveloppa, déclenchant sur ma peau un frisson qui n’avait rien de désagréable, et partit se perdre entre les grands arbres, au loin, avec un gémissement de loup aux abois.
Oui… J’ai encore beaucoup à faire. Je vais penser à cela. A cela seulement.
J’essayais encore de m’en persuader pour l’heure. Mais j’y parviendrais, très certainement. Il me faudrait du temps.
Edward me sourit avec une infinie douceur.
« Partons d’ici, maintenant, mon amour, tu es d’accord… ? »
Je hochai la tête.
Mon mari enlaça ma taille, s’apprêtant à filer, à mes côtés, dans l’obscurité.
« Mais j’y pense… Nous allons faire un petit détour, si tu veux bien. Il y a longtemps que je veux montrer à mon épouse… quelque chose qui, je l’espère, lui fera peut-être plaisir... une petite maison… vieille, et depuis longtemps abandonnée, que j’avais achetée, au sud de Forks, un peu avant de retourner la chercher en Europe. J’avais pensé que ce serait un bon endroit où vivre, loin de tout danger, pour elle et les enfants, ou nous, enfin… quelle qu’ait été la situation… »
Je haussai les sourcils, stupéfaite. Il avait envisagé que je reviendrais. Sans lui, peut-être… Je savais très bien quelle avait été son intention, à cette époque-là.
Je levai une main, la posai sur sa joue. Ses pupilles pétillèrent.
« Oh, ne t’inquiète pas, tout est à refaire ! Et cela va demander beaucoup de travail. Si elle te plaît, tu pourras l’arranger à ta convenance. Moderne, sobre, pratique, rien qui ne ressemble un tant soit peu à un conte de fées. Et puis… j’ai été particulièrement catégorique sur certaines de nos exigences avant de me décider à l’acquérir : j’ai demandé confirmation à plusieurs experts et je peux t’assurer… qu’il n’y a pas le moindre lutin dans cette forêt-là. »

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !