lundi 12 octobre 2009

VOL I _ chpt 22, chpt 23, chpt 24



Chapitre 22 : Max

Réveille-toi.



« Quoi ? »



Allez, Bella…


« Mmmh… »



Bella, debout !


« Non, je ne veux pas… »



Debout, c’est aujourd’hui.


« Quoi aujourd’hui… ? »



Allez, c’est aujourd’hui que tu meurs.
Courage…



Je saisis le réveil. 9h40.
26 août.

Mon cœur fait un bon. Ma tête tourne.

J’ai dormi. Plus que je ne l’aurais pensé. Quand me suis-je endormie, au juste ?


Oh… ma tête tourne…

Respire, ça va passer.




« Bon, je me lève. »


Salle de bains. De l’eau fraîche… Boire.

Un jour gris.



Il n’y a personne.



M’habiller, puis descendre…

Ne pas réfléchir. Faire. Tu dois faire ce qu’il faut.



« Je vais… bien trouver un moyen. Dans le garage, Charlie doit avoir une corde, quelque chose… »

Tu sauras t’en servir ?


« Peut-être pas… »

Sûrement pas. Quoi faire, alors ?


« Je vais prendre la camionnette. Rouler, jusqu’à ce que… je trouve une falaise. »

C’est mieux, sans doute.


« Oui, plus simple. En descendant vers Jefferson Cove… »

Oui, voilà.




Allez.



Je descends l’escalier.
Le salon.


« Mais qu’est-ce que… ? »



Il était là.
Aussi surpris que moi, l’homme me dévisagea. Je tenais encore la rampe.
Je le reconnus tout de suite. Mais il était… très différent. Il avait l’air affolé, le teint livide, les yeux cernés et rouges. Des yeux fous. Il était agité de tics nerveux.

Danger

Il porta la main à sa ceinture. Un objet argenté apparut. Long. Une lame.

Cours !

Je fis un bond en arrière, en direction de l’entrée, mais il me saisit par le bras, agrippa mon t-shirt. Je luttai, tombant à genoux. Son bras se referma autour de mon cou. J’allais crier mais sa main se plaqua sur ma bouche. Instinctivement, je voulus mordre. Je donnai des coups de pieds.
Je reçus un coup de poing, entre les épaules, qui me coupa la respiration. Mes bras étaient emprisonnés vers l’arrière. L’homme glissa la lame sous ma gorge.
« Tu bouges plus, garce, compris ? Et ça ira vite. »
Je hochai la tête.
Me tirant en arrière, il me releva.
« Max, s’il vous plaît…
_ Comment co… ? »
Il me jeta contre le canapé et je m’écroulai au sol.

L’assassin me considéra un moment. Apparemment, il cherchait quelque chose. Sans doute se demandait-il si nous nous étions déjà croisés. Puis il vint s’accroupir devant moi, brandissant son couteau sous mon nez. Il en appliqua la pointe contre ma joue.
« Qu’est-ce que tu sais, au juste ? »
Il avait l’air terrorisé.
« Rien, je ne sais rien.
_ C’est quoi ces conneries ? Y en a d’autres qui savent comment je m’appelle ? Mais vous êtes qui, tous ? »
Il se mordait les joues et reniflait bruyamment. Peut-être drogué, à ce qu’il me semblait… imprévisible, donc.
« Max, vous pouvez… juste vous en aller. Je ne dirai rien.
_ Ben ça ! C’est sûr que tu diras rien. Mais j’ai un boulot à faire. On m’a payé assez pour ça. Et je veux la suite ! »
Il attrapa mon menton d’une main, examina mon visage.
« Je croyais pas que tu serais si jeune, quand même. Qu’est-ce que tu as bien pu lui faire pour qu’elle t’en veuille à ce point ? Si les gosses se tuent entre eux, maintenant… Enfin, c’est des gosses riches en tout cas.
_ On vous a payé pour venir me tuer ?
_ Payé, à moitié, et… promis que je pourrais en profiter un peu… J’avais espéré que tu lui ressemblerais davantage… »
Il sourit et son visage se tordit en une grimace écoeurante.
« Elle avait dit que ce serait facile et sans danger, que j’aurais le temps… Si je faisais exactement ce qu’elle disait. Mais j’aime pas que tu connaisses mon nom… D’où tu connais mon nom ? »
Je n’étais pas sûre de pouvoir réellement expliquer ce détail et je n’avais aucun mensonge plausible à servir en échange, alors je ne répondis pas.
Je reçus une gifle.
Le choc me fit réagir. Avec une violence dont je fus moi-même étonnée.
« Oui, il y en a d’autres qui connaissent votre nom. Ils sont assez nombreux, ils vous retrouveront sans aucune difficulté et ils ne seront pas tendres, si vous me faites du mal, vous pouvez en être certain. »
L’homme eut un hoquet. Ses yeux s’écarquillèrent. Il ne s’était pas attendu à une telle réponse. Il se mit à trembler.
« Bon Dieu de… Mais c’est quoi cette histoire ? C’est... la mafia ? »
Il se releva, marcha de long en large, son couteau à la main. Il hésitait.
« T’as pas l’air bien dangereuse, toi, en tout cas… l’autre me fait… vraiment peur. Elle est trop jeune et trop belle pour parler comme elle parle ! »
Je n’avais pas besoin qu’il m’explique qui lui avait demandé d’en finir avec moi.
« Vous devriez partir vite, répondis-je dans l’espoir de le déstabiliser davantage, il se peut que mes amis arrivent d’un moment à l’autre. »
Il s’arrêta. Sa main se referma sur la poignée de la lame. J’avais mal apprécié ce qui pourrait mieux le convaincre. Mes menaces ne valaient pas l’effet que Jane avait eu sur lui.
« OK, on va se dépêcher alors, tu as raison. »
Il se jeta sur moi, empoigna mes bras, me releva.
« Allez, viens, gamine, on va faire un peu de bruit. »
Je ne saisis pas ce qu’il voulait dire. Il m’entraîna vers la télévision, attrapa la télécommande. Il passa quelques chaînes avant de trouver ce qui l’intéressait, puis il monta le volume à fond. En un éclair, je compris tout. Je me débattis, hurlai, mais je ne percevais même plus le son de ma propre voix.
Sa main se referma sur ma gorge. Il voulait que je cesse de bouger. Je vis sa bouche articuler « tranquille » alors qu’il posait la pointe de son couteau près de mon œil en secouant la tête pour me faire comprendre le genre de menace que c’était-là. Valait-il mieux souffrir davantage ou non ? J’aurais voulu réagir, saisir son bras et détourner la lame, mais je n’en avais pas la force. Et si je tentais quoi que ce soit, sans doute me le ferait-il payer davantage. La situation était atroce.
Il avait l’air si sûr de lui ! Certainement, avait-il déjà eu l’occasion de procéder de la sorte. Il ne me fallut pas plus d’une seconde pour décider de ce que j’allais faire. De toute ma force, je donnai un coup de genou en avant. La lame glissa sur ma joue. Max se plia. Je me dégageai, mais ses mains se refermèrent autour de mes jambes et je m’étalai sur le sol. Il me roua de coups.
Au moins, il me tuerait sans y avoir pris de plaisir.

Je tendais mes bras devant moi pour me protéger comme je le pouvais, quand il se produisit quelque chose de parfaitement inattendu. Quelque chose qui n’aurait pas dû se produire. La porte s’ouvrit, et je vis Charlie apparaître sur le seuil, les sourcils froncés par l’incompréhension. Quand il nous découvrit, sa bouche s’ouvrit en une expression de surprise. Je remarquai qu’il n’était pas seul. Quelqu’un se tenait à côté de lui. C’était Johnny. A cause du vacarme, mon agresseur ne les vit pas immédiatement. Ce fut mon regard qui le fit se détourner de moi. Il se releva promptement. Déjà, Charlie avait tiré son arme de service et en menaçait Max. Alors, il détala, son couteau à la main, et s’enfuit en direction de la forêt par la porte-fenêtre qui donnait sur l’arrière de la maison, celle-là même par laquelle il avait dû entrer.
Charlie fit un signe à Johnny, me désignant du doigt, et il s’élança à la poursuite de Max. Je tendis les bras en avant pour le retenir, mais il avait déjà disparu.
Je voulus me relever. Mon corps me faisait mal, je trébuchai. Johnny me retint. Son geste m’effraya et je le repoussai violemment. Un instant, je pensai qu’il pouvait aussi avoir été mandaté pour finir le travail s’il en était besoin, après tout, je ne connaissais rien de lui. Jane était assez perfide pour avoir imaginé un pareil plan. Devant mon expression apeurée, Johnny leva les mains et me fit signe de me calmer. Il chercha du regard dans la pièce, ramassa la télécommande du téléviseur et coupa le son. Ce fut comme si tout s’arrêtait d’un coup. Je m’effondrai.
« Il faut… il faut suivre Charlie !, haletai-je. Cet homme est dangereux, il est drogué.
_ Ton père sait ce qu’il fait », affirma Johnny en se rapprochant de moi.
Il plongea la main dans sa poche et me tendit un mouchoir. Je ne comprenais pas.
« Tu as une entaille. »
Ma main se posa contre ma joue, elle était collante. Mes doigts étaient rouges quand je les retirai, et j’acceptai le mouchoir proposé par Johnny en le remerciant.
« Comment vas-tu ?, demanda-t-il.
_ J’ai mal partout, mais ça va.
_ Que s’est-il passé ?
_ Quand je suis descendue tout à l’heure, il était là.
_ Tu le connais ? »
Je ne répondis pas immédiatement. Johnny s’était agenouillé près de moi, c’était la première fois que je le voyais d’aussi près. Ses yeux étaient très noirs, légèrement étirés, posés comme deux billes de jais au dessus de ses pommettes saillantes et brunes. Bizarrement, j’eus l’impression de le connaître. Il me semblait que j’avais déjà eu l’occasion de plonger dans ce regard.
Johnny perçut mon trouble et il se recula un peu.
« Non, répondis-je, jamais vu.
_ Tu sais ce qu’il voulait ?
_ Aucune idée. Voler quelque chose, j’imagine. »
Mes paroles devaient sonner faux. Johnny me regarda attentivement. Avait-il compris que je mentais ? A nouveau, je ne pus m’empêcher de le détailler. Ses joues étaient creuses, tout son visage tendu et nerveux. Je reconnaissais sans peine les traits caractéristiques de l’Indien en lui, les cheveux raides et noirs, le nez droit, la peau d’un bronze mat, la bouche large et fine. Cependant, quelque chose que je ne parvenais pas à identifier m’intriguait. Je reconnaissais en lui autre chose, qui le rapprochait dans mon esprit du clan des Quileutes, sans qu’il leur appartînt pour autant. Mais pourquoi donc me semblait-il si familier ?
« Vous…, commençais-je comme pour moi-même, êtes un peu… différent…
_ Tu connais bien les Indiens qui vivent ici, hein ? »
Il eut un petit sourire.
« Oui, tu as raison, poursuivit-il, je suis Cherokee par ma mère… Mais mon père était Quileute. Il l’a rencontrée quand il est parti vivre sur la côte est. »
Ses dents étaient parfaites et blanches. Très régulières. Son sourire avait plissé la peau de ses joues autour de sa bouche et je remarquai sa texture étrange. On la voyait à peine. On aurait dit du cuir tanné, imperceptiblement parcheminé…
J’arrêtai de le dévisager.
« Ce n’est pas ce que je voulais dire, ajoutai-je simplement. »
Il plissa les yeux et son sourire tomba. Je me demandai s’il n’était pas également un Transformateur. Son père était Quileute, il se pouvait qu’il ait hérité du don. Il serait le plus âgé de ceux que je connaissais, alors. Quel âge pouvait-il bien avoir, en réalité ?
Un instant, il me sembla comprendre : cette nuit-là, le vampire que j’avais aperçu fuyait… j’avais bien entendu un loup avant d’appeler Jacob. Leah avait été blessée et entraînée au loin, il aurait pu chercher à la défendre. Si tout ceci n’était pas seulement le produit de mon imagination, il se pouvait tout à fait que Johnny soit, lui aussi, capable de transmuter. Peut-être pas seulement en loup, d’ailleurs. Mais il ne souhaitait pas que cela se sache, apparemment. Il ne faisait pas partie de la meute de La Push.
« Je crois que tu peux comprendre que tout le monde a des secrets, Bella », dit-il en baissant le regard.
J’allais lui montrer que je saisissais, par un hochement de tête quand, dans le lointain, retentit un coup de feu qui me fit sursauter. Le temps de réaliser, une deuxième détonation se fit entendre, puis une troisième. Je me redressai.
« Il faut y aller !, gémis-je en bondissant vers la porte-fenêtre.
_ Il faut surtout appeler la police, répondit Johnny, où est le téléphone ? »
Je lui désignai l’endroit où se trouvait l’appareil. Que devais-je faire ? Il m’était insupportable de rester immobile. Je piétinais pendant que Johnny expliquait la situation.
« Ils disent de ne pas bouger, ça pourrait être dangereux. Ils arrivent. »
Je sortis, néanmoins. Je scrutais les bois. Charlie allait surgir d’un moment à l’autre. Il avait mis l’homme en fuite, l’avait effrayé, il n’allait pas tarder à revenir.
Les minutes passèrent comme des heures.





Chapitre 23 : Tragédie/ Tragedy



Au bout d’un moment, je perçus le bruit d’un moteur : c’était la Volvo d’Edward. Quelques secondes après, j’entendis la porte d’entrée qui se refermait.
« Bella ? »
Quand il m’aperçut, son visage prit une expression alarmée.
« Que s’est-il… ? »
Il lança un coup d’œil à Johnny qui le salua de la tête en reculant, visiblement gêné par l’impression que lui procurait Edward.
« Oh, Edward ! Charlie est dans la forêt, il y a eu des coups de feu… il poursuivait quelqu’un qui s’est introduit ici. Vas-y ! Va voir… »
Il interrogea mon regard affolé durant quelques secondes, puis disparut rapidement entre les arbres.
Johnny n’intervint pas. Il balayait l’horizon de ses yeux noirs, attentif au moindre bruit. Il guettait l’arrivée des collègues de mon père.
Quand le camion, suivi de quelques voitures, déboucha au coin de la rue, il s’empressa d’aller au devant d’eux. Plusieurs policiers armés pénétrèrent dans la forêt, ainsi que quelques hommes de la brigade des secours. Pourquoi fallait-il que je reste sur place ?

J’allais me lancer à leur suite, quand je vis Edward réapparaître entre les arbres. Je bondis au-devant de lui.
« Tu as vu Charlie ? Que s’est-il passé ? »

Edward s’avança vers moi.

« Edward ? »

Il ne répondit rien, écarta les bras, et les referma autour de moi.

« Mais… »

Il me serra fort. Très fort.
Pourquoi ne disait-il rien ?

Tout à coup, je compris.

« Oh, non… Non. »
Mes jambes ployèrent. Edward me retint.

« C’est impossible !... Non ! »

Je tombais en morceaux.
Mon cœur se glaça.
Je me crispai contre Edward.

« Il faut que tu… tu dois…
_ Il n’y avait plus rien à faire, murmura très doucement Edward qui avait compris ma demande. Il était déjà parti.
_ Oh, mon Dieu, non !... »

Ce qui se passa ensuite ne me parut plus très réel. Il me semblait que me tête allait exploser. Edward continuait de me serrer contre lui.
Des hommes passaient et repassaient près de nous, silhouettes floues et anonymes. Je reconnus cependant quelques visages. On parla à Johnny. Je vis passer une civière. On m’éloigna.

Quand le calme fut revenu, le docteur Cullen posa sa main sur mon épaule.
« Bella. Il va y avoir beaucoup de choses à régler. Je peux m’en charger mais j’aurai sans doute besoin de toi à un moment ou à une autre, tu es la plus proche famille. Nous allons t’aider, ne t’inquiète pas. Bella, tu m’entends ?
_ Oui. Oui, Carlisle, merci.
_ Edward, il vaudrait mieux emmener Bella chez nous. Peut-être devrais-tu prévenir sa mère aussi.
_ Bien sûr. »
Edward ne me lâcha pas une seconde. Il me fit monter dans sa voiture, et me conduisit à la villa, dans les bois.
Il appela René, je n’aurais pas pu le faire.
« Ta mère prend le premier avion, m’annonça-t-il.
_ D’accord. »
C’était irréel. Cette journée était une erreur. Le cours des événements s’était trompé, il allait faire marche arrière, il le fallait, les choses ne pouvaient pas être ainsi !
Edward s’assit à côté de moi et m’attira contre lui.
Au bout d’un moment, il demanda :
« Que s’est-il passé, Bella ? Qui t’a agressée ?
_ Max. L’homme de mon rêve. C’étaient les Volturi. Il avait l’air drogué, et Jane l’avait payé.
_ Il t’a fait du mal ?
_ Non… Il m’a juste frappée. Il avait un couteau, il voulait… Je me suis défendue comme j’ai pu. »
Edward souffla. Je savais ce qu’il pensait. Il n’avait pas été là, à veiller sur moi, pour une fois… une seule fois. Jacob non plus n’avait pas été là. Je m’étais retrouvée seule… comme dans la cabane de mon rêve, lorsque je m’étais sentie abandonnée et que j’avais pensé que je le méritais.
_ Si Charlie n’était pas arrivé… Il m’a sauvé la vie. »
Je me tus un instant.
« Edward, je vais aller m’allonger, je ne me sens pas bien.
_ Oui, bien sûr. »
Un grand vertige s’était emparé de moi. Je pensai que j’allais sombrer avant d’atteindre la chambre.
« Je vais t’apporter quelque chose à boire, dit Edward qui avait compris mon malaise, il faudra manger aussi, même si tu n’en as pas envie.
_ Oui. »
Il embrassa mon front et disparut.

Je restai un moment à contempler le plafond. Ce n’était pas réel. C’était impossible, j’allais me réveiller. Quelle erreur… quelle monumentale erreur du destin !
Soudain, j’entendis des pas qui se rapprochaient. La porte s’ouvrit.
« Bella ? »
C’était Jacob. Il s’approcha, s’assit au bord du lit. Il me regarda, et avança une main. Ses doigts se posèrent sur mon front, ma joue, ma lèvre. Il ne fit que m’effleurer mais tout mon visage était très douloureux. Mon corps aussi l’était. Je devais être couverte d’ecchymoses.
Le regard de Jacob se fit très dur, très noir, il ne détachait pas ses yeux de moi.
« Arrête de me regarder, Jake, je dois avoir une tête horrible, fis-je en repliant un bras sur mes yeux.
_ Je ne regarde pas ta tête, Bella, murmura Jacob, je regarde ce qu’on a osé te faire. Je peux t’assurer que celui qui t’a fait ça vit ses derniers instants.
_ Oh, Jake, Charlie… »
Je me redressai et me blottis contre lui. Il m’entoura de ses bras solides et tendres.
« Je sais, Bella, je sais. »
Je voulais lui demander comment j’allais faire, comment on faisait pour vivre sans l’un de ses deux parents. Je me sentais… trop jeune pour avoir à affronter une telle épreuve. C’était trop tôt, tellement trop tôt ! Jacob savait cela lui. Il avait eu à le vivre bien plus tôt que moi.
J’enfouis mon visage contre sa poitrine.
« Je suis là, Bella, ne t’en fais pas. Je vais t’aider. Ce crime ne restera pas impuni.
_ Que veux-tu faire, Jake ? Plus rien n’a d’importance maintenant.
_ Nous allons le chercher.
_ Le mal est fait… »
Jacob me serra contre lui. Il comprenait sans doute.

Rien ne me rendrait jamais mon père.


René arriva le lendemain, en fin de matinée. A partir de cet instant, tout se déroula sans que je n’aie plus aucun contrôle sur rien.
Je dus signer quelques documents, les Cullen s’occupèrent de beaucoup de détails et je leur en étais profondément reconnaissante.
Edward ne me quitta pas.
J’avais passé la nuit précédente chez eux, le docteur Cullen avait soigné ma blessure, et ce ne fut que lorsque René arriva que nous retournâmes chez Charlie.
« Ma petite fille…, avait-elle dit quand nous nous étions retrouvées, ma pauvre chérie ! » Elle était consternée par l’apparence de mon visage et profondément affligée, elle-même, par la disparition de celui qui avait été -même si c’était des années plus tôt- son seul et unique mari.
Alice et Jasper étaient rentrés. Edward m’avait expliqué qu’Alice était très mal-à-l’aise. Je supposais qu’elle s’en voulait terriblement de ne pas avoir pu prévoir les choses, ce qui aurait peut-être pu permettre de les éviter. Moi-même, je ne comprenais pas comment les rêves que j’avais faits, s’ils m’avaient montré la menace qui pesait sur moi (à laquelle je n’avais pas pris garde tant les autres menaces m’avaient paru plus réelles et dignes d’inquiétude), ne m’avaient en revanche rien laissé envisager concernant Charlie. A aucun moment, me semblait-il.
Jacob tenait à rester près de moi également, et il faisait constamment des allers-retours entre la maison et La Push : Sam et les autres membres de la meute s’étaient, eux, mis en quête de Max, mais ils ne trouvaient rien. Sa trace s’arrêtait au bord d’une route qui longeait la forêt.
« Si cet homme avait bien été envoyé par les Volturi, avait dit Edward à Jacob alors que nous nous trouvions seuls tous les trois, il doit déjà être mort à l’heure qu’il est. Non seulement il n’a pas rempli sa mission, mais en plus il a fait parler de lui. »
Jacob l’avait regardé en silence, la mâchoire serrée. De toute évidence, cette conclusion trop simple ne le satisfaisait pas.

Il fallut attendre deux jours que les examens et l’enquête se poursuivent. Deux policiers, des collègues de mon père que j’avais déjà entrevus, vinrent pour me parler. Ils étaient très attristés, ne voulaient pas s’imposer et proposèrent de revenir quelques jours plus tard. Ils m’apprirent, néanmoins, que les choses semblaient déjà évidentes : l’homme s’était introduit dans la maison, à la recherche d’argent sans doute, pensant la trouver vide. Charlie était rentré à l'improviste, l'avait surpris et mis en fuite, puis il s’était lancé à sa poursuite et une lutte s’en était suivie, dans les bois. Mon père avait dû hésiter à se servir de son arme et son assassin s’en était emparé, le tuant sur le coup. C’était, selon eux, affreusement banal.
Moi, le caractère absolument extraordinaire de la situation m’apparaissait dans toute son horreur. Si l’on n’avait pas cherché à me faire disparaître, Charlie ne serait pas mort. Je ne pourrais jamais me le pardonner. Tout était de ma faute.
J’étais tellement abattue, que je ne réagissais plus à rien. Edward s’en rendit compte, il avait parfaitement appréhendé mes réflexions.
« Tu n’es pas responsable de ce qui s’est produit, Bella », m’assura-t-il.
Comme je dus lever à cet instant vers lui un regard empli de détresse, il poursuivit :
« Non, tu n’y es pour rien. Les responsables sont les assassins : celui qui a appuyé sur la détente, et ceux qui ont commandité son action en prenant les décisions. Tu ne dois pas penser autre chose, tu m’entends bien, Bella ? »
J’acquiesçai, mais la culpabilité me rongeait. Elle me rongerait longtemps. Aussi longtemps que je vivrais, sans doute.

Durant ces quelques jours, il me sembla –mais sans doute était-ce une illusion provoquée par la douleur- que Charlie était toujours là, dans cette maison qui était la sienne, pleine des odeurs familières : le café, le bois de l’escalier et des lambris, l’eau de toilette… l’odeur de la vie et des êtres. Je m’attendais presque à le voir, à tout instant, passer la porte ou surgir de la cuisine. Je le voyais sur le canapé, une bière à la main, regardant un match. Je repensais au baiser qu’il avait posé sur mon front, l’autre nuit, en montant se coucher, à son sourire, alors que j’imaginais le voir pour la dernière fois car je pensais, moi, à la mort. A la mienne.
Que fallait-il que je fasse, à présent ? De nouvelles réflexions me venaient, des pulsions plutôt, instinctives, me semblait-il. De Charlie, il ne restait plus que moi dans le monde. La couleur de ses cheveux, de sa peau, certains traits de son caractère, vivaient à travers moi, en moi. Durant quelques brefs instants, je commençais à considérer les choses d’un autre point de vue. Un point de vue très différent de celui que j’avais pu avoir jusqu’à présent, comme s’il n’était plus tout à fait le mien, comme s’il m’était suggéré par les circonstances. Il m’apparut qu’ayant à subir la disparition de mon père, je redécouvrais la valeur de la vie, de la mienne, de tout être, son aspect précieux –c’était le mot qu’avait employé Edward, une nuit- alors qu’ils m’avaient progressivement échappé, quittée, durant les dernières semaines. J’envisageai la vie que je portais comme une espérance... un témoignage, également, de ceux qui avaient vécu et qui n'étaient plus. Mon enfant tiendrait un peu de Charlie, peut-être. Je lui parlerais de lui, il porterait son souvenir vers l’avenir.
Mais quel avenir avais-je ? Quel avenir avions-nous tous ?





Chapitre 24 : Résolution



Je ne dormis quasiment pas. Par moments, la souffrance était telle qu’il me semblait que la réalité du monde chavirait. Pour me raccrocher à ce qu’il me restait de solide et de réconfortant, je me levais et trouvais René, ma mère adorée, endormie sur le canapé, Edward, mon amour qui ne dormait jamais, lisant dans un fauteuil. Jacob passait la nuit à La Push, avec Billy, qui avait été très affecté par la tragique disparition de son meilleur ami.
Edward se levait, silencieusement, et nous sortions devant la maison, dans la nuit. Il n’y avait quasiment pas de lune, elle allait bientôt disparaître tout à fait. Ne restait qu’un mince fil d’argent arrondi qui luisait faiblement au firmament. Par contre, comme la nuit était claire, les étoiles brillaient, suspendues dans le ciel, myriades de petits diamants étincelant dans les ténèbres. L’air était doux encore, même si, déjà, la chaleur intense de l’été avait décliné.
Edward me serrait dans ses bras, en silence. Il savait que les mots étaient inutiles. Lui-même avait perdu toute sa famille, sa vraie famille humaine, celle qui lui avait donné le jour, bien trop tôt. C’était il y avait longtemps, certes, mais je comprenais bien que toutes les douleurs ne sauraient être effacées par le passage du temps. Il s’était perdu lui-même, ensuite, et il considérait cela comme une mort véritable, et même était-ce pour lui pire que la mort. En devenant vampire, Edward pensait avoir perdu tout ce qu’il y avait de bon en lui, toutes ses valeurs, le sens de son existence, et sa foi. Il y avait perdu son espoir, et cette nouvelle vie que son père adoptif lui avait donnée pour le sauver de la mort, n’avait longtemps été pour lui qu’une demi-vie ou plutôt une demi-mort, amère et décevante, qui devait, de plus, durer éternellement. Jusqu’à-ce que nous nous rencontrions. Soudain, sa vie avait repris un nouveau sens, tout comme la mienne en avait trouvé un. Et aujourd’hui, ma vie n’avait-elle réellement plus de sens ? Ne venait-elle pas plutôt d’en trouver plusieurs ?
Il y avait tant de choses à accepter, tant de douleurs à traverser, et je n’étais pas prête. Mais, sans doute, ne l’est-on jamais tout à fait. Si l’on ne décide pas, la vie décide, elle. Elle vous jette dans ses flots déchaînés et… nage qui peut !

Mon front était appuyé contre le cou frais d’Edward, mes bras autour de son corps immuable. Chaque jour qui passait me montrait combien il était un être merveilleux. Sa sensibilité, sa compréhension des hommes et du monde, sa générosité et son abnégation exceptionnelle, son amour pour moi, éternel… Je devais faire en sorte de le rendre heureux, lui aussi, au lieu de l’accabler définitivement et de ruiner tous ses espoirs par ma disparition.
Sans y penser, sans le savoir, Charlie avait perdu la vie alors qu’il sauvait la mienne… Je devais avoir davantage de courage, pour ce qui avait vraiment de la valeur à mes yeux,
pour tous ceux que j'aimais et qui demeuraient, pour moi aussi. Il fallait que je fasse en sorte de goûter le bonheur des instants qu'il nous restait à passer ensemble, de savourer chaque minute de cette vie, avant qu'on ne nous l'arrache, malgré nous. Je devais assumer mes choix et leurs conséquences, jusqu'au bout. Nos existences s'étaient révélées hors du commun, elles devaient faire naître en moi une volonté, une détermination et une ténacité à leur mesure.
Je devais me battre au lieu de me résigner…

Dans les bras d’Edward, sous la voûte étoilée, ma douleur s’apaisait un peu. Ce fut, à cet instant, que je choisis la vie.
Ma résolution était prise.


Aux obsèques de Charlie, l’Eglise était comble. Malgré la fatigue et la peine, je trouvai assez de force en moi pour rester digne, pour faire honneur à celui qui était parti. J’eus l’impression qu’il me donnait du courage, qu’il se tenait quelque part, près de moi, et cette pensée était réconfortante.
Je croisai de nombreux visages inconnus, quelques visages connus, également, qui me saluèrent d’un regard ou d’un signe amical. Je vis Ben, Angela et sa famille, celles de Jessica et de Mike, beaucoup de mes camarades du lycée étaient présents. Les Cullen, Jacob et Billy, les familles de La Push, Sam, Johnny et Leah, les collègues de mon père… tous étaient venus lui rendre un dernier hommage.
Pendant tout le temps que dura la cérémonie, j’eus l’impression de flotter, quelque part à côté de mon propre corps, comme si je n’étais plus tout à fait présente, comme si je m’étais totalement détachée de moi-même pour pouvoir endurer tout ce qu’il y avait à faire.
La dépouille de Charlie fut ensuite conduite au cimetière de Forks, un long cortège l’accompagna jusqu’à sa dernière demeure. Je tenais la main de ma mère.
Peu avant la fin de l’inhumation, René lut un texte, simple et sensible, qu’elle avait préparé. Son courage et les mots qu’elle employa m’émurent profondément. Charlie et elle n’avaient pas passé la moitié de leur vie ensemble, et pourtant… Elle le connaissait si bien ! Il y avait eu de l’amour entre eux, un l’amour sincère, qui vivait encore aujourd’hui.
A cet instant, je réalisai que l’amour subsiste, malgré les aléas de l’existence, une fois donné, il ne repart plus. Pas totalement, en tout cas.
Nous nous rendîmes ensuite chez Charlie où de nombreuses personnes nous accompagnèrent et nous tinrent compagnie jusqu’au soir. Esmé était près de René, avec Billy et le docteur Cullen. Je restai avec Edward et Jacob, sur la terrasse. Je regardais la forêt. La forêt où mon père était entré, pour ne plus jamais en sortir. Je la regardai jusqu’à-ce qu’une brume monte d’entre les arbres et que le soir l’obscurcisse doucement.
Comme les derniers visiteurs se retiraient, Ben et Angela vinrent me saluer.
« On y va, dit cette dernière dans un sourire sympathique. Tu dois être épuisée.
_ Oui, soufflai-je, effectivement. »
Elle saisit mon bras.
« Bella, je voulais te dire… si tu as besoin de quoi que ce soit…
_ C’est gentil, Angie, merci. Je pense que ça va aller, mais je te dirai si jamais…
_ Tu vas… tu vas faire quoi, maintenant ? Ta mère va rester un peu ?
_ Oh… »
Je n’y avais pas réfléchi. Je n’avais pas encore eu l’occasion d’envisager une suite à cette journée.
« Je suppose, oui.
_ Et la fac ?
_ Je ne sais pas… il y a pas mal de choses… »
Y aurait-il vraiment un après ?
« Je comprends, conclut-elle, écoute… Viens, là. »
Elle me serra dans ses bras. Ben en fit autant. Ils étaient adorables. Je n’avais pas eu l’occasion de beaucoup partager avec eux, je n’en aurais peut-être jamais l’opportunité, mais je savais qu’ils étaient profondément sincères et gentils.

René et Esmé préparèrent un repas léger et, quand ceux qui avaient faim eurent mangé un morceau, je demeurai avec ma mère et Edward, comme les deux soirées précédentes.
René me regardait. Elle semblait anxieuse.
« Bella, finit-elle par demander, comment te sens-tu, ma chérie ?
_ Bien, maman ? Pourquoi…
_ Je… ne t’ai pas vue pleurer une fois, Bella. Ce n’est pas… normal. Tu m’inquiètes beaucoup. »
Comment pouvais-je lui expliquer qu’il y avait un stade dans les émotions, comme la douleur, au-delà duquel elles ne trouvaient plus d’expression ? J’avais franchi ce stade plusieurs jours auparavant. Les larmes ne venaient plus, pour le moment. Peut-être reviendraient-elles, un jour. Plus tard.
René ajouta :
« Je me demandais… Souhaites-tu que je reste avec toi, ici, un moment ?
_ Tu peux rester, oui…
_ Est-ce que tu ne préfères pas… repartir avec moi ? »
J’aurais dû envisager cette possibilité, mais elle ne m’était même pas venue à l’esprit.
« Je crois… que je vais plutôt rester ici. Cette maison… est la mienne maintenant. Ma vie est ici. »
Edward s’était rapproché, il s’assit près de moi et prit ma main.
« Tu sais, poursuivit-elle, pour l’Université… je me disais… tu pourrais peut-être prendre une année avant d’y aller. Voyager un peu… te reposer… prendre le temps de…
_ Tu as raison. Un an… me semble bien.
_ Ah ! »
Elle avait l’air soulagée. Son regard glissa sur Edward. Il me sembla que c’était le moment.
« Maman, commençai-je, j’aimerais effectivement que tu restes un peu… une dizaine de jours.
_ Tant que tu voudras, Phil comprend…
_ Maman… Edward et moi allons nous marier. Nous souhaitons que cela se fasse bientôt. »
Je me tournai vers Edward, son regard doux et calme était posé sur moi, il hochait la tête.
« Ce sera très simple. Il y a aura peu de monde. Nous ferons la bénédiction ici. »
René me regardait, les yeux brillants. Elle avait couvert sa bouche d’une main, mais elle ne paraissait pas vraiment surprise. Elle semblait hésiter entre le rire et les larmes.

Au bout d’un moment, elle tendit les bras.
« Viens, ma belle, dit-elle et sa voix tremblait, viens que je t’embrasse. J’espère que tu seras très heureuse, ma chérie… que vous serez très heureux. »




6 commentaires:

  1. Tu m'as achevé la! Entre les choix musicaux et l'histoire, j'ai usé deux mouchoirs. La façon d'exliquer la peine de Bella est forte en émotion. Je dirai même que ça m'a pris aux tripes... Surtout le passage qui commence avec la chanson "amie" de Damien Rice, elle allait à merveille. Entre ça est l'histoire, j'en étais toute retournée...

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  2. Jacobinette, je suis ravie d'être arrivée à faire passer l'émotion, même si elle est douloureuse (je suis persuadée que lire apprend un peu à vivre). J'ai beaucoup réfléchi, pour le coup... Et pour la musique, oui, je crois que j'ai trouvé la bonne, j'ai énormément hésité là aussi, mais cette chanson... c'est comme Chris Garneau... elle est magnifique et obsédante. Sur ton blog, j'ai découvert Death Cab for Cutie, I will follow you into the dark, je l'aime beaucoup, elle m'inspire. Je l'utiliserai peut-être.
    J'ai vu que tu m'avais mise dans tes links et je t'en remercie.

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  3. Si tu aimes "I will follow you into the dark" de Death Cab for Cuties, je te conseille "Skinny Love" de Bon Iver. C'est le même style, et tjs aussi beau.
    De rien pour le lien, j'aime tellement ta fiction, que si je peux en faire profiter un max de personnes c'est tant mieux!

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  4. pas lu, pas le temps. ces jours-ci je ne suis pas là :)

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  5. Prends le temps d'avoir le temps... Je le prends aussi en ce moment, histoire de faire les choses bien. On n'est pas pressés...

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  6. Tiens moi aussi tu me fais pleurer entre les chansons et la disparition de Charlie. Je vais m'arrêter là pour aujourd'hui... pas le courage de continuer ou d'avoir d'autres émotions fortes !

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Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !