vendredi 27 novembre 2009

A propos des chapitres 1-2-3-4-5-6 : inspiration


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Johnny tells Carlisle his story and hopes the vampire could help him. Then he touches Alice which makes her wake up. She discovers she can feel werewolves. Alice and Jasper decide to help Johnny and Leah. Alice also reveals to Bella she's pregnant with twins. Edward tries to convince her they could be happy living a simple life together. Bella tries to believe it, even if she's afraid about the future. She feels much guilty about what happened. She goes in the forest nearby the quileutes sacred tree but she has to accept Jacob's gone forever. She gives birth to her children, Sarah Elizabeth and Karel Ocean, at the end of march. They are not attractive for vampires which means they are bound to become Shape-Shifters. Bella realizes she doesn't feel comfortable with this. She introduce them to Billy who has to accept the fact they will live with Edward. Driving back from La Push, she follows the same woolf she saw a first time and sees Jacob's spirit again. Time passes. She begins to make anthropology studies and Edward meets the lawyer Scott Jenkins in Seattle. He'd like to work with him, using his gift. One day, Bella understand Edward's desire for her is still very strong as hers is too. She feels things are changing again and thinks living her human life with Edward is maybe just impossible.


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Ce chapitre permet d'en apprendre davantage à propos de Johnny et des Enfants de la Lune. Traditionnellement, les loups-garous sont proches des vampires. Certains mythes les confondent même ! C'est pour cette raison qu'il m'a semblé intéressant de montrer qu'un lien pouvait exister entre eux et Alice, qui est décidément un personnage plein de surprises. Le fait qu'elle soit la moins humaine des Cullen permet d'exploiter davantage sa sensibilité et sa nature vampirique.

Le personnage de Leah mérite également qu'on s'y attarde un peu. Elle est très attachante, de par son caractère très affirmé et passionné. Il m'a semblé juste de lui donner un compagnon... à sa mesure. Faire d'elle un lien, tout nouveau, entre l'humain et le loup-garou ouvre des perspectives. L'histoire de Johnny ne fait que commencer.
Il serait intéressant d'envisager la quête de cet Enfant de la Lune... et ses aventures... pour plus tard, peut-être !

Petit clin-d'oeil concernant l'ex-épouse de Johnny, qui ne vous a pas échappé, j'espère... (c'est un règlement de compte entre le personnage de Leah et elle !)



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L'idée d'un arbre sacré qui se trouverait dans la réserve quileute m'a semblée assez naturelle. Il existe des spécimens très impressionnants dans l'état de Washington : on les appelle redcedars/ cèdres rouges ou thuyas géants. Les Indiens les considéraient effectivement comme des arbres sacrés et quand on voit à quoi ressemble la nature, et plus particulièrement la forêt, dans cette région, on ne peut que se montrer admiratifs et rêveurs.

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Le moment est aussi arrivé pour Rosalie de profiter un peu de ce qui lui a toujours cruellement manqué. A travers Bella, son désir d'enfant peut se réaliser et, c'est, me semble-t-il, la seule chose qui pouvait permettre des les rapprocher. Rosalie est un personnage assez fascinant et émouvant lorsqu'on connaît son histoire. Son caractère dur vient de ce qu'elle a vécu et de la douleur qu'elle éprouve toujours de ne plus être humaine. En cela, elle me semble très touchante.

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La forêt, la nature, ne peuvent qu'occuper une place importante dans cette histoire. Du fait du lieu superbe dans lequel elle se déroule, et de la présence des Indiens aussi, bien sûr. La forêt est un lieu magique. Dans lequel toutes sortes de choses peuvent se produire. C'est un lieu qui cache, qui protège. C'est aussi un lieu sauvage et dangereux dans lequel on peut se perdre. Là n'est pas la place des humains. Pourtant, Bella a du mal à s'en détacher, parce que c'est là qu'elle voit Jacob. L'image suivante me semble bien illustrer son attitude et ses sentiments. Elle évoque une ambiance magique et mystérieuse, beaucoup de mélancolie également. Je la trouve vraiment magnifique.

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Parmi les animaux sacrés des Indiens, on trouve le loup, bien entendu, et l'aigle. Concernant ce que dit l'esprit de Jacob à Bella, je me suis inspirée des traditions chamaniques et des différents mythes qui évoquent la vie de l'esprit ou des différents éléments supposés composer un être humain. En fait, il en existe de toutes sortes. Les récits de toutes origines que l'on trouve à ce sujet sont extrêmement intéressants. J'aurais l'occasion d'y revenir plus tard.

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A propos des noms, maintenant. Un peu d'étymologie...

Je me suis penchée avec intérêt sur ce sujet auquel j'attache beaucoup d'importance et j'ai découvert... beaucoup de choses !
J'ai prénommé les enfants de Bella de manière moins originale que dans la saga, en reprenant simplement les prénoms des parents des personnages, comme on peut le faire de manière "normale". Sarah est le prénom de la mère de Jacob, Elizabeth, celle d'Edward. Karel est une des formes du prénom Charles, comme Charlie.

Voici ce qu'on apprend en cherchant le sens des prénoms ou noms utilisés dans l'histoire (au bout du troisième... je me suis dit que S. M. avait dû le faire exprès...) :

Edward = riche gardien ; Isabella/ Elizabeth = promesse/ serment de Dieu ; Jacob/ Giacomo (eh oui !) = celui qui supplante/ remplace ( oh, vraiment ?) ; Billy = casque/ protection ; Leah = délicate/ sensible/ lasse ; Charlie/ Karel = homme libre ; Sarah = princesse ; Emmett = puissant (!) ; Esmé = aimer (!!) ; Alice = noble/ exaltée ; Jasper = celui qui détient/ garde un trésor ; Angela = messager ; Jessica = qui voit/ regarde ; Cullen = beau (!!!) ; Hale = héros ; Masen/ Mason = qui travaille la pierre ; Ateara = la couronne ; Uley/ Ulysse = colérique (!!!!).
J'ai ajouté Johnny/ Jane = grâce de Dieu ; Randall = bouclier du loup... ; )
Si de nouveaux personnages apparaissent, vous pourrez vous interroger sur le sens de leur noms, cela semble toujours très révélateur.

Bonus : Taylor = couper ; Kristen = chrétienne/ ointe/ consacrée ; Robert = brillante renommée (si, si... !)



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Cette seconde partie se termine sur une note plus inquiétante, car... cela reste une histoire de vampires, après tout !
Edward est un personnage dont la profondeur a été un peu négligée aussi, à mon sens. Si certaines critiques disent que le personnage de Jacob n'est qu'une brute sans cervelle, d'autres affirment qu'Edward n'a aucune personnalité, et qu'il a tout du dépressif. Il ne suffit pas de répéter qu'il est beau et torturé, de mentionner une fois qu'il écoute du Debussy, pour faire de lui un être intéressant. On dirait qu'il doit l'être, par principe et de manière incontestable, sans que rien ne le montre jamais vraiment. Le lecteur doit accepter cela comme un dogme. Dans ma lecture de la saga, Edward m'est devenu rapidement ennuyeux. Dans les 3e et 4e tomes, il n'a plus aucun intérêt et on se met à lui préférer Jacob. Il est même incohérent dans le passage de la nuit de noces. Comment peut-il accepter de faire ce qu'il fait ? Cela ne ressemble plus à son caractère. Il a besoin, selon moi, d'avoir un côté plus "sombre", de manière plus évidente. C'est ce qui peut le rendre intrigant, voire séduisant. Il est par essence ambigu, double, imprévisible et parfois incompréhensible. Dans mon histoire, il fait également preuve de grande qualités qui traduisent son amour immense pour Bella. Il se montre "sage" aussi, par certains aspects, car il a un vécu, dû à son âge. Beaucoup de sensibilité enfin... ce qui fait qu'il ne peut que souffrir, et se montrer passionné, malgré le carcan dans lequel il se trouve enserré du fait que Bella est humaine. Le romantisme ne réside pas seulement dans le choix de voitures, de vêtements, de bijoux et de voyages de luxe etc... Il y a des mots, des gestes, une pensée. Des choix.
Le personnage d'Edward est en devenir.

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VOL II "Starlight"/ Renonciation _ chpt 1, chpt 2, chpt 3, chpt 4, chpt 5, chpt 6



White Nights/ Rédemption, Livre 2 (L'enfer et le paradis) "Starlight"/ Renonciation

Chapitre 1 : Histoire de Johnny/ Johnny's story

Les quelques jours qui suivirent furent particulièrement étranges. La fatigue s’abattit sur moi et je dormis. Beaucoup. Il me semblait être vraiment déconnectée de la réalité. J’avais la sensation de ne plus rien ressentir, que tout s’éloignait de moi, perdait de sa consistance. Carlisle m’expliqua que c’était une réaction normale aux différents chocs que j’avais subits. Une sorte de protection que mon esprit et mon corps avaient mise en place, spontanément, afin de se préserver. Il m’assura que c’était une bonne chose, et que, peu à peu, avec le temps, la douleur s’apaisant, la sensation d’anesthésie disparaîtrait. J’écoutai ses bonnes paroles, mais j’avais du mal à le croire.
L’état d’Alice restait préoccupant. Carlisle s’inquiétait de son inconscience prolongée car ce coma, qui ne lui permettait plus de se nourrir, l’affaiblissait progressivement. Il avait finalement décidé d’apporter de l’hôpital du matériel permettant de faire régulièrement à Alice des transfusions sanguines afin qu’elle ne perde pas totalement ses forces. Je vins plusieurs fois passer un moment dans la chambre où elle se trouvait, mais fis attention de ne pas trop gêner Jasper par ma présence. Comme j’étais assise près d’elle, un après-midi, je m’aperçus que ce dispositif médical m’évoquait celui que j’avais pu voir le docteur Cullen mettre en place pour moi, dans mon premier rêve, lorsque mon propre sang s’était mis à me manquer, absorbé de l’intérieur par mon enfant-vampire. Le pied de métal auquel était suspendue la poche de sang, le petit tuyau transparent qui la reliait à son corps… tout cela m’évoquait des sensations trop réellement ressenties et qui me mettaient mal à l’aise. Le point positif, selon Carlisle, était que le corps d’Alice avait déjà absorbé de lui-même plusieurs poches d’affilée, lorsque la perfusion avait été installée. Il s’était calmé depuis, comme rassasié. Rosalie et Emmett ne la quittaient pas.
Je tenais sa main, Edward à mes côtés, quand j’entendis retentir la sonnette de la porte d’entrée. Edward fronça les sourcils une seconde.
« Ce sont Leah et Johnny, déclara-t-il. Tu devrais aller les accueillir, Bella. Ta présence les mettra davantage en confiance. »
Je hochai la tête.
« Viens avec moi, Edward. Tu n’as pas eu l’occasion de rencontrer Johnny… pas vraiment. Il est très…
_ Ce n’est pas tant Johnny…, sourit-il, que Leah… Je préfèrerais lui épargner ma présence.
_ Elle vient chez toi, Edward, répondis-je. Elle doit bien s’attendre à t’y trouver, non ? Et puis tu n’as rien à te reprocher que je sache. »
Edward tourna vers moi un regard peu convaincu, mais je pris sa main et l’entraînai à ma suite.



Carlisle et Esmé avaient fait asseoir leurs invités dans le grand canapé du salon. Ces derniers semblaient tendus mais s’efforçaient de paraître naturels. En fait, ils avaient surtout l’air inquiets. Johnny me salua d’un petit sourire et d’un signe du menton. Leah posa sur nous son beau regard noir. J’y lus une détresse certaine.
« Vous connaissez mon fils, je crois ?, intervint le docteur Cullen.
_ Nous nous sommes croisés, oui, confirma Johnny qui se leva et tendit la main en direction d’Edward.
_ Je suis ravi que vous ayez accepté de nous rencontrer, poursuivit Carlisle. Vous nous avez tous… vraiment impressionnés. Nous vous devons beaucoup aussi… à tous les deux. »
Johnny parut décontenancé par les propos du vampire. Leah soupira.
« Il ne se rappelle rien, docteur, souffla-t-elle. Il n’a aucun souvenir… rien du tout. »
Carlisle plissa les yeux.
« Je n’avais jamais eu l’occasion… personne parmi nous n’a jamais rencontré d’Enfant de la Lune. Ils sont presque devenus une sorte de mythe. Mais je sais un certain nombre de choses à leur sujet et peut-être, vous-même, pourrez-vous m’en apprendre davantage.
_ Je ne sais rien du tout, reprit Johnny. C’est en partie pour cette raison que je voulais vous rencontrer. Personne ne sait, je ne trouve aucune aide… et c’est vraiment quelque chose d’affreux, docteur Cullen. »
Sa souffrance était perceptible.
« Vous parlez d’Enfant de la Lune…, reprit-il, je croyais qu’on disait loup-garou, tout simplement ?
_ Oui, bien sûr, acquiesça Carlisle, mais ici, avec la présence des Quileutes (d’une main ouverte, il avait désigné Leah) et leurs dons très particuliers, la distinction s’impose.
_ Pendant un moment, souffla Johnny, j’ai cru tellement de choses… Mon père m’avait parlé des croyances de son peuple quand j’étais enfant, et j’ai pensé à tout : folie, possession, Wendigo, Sasquatch... avant de me rendre à l’évidence et d’essayer de réagir. J’étais… je suis quelqu’un de plutôt rationnel. Je me suis tourné vers la médecine avant de commencer à accorder du crédit aux légendes. Il m’a fallu du temps, d’ailleurs.
_ Depuis quand vous transformez-vous ?, demanda le vampire avec douceur.
_ Un peu plus d’un an. J’ai été… »
Johnny hésita. Le souvenir semblait particulièrement pénible à évoquer.
« … mordu, l’été dernier. Au mois d’août, plus précisément. »
D’un regard, Carlisle l’engagea à poursuivre.
« Nous étions partis quelques jours, avec deux amis, camper, à environ deux heures de New York. Je n’avais pas pris de vacances depuis tellement longtemps… et ma vie personnelle n’allait pas très fort. Ils ont insisté. J’ai fini par accepter. Nous avions décidé de nous rendre, sur la route d’Albany, dans les montagnes Catskill avec l’intention de randonner et de voir le mont Slide qui se trouve être le plus haut sommet du comté d’Ulster. Nous nous étions réjouis, toute la première soirée, de cette pleine lune qui nous permettait d’y voir aussi clair qu’en plein jour, et de nous éloigner un peu de l’endroit où nous avions installé nos tentes sans avoir à utiliser nos lampes torches.
Nous avions bu pas mal de bières et nous étions bien… fatigués, je dirais. Notre veillée touchait à sa fin. Nous allions nous coucher, mes amis avaient déjà rejoint leurs sacs de couchage. J’ai fait quelques pas dans les bois. La végétation n’était pas très dense et j’y voyais parfaitement. Aussi bien qu’il m’était possible d’y voir, vu mon état. Au bout de quelques minutes, j’ai aperçu, un peu plus loin, une forme noire, allongée entre les arbres. Vraiment énorme. Rien ne bougeait. Il m’a semblé que ce devait être un ours. Un ours mort, apparemment. Alors je me suis approché. J’ai d’abord constaté que l’animal était gravement blessé, il lui manquait un membre et une grande partie de son corps était déchiquetée. Cela donnait à première vue l’impression d’un combat qui aurait dégénéré. Mais il me semblait que les ours font rarement de pareils dégâts sur leurs congénères. Quand j’ai mieux vu la bête, quand j’ai compris qu’elle n’avait rien de commun avec tout ce qui devait exister sur cette terre, mon sang s’est littéralement glacé dans mes veines. »
Johnny se tut. Je tournai mon visage vers Edward. Ses sourcils étaient froncés, son regard lointain. Voyait-il le monstre dans les pensées de l’Indien ?
« J’ai été stupide, articula ce dernier. J’ai cru… que j’avais une hallucination. J’ai voulu le toucher pour me rendre bien compte, avant d’aller prévenir les autres. Un œil s’est ouvert, un œil pourtant vitreux. Je n’ai pas eu le temps de réagir. Sa patte s’est soulevée et m’a agrippé, m’a attiré à lui. J’ai vu sa gueule s’ouvrir, ses dents monstrueuses. J’ai vraiment eu le sentiment de voir la mort en face à ce moment-là, une mort atroce. Il n’y a rien de pire que de savoir que l’on va finir… mangé. »
Johnny était particulièrement bouleversé. Il ne s’était pas rendu compte de ce qu’il venait de dire. Il n’avait pas l’habitude des vampires, et ceux qu’il venait de rencontrer à Forks avaient fait le choix de se montrer particulièrement humains. Je savais que les Cullen avaient compris ce qui motivait sa remarque, et ils ne lui en voudraient pas de son indélicatesse.
« Alors qu’il me traînait sur le sol, mes doigts ont rencontré des bouts de bois et des cailloux. Il y en avait un, plus gros, que j’ai pu saisir. Les crocs se sont refermés autour de ma cuisse avec une telle puissance que j’ai d’abord cru que ma jambe était coupée en deux. Mais il n’avait pas serré si fort que ça, sans doute. J’ai donné tous les coups que j’ai eu la force de donner. Quand sa gueule s’est rouverte, j’ai pu me dégager. Il n’a pas cherché à me retenir, il ne pouvait plus. Il est retombé, inerte. J’ai rampé, sans regarder derrière moi. Je ne savais pas si ma jambe était toujours attachée à mon corps. Mes hurlements ont réveillé mes amis. Enfin, c’est ce qu’ils m’ont raconté, parce qu’à partir de là mes souvenirs sont assez flous. J’avais l’impression de délirer. Je leur ai parlé d’une bête qui m’avait attaqué. Ils m’ont ramené, je ne sais pas comment. Cela a pris des heures. Appeler des secours et attendre leur venue aurait été tout aussi long, si ce n’était plus. Ma blessure saignait beaucoup, il leur a semblé que le temps pressait. Ils m’ont… sauvé la vie. Ils n’auraient pas dû, sans doute. »

Leah tourna vers lui son visage aux pommettes brunes. Ses yeux s’étirèrent en une expression tendre et triste. Elle lui prit la main.
« Après…, continua Johnny dans un soupir, ma blessure a guéri miraculeusement, en quelques jours. Je me suis beaucoup interrogé à propos de ce que j’avais vu. J’ai repensé aux hommes-loups dont me parlait mon père. Je me suis demandé si le monstre que j’avais vu pouvait en être un. Le temps passant, j’ai essayé de me convaincre moi-même que mon esprit avait inventé ces images et que j’avais bien été mordu par un baribal, comme on me l’avait expliqué à l’hôpital. Mais dès le mois suivant… »
Je vis les doigts de Leah se serrer plus fermement autour de la main de celui qu’elle aimait. Mes yeux se posèrent sur Edward. Il regardait fixement Johnny à présent. Il avait l’air grave. Le visage d’Esmé se tourna également vers son fils comme si elle y cherchait des réponses.
« Il va l’expliquer lui-même, nous assura Edward. Il est là pour ça. »
Johnny leva son regard vers lui. Son visage exprimait l’incompréhension. Carlisle intervint aussitôt.
« Mon fils peut lire les pensées. Ne soyez pas inquiet ou mal à l’aise. Nous pouvons entendre beaucoup de choses. »
Pour toute réponse, l’homme se prit le front. Puis sa main descendit sur ses yeux qu’il massa quelques secondes. Quand il reprit la parole, sa voix était plus étouffée.
« Le mois suivant, je suis parti une semaine avec… ma femme… Stephany… au Mexique. A Cancun. Nous… j’essayais de sauver notre couple, qui n’allait pas franchement bien depuis un bon moment. Mon aventure avec l’ours n’avait fait que précipiter les choses. J’avais donc pensé que passer un peu de temps, ensemble… Enfin. Ses parents, qui habitent New York, gardaient nos enfants. Stephany et moi avons eu deux garçons, Sean et Aaron, qui ont 7 et 5 ans à présent. Encore aujourd’hui, je tremble à l’idée… Que se serait-il passé s’ils avaient été avec nous ? Mon dernier souvenir, c’est d’avoir aperçu la lune qui se levait, alors que nous marchions, tous les deux, sur la plage, et d’avoir soudain eu la sensation d’être ailleurs. Je me suis réveillé, trois jours plus tard, dans la forêt, à plus de deux cents kilomètres du lieu où nous séjournions. Heureusement, les Mexicains sont des gens vraiment très gentils, qui ne posent pas de questions. Pas aux Américains en tout cas. L’un d’entre eux m’a prêté des vêtements et m’a ramené. Il n’y avait aucune trace de ma femme. Je l’ai cherchée partout. Je suis même allé signaler sa disparition. Finalement, j’ai dû… j’ai inventé une histoire. Même les parents de Stephany y ont cru. Parce que ce n’était pas la première fois qu’elle disparaissait sans prévenir après une dispute. Mais pas aussi longtemps sans téléphoner, cependant. Cette fois-ci, il me semblait que ce n’était pas la même chose. Je sentais bien que ce qu’il m’était arrivé n’étais pas normal. Alors j’ai commencé à douter. A douter du monde qui m’entourait. Comme s’il n’avait jamais été celui que j’avais toujours cru connaître. C’est étrange de se sentir… presque trahi par la vie.
_ Je comprends cela, souffla Edward, le regard rivé sur l’Indien. »
Johnny lui adressa un petit sourire las.
« Longtemps, mes beaux-parents ont pensé que leur fille m’avait vraiment quitté. Aujourd’hui, elle est signalée comme disparue… J’aimerais tellement… qu’elle ait eu peur, qu’elle se soit enfuie…. J’ai beaucoup réfléchi à ce qui s’était passé et j’ai fait quelques recherches. Autant dire que je n’ai pas trouvé grand chose. Mais tout ce que je rencontrais à propos d’amnésie, de réveil à une distance incroyable, de ce sentiment de dépossession de moi-même que j’avais ressenti quand j’avais vu apparaître la pleine lune, mentionnait toujours la même chose : le phénomène de lycanthropie. Cela pouvait être une pathologie, en soi. Par précaution, le mois suivant, je me suis quand même éloigné quelques jours. A nouveau, l’amnésie, et le réveil, perdu dans un lieu inconnu. Et puis l’angoisse… qu’avais-je fait pendant tout ce temps ? L’image de la bête que j’avais vue ne quittait plus mon esprit. Pouvais-je moi aussi être devenu comme… ce monstre ?
Je suis… je suis sans doute un assassin, docteur Cullen. »
Encore une fois, Carlisle ne fit pas remarquer l’évidence, et à quel point les Cullen pouvaient comprendre et partager la torture de Johnny. Leah ne l’avait pas quitté des yeux et je voyais parfaitement la nature de son amour, un amour intense, immense, de Transformatrice imprégnée, qui acceptait -qui accepterait- n’importe quoi, même le pire, s’il devait encore se produire. Au-delà de la raison, au-delà de tout.
« Comment avez-vous fait depuis ?, demanda Carlisle.
_ J’ai dû réfléchir rapidement à un autre moyen de gérer la situation. Je ne pouvais pas toujours m’évanouir dans la nature et réapparaître, nu, n’importe où. J’avais déjà eu assez de chance avec cela jusqu’à présent. J’ai acheté une cave, dans un quartier malfamé où personne ne viendrait s’occuper de ce que je faisais. J’y ai aménagé une cellule. J’ai espéré qu’elle serait assez solide. Elle l’a été, quelques mois. Ensuite, j’ai dû faire installer une porte blindée, prétendre que je voulais me faire une sorte de bunker. Je me disais qu’on a le droit d’être fantaisiste tant qu’on paye. En fait, j’ai été surpris d’apprendre que ce n’est pas si extraordinaire comme idée, apparemment… Je pensais avoir limité les dégâts. Je l’ai fait, sans doute. »
Carlisle acquiesça.
« Mais je ne pouvais pas me résoudre… à accepter. Est-ce une fatalité ? Devrai-je subir cela jusqu’à la fin de mes jours ? Je ne supporte pas de ne pas comprendre ! La situation a créé quelques petites difficultés dans mon travail, également. Trois jours par mois… ce n’est pas grand chose mais… comment expliquer qu’on dépend de la lune ? J’avais l’avantage de pouvoir travailler les week-ends pour compenser et, comme j’étais le plus qualifié, on ne m’a pas trop ennuyé à ce sujet. J’avais de la chance, cela aurait pu continuer ainsi, j’imagine… Pour moi, cela ne pouvait pas durer, cependant. Alors j’ai décidé de me rapprocher du peuple dont mon père était issu. Je me disais que, peut-être, au milieu des légendes, se cachait un peu de vérité qui m’aiderait à comprendre… à trouver une solution. Et… j’ai trouvé Leah. C’est déjà beaucoup. »





Chapitre 2 : Alice

Johnny posa sa main sur celle de la jeune femme, leurs regards s’attachèrent l’un à l’autre. On les aurait dit liés par d’invisibles fils qui auraient eu la résistance de véritables câbles d’acier.
« Et dire… que j’aurais pu la tuer… »
La voix de Johnny se fit rauque.
« Je l’ai tout de suite senti, déclara Leah en levant ses yeux de velours vers le docteur Cullen. Pas dans ma tête. Ce n’est pas dans la tête que ça se passe. Je l’ai senti dans mon cœur. Il était parti dans la forêt. Je l’ai suivi. J’étais loup. Quand il s’est changé… j’ai compris qu’il n’était pas comme nous. Il n’y avait pas de communication possible. Pourtant… il y avait cette sensation bizarre… familière. Et… pas d’odeur particulière, simplement celle d’un animal, à laquelle nous ne prêtons pas attention. Rien à voir avec les autres créatures… surnaturelles. »
Je compris que Leah mesurait ses propos.
« Il a remarqué ma présence… et je sais qu’il m’a reconnue. Malgré son aspect terrifiant et ses gestes brutaux, il s’est immobilisé. Il m’a considérée, longtemps. Aujourd’hui, je sais que c’était un signe évident, parce qu’il ne peut pas rester immobile trop longtemps… Il a besoin de courir. Sinon, il se met en colère. Mais… je sais que je peux l’apaiser. Mon amour l’apaise. Il me suit. Nous galopons toute la nuit. La journée, il dort dans la forêt. Il n’y a pas de problème. Mes frères pensent qu’il est un danger, mais c’est faux. Sa morsure… n’a pas d’effet sur nous. Et il n’y a qu’ici qu’il peut vivre convenablement. »
Malgré son attitude déterminée, presque farouche, Leah avait les larmes aux yeux.
« Il faudrait que… vous leur parliez, docteur Cullen. Ils vous écouteront. Ils vous respectent, même s’ils essaient de tenir leur rang. Ils savent que Jacob vous respectait… »
Le désespoir de Leah remuait en chacun des douleurs personnelles et profondes.
Carlisle hocha la tête.
« Je pense que tu as raison, Leah. S’il y a bien un endroit où Johnny peut vivre correctement, c’est ici, et grâce à toi. Si tu penses que le clan m’écoutera, je veux bien tenter de leur donner mon point de vue. Concernant les Enfants de la Lune -ou les Loups Solitaires, comme on les appelle encore-, je vais vous dire ce que je sais, mais, malheureusement, cela n’apportera aucune réponse précise. Leur nature est assez mal connue, du reste. C’est en grande partie pour cette raison que les vampires, les Volturi plus précisément, ont décidé leur éradication. Ils les percevaient comme des monstres totalement incontrôlables et dangereux, alors qu’ils auraient préféré les asservir pour pouvoir utiliser leur force exceptionnelle. Il semblerait que ce ne soit pas tout à fait le cas ! Que je sache, votre interaction est tout à fait extraordinaire ! Merveilleuse ! »
J’avais déjà eu l’occasion de constater que Carlisle avait la capacité de se réjouir des lueurs d’espoir qui s’allumaient dans les plus profondes ténèbres, et son optimisme parvenait à réchauffer un peu le cœur le plus glacé.
« Cela signifie, poursuivit-il, que, bien que l’esprit du loup-garou soit occulté durant sa transformation, il lui reste quelque chose… d’humain, qui peut le guider. Il va falloir que je me penche sur la question. »
Il se tut quelques secondes.
« Je sais également que les Enfants de la Lune ont un incroyable pouvoir de régénération. Je ne serais pas surpris que celui qui vous ait contaminé soit toujours en vie, malgré ses blessures. On m’avait assuré que, même amputés de leurs membres, ils parvenaient à survivre et à recouvrer leur forme originelle. Il est particulièrement difficile d’en venir à bout durant leur transformation. Comme c’est le cas pour nous, d’ailleurs. Les légendes considèrent la lycanthropie comme une malédiction ou une possession démoniaque. C’est ce qui confèrerait au monstre son immortalité. Elles racontent qu’un lien est créé aussi, au moment de la transmission, comme entre un parent et son enfant, et que le seul moyen de s’en délivrer est de briser ce lien.
_ Comment ?, s’exclama Johnny.
_ Eh bien, je ne peux dire avec certitude que ce qu’on m’a expliqué est exact et je ne veux pas vous conduire sur une fausse piste…
_ S’il vous plaît, docteur Cullen, insista Leah.
_ Il semblerait que la mort du parent délivre ses enfants de la malédiction. »
Johnny et Leah demeurèrent interloqués.
« Il existe d’autres légendes encore, reprit Carlisle, qui parlent… d’exorcismes, de breuvages, de rites particuliers… En fait, il y a beaucoup de choses. Mais personne, parmi nous, n’en a réellement fait l’expérience. Ceux qui ont le plus approchés les Enfants de la Lune sont les Volturi. Plus particulièrement Caïus. Mais ils ne se sont jamais, à ma connaissance, vraiment intéressés à eux. A fortiori à la manière de les délivrer de leur fardeau. Seule la possibilité de s’approprier leur puissance les intéressait. »
Johnny restait silencieux. Il semblait perdu dans ses pensées. Au bout de quelques minutes, il se leva soudain.
« Bien, docteur Cullen, je crois que nous n’allons pas abuser davantage de votre hospitalité. Vous m’avez déjà beaucoup appris, et je vous en remercie. »
Il tendit une main à Esmé, puis à Carlisle qui la serra avec sympathie. Enfin, il s’approcha d’Edward. En saisissant sa main, ce dernier déclara :
« Ce que vous pensez faire ne me semble pas une bonne idée, Johnny. Surtout si vous êtes seul.
_ Quoi ?, s’exclama Leah. Que veux-tu faire ? Tu n’iras nulle part sans moi, ça je peux te l’assurer !
_ Leah, murmura Johnny, je ne me le pardonnerais jamais s’il t’arrivait quelque chose…
_ Et moi ? Tu crois que moi… »
Johnny tendit le bras et l’attira contre lui.
« Nous en reparlerons, tu veux ? »
Leah hocha la tête, puis elle tourna son visage vers Carlisle. Les sourcils froncés, elle s’apprêtait à partir.
« Comment… comment va votre fille, docteur Cullen ?, demanda-t-elle finalement, par politesse peut-être, mais elle mit tout de même un réel intérêt dans sa question. Seth nous a dit qu’elle s’était… évanouie.
_ Elle l’est toujours, expliqua Carlisle. Je ne sais pas quelle en est la raison. Voulez-vous… Johnny ? Je pense que le reste de ma famille aimerait pouvoir vous remercier avant que vous ne partiez. »
Il montrait, de la main, le chemin de la chambre dans laquelle se trouvait Alice. Johnny répondit :
« Avec plaisir, si… cela n’ennuie personne. »
Alors, le médecin les invita à le suivre.

Nous pénétrâmes tous à sa suite dans la pièce.
« Rosalie, Emmett, Jasper et Alice, expliqua le docteur Cullen en les désignant respectivement. Voici Leah Clearwater, que vous connaissez déjà, et Johnny Randall. »
L’homme s’avança poliment vers chacun afin de les saluer. Tous se montrèrent très cordiaux, particulièrement Emmett, qui posa une main amicale sur l’épaule de Johnny en le remerciant d’un clin d’œil. Finalement, l’Indien s’approcha d’Alice, se pencha vers elle et posa sa main sur la sienne. A peine l’avait-il touchée qu’il eut un geste de recul. Son expression se fit douloureuse. Il ramena contre sa poitrine son poing serré. On aurait pu croire qu’il venait de recevoir une décharge électrique.
A cet instant, la petite vampire ouvrit les yeux et porta une main à son front.
« Ooooh, fit-elle en se redressant soudain, c’est… c’est parti ! Enfin ! »
Nous étions abasourdis. Jasper se jeta immédiatement à son cou, cependant.
« Alice chérie ! Tu m’as fait une de ces peurs ! Ne me refais jamais une chose pareille ! »
Il la couvrait de baisers.
« Tu me chatouilles, Jasper, riait-elle. Oh… je me sens si bien ! Cela faisait longtemps… »
Alice avait effectivement l’air en pleine forme. La tension qui avait marqué son visage depuis son retour d’Australie s’était envolée comme par magie. Esmé souriait, ses mains croisées devant elle. Carlisle considérait sa fille avec bonheur. Au bout d’un moment, il se mit à rire.
« Eh bien, Johnny, voilà qui est nouveau ! Ma fille nous a toujours surpris, mais je dois avouer que là… As-tu une idée de ce qu’il t’est arrivé, Alice ?
_ Je ne sais pas trop… j’ai cru que ma tête allait vraiment exploser… en plus de la torture de Jane… Tout d’un coup, ça a été trop fort et j’ai comme disjoncté.
_ En fait, il se peut que tu aies perdu connaissance non pas à cause de ce que Jane nous faisait subir, mais à cause de l’arrivée de Johnny !, s’exclama Jasper. C’est un loup-garou, Alice. Un vrai Enfant de la Lune ! Et… il nous a sauvés. »
D’un geste vif auquel personne ne s’attendait, Alice attrapa la main de Johnny, et ferma les yeux. L’Indien fut surpris mais il se laissa faire. Quelques secondes, silencieuses, passèrent.
« C’est vous… je pouvais vous sentir ! Vous vibrez comme un champ magnétique… Avec des phases d’intensité différentes. Vous avez interféré dans mes pensées, depuis des mois. C’est ce qui a complètement brouillé mes ondes ! Et pourtant, j’ai perçu… j’ai perçu de la peur, de l’angoisse… la vôtre… ou la nôtre à venir, avec l’attaque de Jane, je ne saurais dire. Je ressentais certaines choses, confusément mais… quand même.
_ Formidable !, s’écria Jasper qui la tenait toujours dans ses bras. Voilà que tu réagis comme une sorte d’aimant, Alice ! Tu es un petit lutin extraordinaire… un petit lutin très énervant, mais très doué !
_ Oh, Jasper ! »
Jasper colla un énorme baiser sur la tempe de sa compagne. Elle rit. Je m’aperçus que je n’avais pas entendu son rire, clair et léger comme une source cristalline, depuis bien longtemps.
Le docteur Cullen réfléchissait, mais il paraissait ravi.
« Il se peut… que Jasper ait raison, après tout. Cette sensation de magnétisme qu’Alice vient d’évoquer explique beaucoup de choses. Il doit y avoir un lien subtil entre la nature profonde des Enfants de la Lune et sa sensibilité particulière. Tu ne cesseras jamais de m’étonner, ma chérie ! »
Carlisle s’approcha de sa fille et posa une main sur sa petite tête brune, en un geste très paternel.
Johnny et Leah ne savaient comment réagir face à ce qui venait de se produire. Cependant, l’enthousiasme de Jasper et l’attitude satisfaite du docteur Cullen leur donnèrent un moment l’occasion de se réjouir avec eux.
« Nous allons essayer de mieux comprendre ce phénomène, Alice, assura Carlisle à l’attention de tout le monde. Et je viendrai très prochainement parler aux Quileutes, s’ils acceptent de m’écouter, soyez-en certain Johnny. »
Les deux Indiens le remercièrent et, après avoir salué l’ensemble de la famille Cullen au grand complet, ils furent raccompagnés par le médecin et son épouse jusqu’à l’extérieur de la villa.
« Waouh, s’exclama Emmett un peu après leur départ, je ne pensais pas que les loups-garous te faisaient un tel effet, Alice ! Tu as du souci à te faire, Jasper… »
Pour toute réponse, ce dernier lui planta deux doigts entre les côtes. Emmett pouffa.
« C’est quoi, au juste ? Tu peux le sentir à distance ?, poursuivit-il.
_ En tout cas, je sens… je sens qu’il s’éloigne, là… Je saurais dire dans quelle direction maintenant, répondit Alice en fermant les yeux.
_ Comme un radar ? Tu vois un petit point qui se déplace ?, s’esclaffa-t-il tout à fait.
_ Que tu es bête !... »
Alice levait les yeux au ciel en souriant.
« En tout cas, c’est tout nouveau… Et je suis absolument ravie que l’espèce de générateur que j’avais en permanence dans la tête se soit enfin envolé !
_ Quelque part… Emmett a raison, Alice, reprit Jasper les yeux brillants. Tu réagis comme… une boussole… »
_ Une boussole !, répéta le grand vampire, qui riait si fort à présent qu’il devait se tenir les côtes. Son rire contamina Rosalie. Elle avait été si préoccupée par l’état de sa soeur… elle pouvait se détendre, maintenant. Enfin.
« C’est vrai que j’avais un peu perdu le nord… ces derniers temps, renchérit la petite vampire avec un regard malicieux, mais me revoilà ! Oh, Jasper, je voudrais… si nous partions chasser tous les deux ?
_ Avec plaisir ! Allons-y tout de suite… »
Alice sursauta.
« Oh, pardon, Bella !, s’exclama-t-elle. J’oublie toujours que tu n’es pas… comme nous. »
Je la rassurai d’un petit signe de la main. Elle s’approcha de moi, ses yeux scrutèrent mon visage un moment. Une ombre y passa. Elle prit ma main.
« Comment vas-tu ? », demanda-t-elle simplement, d’une voix plus grave.
Je ne répondis pas immédiatement, j’étais surprise par ce ton subit d’intimité. Alice jeta un bref regard autour de nous. Rosalie et Emmett quittaient déjà la chambre. Jasper et Edward les suivirent presque immédiatement. Je ne savais pas quoi dire. Avoir à faire état de mes sentiments de manière aussi impromptue m’était difficile. Je ne souhaitais pas me plonger dans l’introspection, de toute manière. Je ne le pouvais vraiment pas. Il y avait trop de choses qu’il me fallait tenir à distance… pour mon bien.





Chapitre 3 : Choix/ Decisions

Mon regard devait avoir pris une expression suppliante, car Alice répondit elle-même.
« Je me doute que… tu dois beaucoup souffrir, Bella. »
Elle me considéra un moment, en silence.
« Edward… est mon frère, je l’aime et… je sais qu’il souffre aussi. Il a beaucoup souffert déjà. Et il continue. Je ne voulais pas…
_ Edward m’a tout dit, Alice, soupirai-je. Il m’a expliqué ta vision. Et les choix que lui et Jacob ont faits. Mais… je crois qu’ils ont eu tort. Ils auraient dû m’en parler. J’aurais… agi autrement, sans doute. Tu aurais dû me dire ! J’ai toujours eu tellement confiance en toi, Alice !
_ Bella… »
Le regard de mon amie fouillait le vide de la pièce. Je comprenais à quel point elle était désolée.
« Edward m’a fait jurer. Il pensait que Jacob méritait… Il le respectait. J’ai préféré partir, parce que je savais que je finirais par tout t’expliquer. Et puis j’ai commencé à ne plus rien voir. Tu sais, un moment, j’ai cru que c’était une malédiction. Que j’étais punie pour ne pas t’avoir prévenue… »
J’eus un pauvre sourire.
« Il s’est passé tellement de choses affreuses, Bella ! Il y a de quoi être perturbée. Mais… sache qu’Edward t’aime. Tu dois t’accrocher à cette idée, elle doit te rendre forte. Il t’aime plus que lui-même. Sinon, comment aurait-il pu… ? Il fera tout pour toi, comme pour tes enfants. »
Il y eut un clic. La porte s’ouvrit.
« Alice !... », souffla Edward.
Ses yeux se posèrent sur le visage de sa sœur, se plissèrent légèrement. Puis il se tourna vers moi.
« Que… ? », balbutiai-je
Alice le dévisageait, un peu déconcertée.
« Je ne peux pas te laisser une seconde… »
Edward secouait la tête, l’air déçu.
« Mais quoi ?, gémit Alice.
_ Tu as… tu as dit… tes enfants ? », répétai-je incrédule.
Edward plissa les lèvres et tendit la main, me désignant à sa sœur.
« Voilà… Tu ne lui laisses ni le temps… ni le plaisir. »
L’expression d’Alice devint soudain celle d’une petite fille prenant conscience de la bêtise qu’elle vient de commettre. Pour ma part, je demeurais interloquée.
« Mais…, se défendit la petite vampire brune, elle m’a dit que tu lui avais tout expliqué…
_ Tu ne comprends décidément rien aux humains, ma sœur, gronda doucement Edward. Je finis par douter que tu aies jamais pu être humaine toi-même. Réellement !
_ Qu’est-ce… que tu as vu, au juste, Alice ? », finis-je par demander lorsque je retrouvai l’usage de la parole.
Mais elle ne savait plus si elle devait répondre ou non. Edward eut un geste, qui signifiait qu’elle n’avait plus qu’à se dépêtrer toute seule de l’embarras dans lequel elle se trouvait.
« Alice, je veux que tu me dises exactement ce que tu as vu, articulai-je d’un ton plus nerveux que je ne l’aurais souhaité.
_ Eh bien… euh, effectivement,… tu vas avoir deux enfants, Bella. Des jumeaux. Une fille et un garçon. C’est formidable, n’est-ce pas ? »
Alice avait essayé de se montrer enthousiaste, mais elle n’était apparemment pas convaincue du résultat.
A cet instant, je pris conscience que j’allais être mère. Vraiment. Même si cette idée m’avait accompagnée depuis plusieurs semaines déjà, jamais elle ne m’était apparue de manière aussi concrète. Il me sembla que quelque chose, quelque chose de nouveau, s’éveillait en moi. Une envie… Un bonheur.
« Veux-tu savoir les prénoms que tu choisis ?, demanda Alice en lançant un regard noir à son frère. Ils me plaisent beaucoup. »
Apparemment, elle jouait la provocation. Elle n’avait pas apprécié qu’Edward lui fasse remarquer qu’elle avait pu manquer de tact de manière aussi flagrante.
Je levai une main.
« C’est bon, Alice, je vais me débrouiller. Je suis déjà ravie de savoir que tu les aimes.
_ Et tes bébés sont… très mignons, ajouta-t-elle dans une moue adorable qui implorait mon pardon de manière évidente. Même si je suis mal placée pour dire ça… En tout cas, Rose en est raide dingue !
_ Ah ? »
Devais-je m’estimer rassurée par cette dernière déclaration ?
« Jasper t’attend, petit démon revenu des enfers, intervint Edward. Je crois que tu devrais y aller. Tu as déjà fait assez de dégâts comme ça. »
Alice leva vers son frère un visage effronté, puis elle s’avança vers moi, ouvrit les bras et me serra contre elle.
« Ne m’en veux pas, Bella, je t’en prie, chuchota-t-elle à mon oreille, et pense à ce que je t’ai dit… penses-y toujours. »
Après avoir déposé sur ma joue un baiser léger et frais comme une goutte de rosée, elle sortit.



« Eh bien ? »
Edward avait l’air de se demander comment je prenais la chose.
« J’avais pensé à beaucoup d’éventualités jusqu’à présent, mais là… j’avoue que je suis un peu prise de cours.
_ Tu aurais eu besoin d’un peu plus de temps… Alice est infernale. »
Il souriait.
« Edward…
_ Oui ?
_ J’ai… beaucoup réfléchi. En fait, je sais bien, au fond de moi, depuis longtemps… Et je crois que je viens de comprendre quelque chose d’essentiel.
_ Je t’écoute. »
Son ton était doux, comme toujours. Je sentais qu’il se tendait, cependant.
« Des enfants… ont besoin d’une mère. Une mère tendre et chaude. Une mère qui partage leur vie d’enfants. Qui partage leur sommeil, leurs repas, qui les emmène en vacances… au soleil, chez leur grand-mère...
_ Oui. »
Je percevais la tendresse dans sa voix, dans toute son attitude. La tendresse et la résignation.
« Edward. Si tu veux me quitter… je comprendrai. Je ne t’en voudrai pas. Ce n’est pas une vie pour toi. Ce n’en sera pas une pour moi, si je sais que tu es malheureux.
_ Si cela peut te rassurer, Bella, alors je vais te répéter encore que tant que je serai près de toi, je serai heureux.
_ Combien de temps ? Combien de temps supporteras-tu ?
_ Le temps n’a pas d’importance. C’est une notion toute relative. Auprès de toi, il n’y a pas de temps.
_ Il va passer, Edward. Pour moi. Je vais vieillir. Dans quelques années… on me prendra pour ta mère ! »
Son sourire s’élargit, ses yeux pétillèrent.
« Tu as encore de belles années devant toi, ne t’inquiète pas… et je n’ai rien contre le fait d’avoir une femme plus… femme.
_ Oh, s’il te plaît ! Sois sérieux !
_ Je suis très sérieux, Bella. Il y a un moment déjà… que j’ai réalisé. Tu es ma vie. Je ne peux rien contre ça. C’est plus fort que moi. Je ne peux pas lutter. J’ai déjà essayé… j’ai perdu. Et j’ai failli te perdre. S’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est que plus jamais je n’accepterai de pouvoir te perdre. »
Sa voix s’était faite plus grave. Ses yeux luisaient étrangement.
« Je vais avoir de plus en plus besoin de toi, Edward, les années passant. J’en suis consciente. Je vais devenir affreuse, possessive, jalouse, paranoïaque… Et le jour où tu partiras… j’en souffrirai atrocement. Il est certain que je n’y survivrai pas. C’est peut-être comme ça que notre histoire doit finir, après tout. Mais j’aimerais pouvoir rester digne, tu comprends ? Je connais bien toutes ces histoires, dans les livres, où l’on meurt d’amour. Elles sont très belles, certes, mais je ne sais pas s’il est bon pour les humains de vivre comme dans les histoires, si c’est une vie souhaitable. Si ce n’est pas plutôt une totale erreur. La vie… c’est autre chose.
_ Oui. »
Encore une fois, il me regardait avec cet air étrange… d’amour et dureté mêlés.
« Comment peux-tu tout simplement répondre oui, Edward ?
_ Parce que tu as raison. Tu es en vie, Bella. C’est la vie qui parle en toi, et… je t’envie tellement ! Tu portes la vie. C’est la chose la plus magnifique au monde. Tu ne te rends pas compte à quel point je respecte, je révère cela ! Tu es tout le contraire de ce que je suis. Tu es ce qui me fait accepter ma monstruosité. Tu me sauves de ce que le hasard a fait de moi. Je ne suis là que parce que tu y es. T’avoir rencontrée est le miracle de mon existence… J’ai un but à présent, tout a un sens. Je veux faire ce qu’il y a de mieux pour toi, pour la vie… cela me rend heureux. Vraiment. »
Son visage avait repris cette expression de pureté angélique que j’avais déjà eu l’occasion de lui voir dans quelques circonstances. Et elle me coupa le souffle, comme cela avait toujours été le cas. Je savais que certains sentiments, exaltation, mélancolie, désir… donnaient aux traits d’Edward, et à tout son être, une apparence vraiment extraordinaire. Mais j’en étais toujours frappée, comme si je le découvrais pour la première fois. Dire qu’il était irrésistible aurait été faible parce que trop commun. Edward n’avait rien de commun. Il était un être exceptionnel, au charme unique. Un sortilège vivant. Et c’est en cela que réside la vraie nature des vampires : dans cette capacité, qui est leur essence même, à subjuguer les êtres humains. Personne ne peut la combattre.
J’allais souffrir. Encore.
« Je ne pourrai jamais te quitter, Bella. Pas de mon propre chef, en tout cas. Je ne partirai que si tu l’exiges. Tant que ce n’est pas le cas… laisse-moi essayer de te rendre heureuse. Je suis sûr qu’il y a… un espoir pour nous. »
Je tendis une main. La posai sur sa joue. Mon cœur chantait, dans ma poitrine. Mon cœur battait. Il voulait vivre, il voulait aimer… en dépit de tout.
Edward m’embrassa et me serra dans ses bras.
Ce n’était pas le moment encore, peut-être. Mais un jour… dans quelques années… ce serait vraisemblablement à moi de le faire si, lui, ne le voulait toujours pas. Je devrais sans doute finir par accepter, le quitter, m’éloigner, disparaître… pour ne pas trop souffrir… quand le temps serait passé. Celui de l’amour raisonnable… Quel amour raisonnable ? Cela n’avait jamais été pour nous. Il faudrait bien, pourtant. Un jour…
Mais comment parviendrais-je à m’y résoudre ?
Un jour…





Chapitre 4 : La vie/ Life


Décembre était blanc, Noël approchait, et mon ventre s’était arrondi de manière impressionnante. Il m’avait semblé qu’il avait poussé d’un coup, en un mois. René et Phil allaient venir passer les fêtes avec nous. Ma mère était intenable.
Vers la mi-octobre, alors que les jours déclinaient rapidement et que l’atmosphère se faisait progressivement plus humide et froide, Seth Clearwater m’avait conduite, comme je le lui avais demandé, dans la forêt parée des chaudes teintes ors et rouges, auprès de l’arbre sacré de leurs ancêtres. L’endroit était magnifique. Au milieu d’arbres plus jeunes, aux troncs pourtant énormes déjà, s’élevait, dans un espace un peu plus dégagé, un vénérable thuya géant, un colosse parmi les arbres, dont les puissantes racines brunes et noires s’enfonçaient dans la terre comme autant de serpents fabuleux. On les voyait se répandre aux alentours, soulevant le tapis moussu du sol, créant de véritables vagues dans cet élément solide de poussière et de pierres. Je m’étais approchée, avais touché le tronc et levé le regard vers la formidable hauteur des branches qui donnait le vertige.
Il m’avait désigné l’endroit exact, dans un creux de terre plus meuble, entre les racines.
Nous étions restés là un moment, méditatifs. Seth m’avait raconté que les cendres de nombreux chefs quileutes avaient été enfouies, dans les temps anciens, au pied de cet arbre, afin qu’il aide leurs âmes, transportées du sol au sommet par la circulation de la sève, à rejoindre plus rapidement le ciel des esprits. Quand je considérai le miracle de la nature qu’était en lui-même cet impressionnant géant de bois sans âge, je ne pus douter qu’il devait effectivement remplir sa mission, et un frisson sacré me parcourut l’échine.
Deux semaines plus tard, j’y étais retournée par moi-même. Il me semblait que je devais accomplir quelque chose, dont on m’avait privée, et qui, d’une certaine manière, était une façon bien réelle d’exprimer la peine et le manque que je ressentais. Car Jacob me manquait. Enormément. A mesure que ses enfants grandissaient en moi, la joie m’était revenue, certains jours de manière évidente, mais avec elle, également, s’était réveillée la souffrance, terrible à d’autres heures. Ce que nous avions vécu m’avait changée, irrémédiablement. La Bella que j’étais quelques mois plus tôt n’existait plus. Je venais donc de décider de couper mes cheveux, et je ne m’étais pas encore habituée à ma nouvelle tête. Si je ne m’y faisais pas, elle changerait à nouveau bien assez tôt, de toute manière ! J’avais rassemblé les mèches éparses et les avais attachées ensemble à l’aide d’un petit fil de laine rouge. J’avais le sentiment que ces vestiges de mon passé devaient reposer là, eux aussi, comme ils auraient dû le faire dès le départ. Je dégageai le sol, entre deux racines, creusai un peu, y déposai mon offrande, et l’ensevelis. Puis, je m’assis un instant, respirant l’atmosphère apaisante qui se dégageait du lieu.
En pensée, je parlai à Jacob. Je le faisais souvent, et peu importait le moment ou l’endroit. C’était un peu comme si je pouvais, en continuant de prétendre être écoutée, comprise peut-être, le garder auprès de moi, encore. Encore. Tant que je n’arriverais pas à accepter… et cela allait durer. Longtemps. Je ne l’avais pas revu, depuis… Le phénomène ne se reproduirait plus, sans doute. C’était dans l’ordre des choses. Jacob ne reviendrait pas.
La vie allait passer, chacun suivait sa route.

Alice et Jasper étaient partis sur la côte est. Ils avaient accompagné Leah et Johnny, après que le docteur Cullen eut émis l’hypothèse que les dons d’Alice pouvaient avoir évolué subitement, à cause de la proximité soudaine d’un Enfant de la Lune, et qu’elle avait par conséquent développé une réelle capacité à sentir la présence de ces êtres, en se concentrant sur le lieu où ils pouvaient se trouver ou en s’y rendant elle-même, afin de détecter des signes lui permettant de suivre leur trace. Elle n’avait plus eu de flashs lui révélant l’avenir, depuis qu’elle avait été réveillée, polarisée, comme disait Jasper -ce qui ne manquait pas de provoquer à coup sûr l’hilarité d’Emmett-, par le contact de Johnny. Fidèle à sa promesse, Carlisle avait tenté d’intercéder en sa faveur auprès du clan des Transformateurs. Sam l’avait écouté avec intérêt, comme Leah le lui avait annoncé. En définitive, et un peu contre toute attente, les Quileutes avaient accepté que Johnny reste vivre sur leur territoire. A la seule condition qu’aucun événement fâcheux ne se produisît jamais. Par ce geste, Sam marquait son intention d’assouplir un peu les règles et les prises de décision traditionnelles du clan. Peut-être se sentait-il aussi redevable envers Johnny d’avoir enfin apporté le bonheur à Leah… même si ce genre de considération ne devait, selon lui, pas faire partie des arguments susceptibles d’influencer un quelconque verdict.
Malgré l’autorisation donnée, Johnny et Leah avaient décidé de partir, quelques semaines, à la recherche d’autres Loups Solitaires, afin d’en apprendre davantage au sujet de leur nature et d’un éventuel moyen de remédier à la transformation. Les fils de Johnny étaient scolarisés à La Push, et sa famille (celle de la sœur de son père) veillait sur eux avec attention. Le sens de la famille était ce qu’il y avait de plus remarquable chez les Quileutes. Avec la solidarité. En effet, j’avais eu l’occasion de demander à Seth des nouvelles de Billy, et il m’avait expliqué que celui-ci, bien que profondément ébranlé, se montrait égal à lui-même. Il était toujours très entouré. On s’inquiétait de lui chaque jour, avec discrétion, si possible, car les habitants de la réserve ne pouvaient concevoir l’idée de le laisser s’emmurer dans le chagrin et la solitude. J’étais soulagée d’apprendre qu’il endurait cette épreuve avec courage, et je me demandais quand j’en trouverais, de mon côté, suffisamment pour aller lui rendre visite. Je n’arrivais pas à envisager cette confrontation, pour le moment. C’était encore trop tôt, sans doute.

Un matin, je reçus un coup de fil d’Angela. Les congés de Noël avaient débuté et elle était de retour à Forks. Elle m’expliqua qu’elle serait ravie de me rendre visite, si cela ne me dérangeait pas et si je n’étais pas trop fatiguée. J’étais vraiment heureuse de l’entendre, aussi, j’acceptai avec joie, en lui faisant remarquer qu’étant simplement enceinte, et non malade, elle n’avait, par conséquent, aucune crainte à avoir. Angela avait ri de ma remarque. Je me fis la réflexion que la découverte de ma grossesse avait dû, néanmoins, être une sacrée surprise pour mes anciens camarades du lycée. Nous étions encore très jeunes, après tout. Trop, peut-être.
Alors que j’attendais sa venue, dans l’après-midi, je me demandai si je ne pouvais pas proposer à Angela d’être la marraine d’un de mes enfants. Elle était à présent le seul être vraiment humain -seulement humain, comme moi-, pour lequel j’éprouvais de la sympathie. Mais il me sembla que, même si cette idée lui aurait sans doute fait autant plaisir qu’à moi, cela n’était en définitive souhaitable pour personne. Je ne pouvais la lier de quelque manière que ce soit à une famille dont la tranquillité reposait sur un secret qui devait être absolument préservé. A deux familles tout sauf ordinaires, en fait ! Je devrais résister à l’envie de faire d’Angela une amie proche… Je savais que ma situation m’interdisait l’intimité des autres êtres humains, mais en cet instant, la pointe d’une fine aiguille s’enfonça dans mon cœur. La solitude. C’était peut-être elle ma condamnation, en définitive. Elle serait ce que l’avenir me réservait, pour avoir désiré ce qui m’était interdit, sans jamais être parvenue à y renoncer. La solitude et le mensonge permanent. Il fallait se résigner. J’espérais seulement qu’Angela ne m’en voudrait pas…
On frappa. J’allai ouvrir. A ma grande surprise, je découvris, sur le pas de ma porte, mon amie accompagnée de Jessica Stanley.
« Bonjour Bella !
_ Oh ! Angela… Jess…, entrez donc ! »
Elles pénétrèrent dans le salon. Peut-être s’attendaient-elles à y trouver Edward.
« Edward est à Seattle pour la journée. Je vous en prie, asseyez-vous. Eh, bien, Jessica, ça c’est une surprise !
_ J’étais en route pour venir te voir, Bella, quand j’ai croisé Jess, expliqua immédiatement Angela d’un ton embarrassé. Elle m’a demandé où j’allais et… elle a eu envie de venir te saluer également. »
L’expression d’Angela attestait assez de la manière dont les choses s’étaient passées et de ses sentiments à ce sujet. Elle était trop polie et honnête pour avoir cherché à inventer un mensonge. L’empressement d’Angela avait dû la surprendre. Cette dernière avait peut-être été poussée par la curiosité.
« Whaaa, ça fait bizarre, quand même, intervint-elle justement en me scrutant d’un regard pétillant. Te voilà… mariée et… je ne pensais pas que tu pourrais vouloir des enfants si vite !
_ C’est venu… tout seul », répondis-je en haussant les épaules.
Que pouvais-je bien répondre d’autre ? Je ne m’étais pas préparée à devoir affronter les remarques de Jessica. Je posai une main sur mon ventre.
« Tu es magnifique !, soupira Angela avec toute la gentillesse dont elle était capable.
_ Je grossis à vue d’œil, affirmai-je avec un sourire.
_ Est-ce que tu sais déjà si c’est… un garçon ou une fille ? Tu ne veux peut-être pas…
_ Les deux, répondis-je en soulevant les sourcils, ce sont des jumeaux.
_ Oh ! Eh bien, ça alors…
_ Oui, c’est toujours une surprise j’imagine ! »
Je ris. Angela et Jessica également. Au-delà de la première gêne, je percevais leur excitation croissante.
« Tu as déjà pensé à des prénoms ?, demanda Jessica avec intérêt.
_ Je suis en train d’y réfléchir.
_ Alors… ?, renchérit Angela. Donne-nous des pistes !
_ Eh bien… Vous devrez attendre… et revenir me voir dans quelques mois, pour que je vous les présente ! »
A présent, elles piaffaient. Nous passâmes un moment agréable, une certaine émotion s’était installée comme nous faisions le récit -passablement édulcoré pour ma part- de nos vies respectives. Je les interrogeai sur leurs études, leurs projets. J’expliquai que je m’accordais un an moi-même, avant de me lancer dans quelque chose. Elles me parlèrent de Ben et Mike, de tous ceux que j’avais pu fréquenter au cours des dernières années. La nuit vint rapidement.
Jessica m’affirma que, selon elle, j’avais de la chance, car je réalisai le rêve de beaucoup de femmes : j’avais trouvé un époux, beau et riche, en prime, ce qui me permettait de ne pas avoir à me soucier de trouver un travail, à moins que ce ne fût par goût personnel. Il ne me restait donc plus qu’à profiter de la vie ! Son point de vue me laissa songeuse, et je me promis de déterminer rapidement à quoi je me destinais dès l’année prochaine.
« Si, si, je t’assure ! Je sais qu’il y a certaines personnes qui t’envient terriblement, poursuivit-elle l’œil brillant, et ce qu’on raconte n’aide pas… »
Angela fronça les sourcils. Elle n’appréciait pas ce que Jessica s’apprêtait à faire. Si elle-même avait été au courant de certaines rumeurs, elle les aurait tout simplement traitées par le mépris et n’aurait jamais jugé bon de devoir me les rapporter. Je me contentai de regarder Jessica, je ne savais pas à quoi m’attendre. Elle avait décidé de continuer cependant, et enchaîna immédiatement.
« Tu n’es sans doute pas au courant… c’est normal. Les gens sont tous pareils, dès qu’ils peuvent s’amuser aux dépens de quelqu’un… »
Elle chuchotait presque.
« C’est à propos de ton ami indien… celui avec lequel tu traînais beaucoup, il y a quelque temps. »
Mon cœur eut un soubresaut.
« Jacob ? Mais… il est parti…
_ Oui, je sais, il est supposé être parti je ne sais plus trop où… parce que son père n’arrivait plus à rien avec lui… »
Pour expliquer l’absence de Jacob, les Quileutes avaient décidé d’inventer une histoire, qui tiendrait un temps, au moins. Quitte à devoir inventer autre chose ensuite. Avoir à maquiller la disparition de son fils, devait être effroyable pour Billy. Il lui avait fallu ajouter le mensonge à la douleur. J’essayai de ne pas paraître trop émue et répondis :
« Il s’est disputé avec son père. Le lycée… ce n’était plus trop son truc. Alors il est parti à Hawaii, chez sa sœur Rébecca. Il finira bien par faire quelque chose… je ne me fais aucun souci pour lui. »
C’était affreux d’avoir à affirmer une chose pareille, mais je ne voulais pas que Jessica tire de conclusions trop rapides au sujet de Jacob.
« En attendant… les gens racontent que les Indiens mentent. Qu’il n’est pas du tout parti là-bas.
_ Ah ? », fis-je d’une voix étranglée que je ne maîtrisai pas du tout.
Mon cœur se serrait.
« Tu vas voir un peu quelle imagination la méchanceté peut donner !... En fait, certains disent qu’il a fait une sorte de fugue, qu’il s’est enfui de Forks, et que personne ne sait où il est. »
Angela soupira. Elle regardait fixement Jessica. Il me sembla qu’elle souhaitait la voir s’en tenir là, mais elle poursuivit immédiatement avec des manières d’intrigante :
« A cause de toi, Bella !
_ Hein ?
_ Oui !, affirma-t-elle en couinant. Il n’aurait pas supporté ton mariage avec Edward Cullen et… ta nouvelle vie. Parce qu’il était très amoureux de toi, au fond. Impressionnant, n’est-ce pas ? Moi je trouve ça triste. Ceci dit, c’est vrai qu’il avait l’air de t’apprécier un peu plus que comme une simple amie, mais, si tu veux mon avis, je trouve que tu as eu parfaitement raison de choisir Edward. Il est parfait. Même si sa famille est un peu… spéciale. »
Je me serais passée de cette histoire. Et de son avis.
Il me sembla que, malgré l’erreur que les gens pouvaient commettre, le résultat était le même, en définitive : j’étais coupable de la disparition de Jacob. C’était une évidence pour tout le monde. Moi y compris. Jessica venait de remuer le couteau dans une plaie jamais refermée. Je me sentis profondément accablée. Mais je devais… faire face.
Angela me regardait. Elle avait l’air franchement désolée.
« Nous allons y aller, Jess, il se fait tard, souffla-t-elle. Bella, ça m’a fait très plaisir de te voir un peu. »
Elles prirent congé. Je les raccompagnai.
« Viens quand tu veux, Angela, lui murmurai-je avant qu’elle ne s’éloigne. Moi aussi, ça m’a fait plaisir. »
Elle acquiesça et sourit, puis la voiture disparut à l’angle de la rue.



Angela ne revint pas, accaparée, comme moi, par sa famille.
Les fêtes arrivèrent, avec leur cortège de cadeaux, de vœux, le sapin embaumant la maison, la neige répandant ses petits flocons légers comme des plumes d’anges… la joie d’être ensemble, de partager des moments, le temps qui passe… dans le silence des nuits glaciales, le feu dans la cheminée, son crépitement réconfortant et rassurant comme des promesses tenues, comme la confiance jamais trahie, et un espoir d’éternel retour.
Comme chaque année, je m’aperçus, un soir, qu’alors que nous étions au plus profond de la période des nuits les plus longues, je pressentais déjà l’arrivée de la saison nouvelle. Ce n’était rien de réel, bien entendu, mais il y avait toujours cette chose imperceptible, ce moment si particulier… où je sentais le printemps. A cet instant, j’avais le sentiment d’assister à sa naissance, en plein cœur de l’hiver. C’était une question d’odeur, en fait, une petite odeur indescriptible qui surgissait, tout à coup, un parfum, une douceur de l’air… et je savais qu’on avait franchi la limite, basculé de l’autre côté, celui de la pente ascendante. A partir de ce moment, les mois se succédèrent avec une rapidité incroyable. Mon ventre était énorme, je me traînais un peu, dormais beaucoup, d’un sommeil sans rêves. Je goûtais le bonheur indicible d’éprouver en permanence, la présence, en moi, de la vie. Ceux que je portais étaient moi, j’étais eux. Ils étaient eux-mêmes pourtant, déjà. Ils étaient mon monde et j’étais le leur. Mon amour pour eux était absolu.
Edward… Edward était merveilleux. Je compris vraiment qu’il était amoureux, amoureux, comme moi, de la vie que je portais, un soir de février où il embrassa mon ventre alors que j’étais allongée devant la cheminée. Il était allé chasser et venait de rentrer. Il avait pris une douche, sa peau était encore tiède. Il s’était glissé contre moi, ses mains tendres et délicates avaient dégagé un peu la couverture rabattue sur mes jambes, ses doigts étaient passés sous le t-shirt ample -et pourtant trop petit déjà !- que je portais, et avaient caressé le bas de mon dos. Puis ses paumes s’étaient posées sur mon ventre, en avaient épousé l’arrondi, s’étaient immobilisées, solides et protectrices. Il avait approché son visage, appliqué sa joue près de mon nombril tendu, et avait embrassé, un peu en dessous, ma peau frémissante. Ce fut un long baiser, qui me troubla profondément. J’avais passé mes doigts dans ses cheveux, et nous étions restés ainsi un moment. Edward m’avait expliqué que l’odeur de mon sang avait changé. Il n’était plus tout à fait le mien à présent, et il lui était plus supportable, ce qui était une bonne chose, me semblait-il. Pour moi, comme pour lui. Mais notre amour… notre amour était immuable. Peut-être grandissait-il même, encore. Peut-être s’augmentait-il de ce que nous étions en train de vivre ensemble… Nous étions un couple. Un couple parfaitement improbable et aberrant mais, au fond, certaines choses n’avaient pas d’importance, tant que l’essentiel était là.

Mes enfants naquirent à la fin du mois de mars, dans la nuit du 20 au 21. Mon fils vint au monde le premier, un peu avant minuit, puis ma fille, quelques minutes plus tard. Ils étaient arrivés un peu en avance, mais le médecin m’avait expliqué que c’était une chose fréquente lorsqu’il s’agissait de jumeaux. Ils se montraient, d’ailleurs, particulièrement vigoureux et paraissaient complètement développés, ce qui avait presque semblé l’étonner. Bien entendu, ma mère avait fait le trajet pour être auprès de moi. Elle pleurait et riait à la fois, ou alternativement, à chacune de leurs attitudes. Les premiers jours passant, leur ressemblance et leur différence s’affirmaient déjà. Ils étaient bruns de cheveux, tous deux, mais mon fils l’était davantage. Par contre, sa peau était nettement plus pâle que celle de ma fille. Elle, avait un teint particulièrement soutenu. Ma mère le remarqua, comme elle aurait pu remarquer la date très avancée de la venue au monde de mes enfants, mais ne jugea pas opportun de s’interroger particulièrement à ce sujet. Que son attitude ait été délibérée ou non, elle m’ôta un poids. René était une grand-mère heureuse, cela lui suffisait, apparemment, et rien ne troublerait ce beau moment. Mes deux enfants étaient tous deux, en revanche, particulièrement goulus. Ils paraissaient affamés en permanence et je n’avais de répit que lorsqu’ils s’endormaient enfin.
Quand je fus de retour chez nous, le docteur Cullen vint le premier à la rencontre de ceux qui seraient, désormais, ses petits-enfants légitimes. Il paraissait ravi et très ému. Surpris, également, comme l’avait été Edward, de constater que ces petits bébés ne l’attiraient pas particulièrement.
« Il me semble, Bella, que cela signifie qu’outre leur ascendance Quileute, tes enfants sont destinés à devenir des Transformateurs. Tous les deux. Ils le sont déjà, quelque part, c’est évident. »
Evident… Il était certainement évident que les enfants de Jacob Black aient hérité des facultés particulières de leur père mais… tous les deux… Je ne savais pas si c’était quelque chose que je pourrais envisager avec sérénité. Je n’avais jamais vraiment réfléchi à la question. Ne les ayant imaginés que comme mes enfants, les enfants d’une humaine, je ne leur avais pas attribué une autre nature que la mienne. Devoir déjà les considérer comme des hommes-loups en puissance, m’était assez difficile. Cela sonnait presque comme une fatalité.
Après Carlisle, la famille Cullen se déplaça au grand complet. Alice et Jasper étaient revenus. Ils n’avaient rien trouvé sur la côte est. Alice avait détecté une ancienne trace de la présence d’un Enfant de la Lune mais elle l’avait perdue plus loin, au nord, dans le Maine, et ils étaient tous rentrés bredouilles. Ils ne s’avouaient pas vaincus pour autant, et envisageaient d’autres recherches dans un avenir proche.
Les Cullen s’étaient installés dans le salon, le temps que j’aille chercher mes enfants endormis. Esmé avait tenu à m’accompagner. Toute sa personne, à l’impassibilité surnaturelle, semblait pour l’occasion transformée. En plus de la douceur habituelle qui se dégageait d’elle, je percevais une nervosité et une joie certaines. Elle prit ma fille, doucement, contre sa poitrine, et la tint avec une grande tendresse, chantonnant pour elle un petit air de berceuse qui parut captiver le bébé.
De retour dans le séjour, je présentai mes enfants à ma belle-famille.
« Voici Sarah, dis-je en désignant l’enfant qu’Esmé portait, Sarah Elizabeth. »
Alice s’approcha.
« Oh !, s’exclama-t-elle. Viens, Jasper ! Carlisle avait raison. Ils ne sentent pas… de manière particulièrement attirante. »
Jasper avait fait quelques pas, mais il ne semblait pas très assuré.
De mon côté, je m’avançai vers Rosalie, qui se tenait un peu en retrait, derrière Emmett. Elle me considérait avec une certaine appréhension. Quand je fus assez près, je lui tendis mon fils.
« Prends-le, Rosalie, s’il te plaît. Je te présente Karel. J’ai décidé de l’appeler ainsi en mémoire de Charlie. C’est le même prénom, sous une autre forme. Karel, voici ta tante Rose. »
Elle hésita. J’aurais presque pu croire qu’elle avait peur. Moi, je n’avais plus peur. De rien, ni de personne. Edward me rejoignit. Tous les regards s’étaient tournés vers nous. Celui de Rosalie caressait le visage du nouveau-né ; je la voyais se débattre, perdue et tétanisée. Ses bras finirent par se plier, elle tendit les mains. Mon fils ouvrit les yeux.
« Oh… mon Dieu !, murmura Rosalie. Jamais… jamais je n’aurais cru… tenir encore… un enfant dans mes bras. Oh… mon Dieu… ! »
Ses yeux se voilèrent un instant, comme ceux d’une personne qui va pleurer. Mais les yeux de la belle vampire blonde ne le pouvaient pas. Elle garda Karel contre elle, longtemps, suivant les contours de sa petite tête d’un doigt délicat. Son attitude me remua et je me forçai à battre des cils pour ne laisser échapper aucune larme. J’étais heureuse, également, de lui apporter un peu de ce bonheur qu’elle avait toujours désiré, et cependant irrémédiablement perdu.
« Je le savais !, s’exclama malicieusement Alice depuis l’autre bout de la pièce. Je savais tout ! Même les prénoms… Et ils me plaisent toujours autant. »





Chapitre 5 : Billy

Un matin du mois suivant, je m’éveillai avec la ferme intention de faire ce que j’avais depuis si longtemps tellement redouté : retourner à La Push pour rendre enfin visite à Billy. J’empruntai pour l’occasion la Volvo d’Edward, à l’arrière de laquelle nous avions installé les sièges des bébés. Ainsi, Billy ne m’entendrait pas arriver à des kilomètres, et il m’ouvrirait au moins sa porte, à défaut de me laisser entrer.
Je me garai devant la maison, déplaçai mes enfants depuis leurs sièges vers la nacelle double du landau que nous avait offert Rosalie, et parvins sous le porche. Je frappai. Je devais m’attendre au pire.
La porte s’ouvrit. Le visage de Billy apparut, plus sombre et ridé que dans mon souvenir, ses yeux noirs en amandes posés au-dessus de ses pommettes saillantes. Il avait maigri. Il paraissait fatigué, mais son regard était toujours aussi vif et intimidant. Ses lèvres fines semblaient scellées. Ses yeux se posèrent sur le landau.
« Billy, je…, commençai-je avec un réel effort, je suis venue vous présenter… mes enfants. »
Dire "vos petits-enfants", m’aurait semblé trop brutal. Ses pupilles remontèrent sur moi.
« Des jumeaux ?, demanda-t-il simplement.
_ Oui, fille et garçon. »
Le vieil Indien pencha un peu sa tête de côté, comme s’il réfléchissait un moment, puis il recula soudain son fauteuil et se dirigea dans le salon. Il me laissait entrer. J’avais longtemps réfléchi à ce que j’allais lui dire, dans quel ordre faire les choses, mais tout ce que j’avais imaginé m’apparut soudain parfaitement absurde. Lui demander comment il allait n’était pas nécessaire, et je ne savais plus comment en arriver à lui parler de Jacob. Je posai le landau au sol et en sortis mon fils.
« Voici Karel, annonçai-je. Karel Ocean. »
Billy scruta l’enfant en silence, quelques secondes, de ses yeux perçants. Il tendit ensuite vers moi ses grandes mains noueuses. Ses bras accueillirent mon fils. Curieusement, le voir dans les bras de Billy, de son grand-père humain, me remplit de bonheur. Peu à peu, les traits de l’Indien se détendirent. Ses yeux se plissèrent et un sourire apparut sur son visage las.
« Tu en as mis du temps ! », souffla-t-il.
Le père de Jacob savait, sans doute, il savait tout. Il ne pouvait ignorer que les Sang-Froid, comme son peuple les appelait, n’engendraient pas d’enfants.
« Il a un air de Charlie, je trouve… poursuivit-il. Mais sans la moustache, bien entendu. »
Je souris à mon tour.
« Et voilà, Sarah, repris-je en lui présentant ma fille.
_ Sarah… ? »
Billy reçut le deuxième petit être contre sa large poitrine. Son regard se fit tendre. Il caressa le front du bébé, sa bouche s’ouvrit.
« Elle ressemble tant… »
Il ne put achever, sa voix s’éteignit dans sa gorge. Quelques minutes passèrent. Il me semblait qu’il n’y avait rien à dire, les mots étaient inutiles.
Soudain, Billy se reprit.
« Tu vas les élever… seule ?
_ Non, répondis-je, avec Edward, mon mari. »
Billy me dévisagea.
« Enfin, ce sont des Black, des Quileutes ! Ils ne peuvent pas devenir les enfants d’un de nos ennemis héréditaires !
_ Pourtant ils portent son nom, Billy, expliquai-je en me tendant un peu. »
C’était davantage le type de discussion auquel je m’étais attendue. J’avais prévu de rester calme. Que cela lui plaise ou non, Billy devrait se plier à mes décisions. De toute évidence, quelque chose lui posait problème, et je pouvais le comprendre, mais il ne savait pas trop comment le formuler. Finalement, il explosa :
« Comment as-tu pu faire cela à Jake ? Il t’aimait… plus que sa propre vie. Tu lui donnes des enfants et… tu épouses un Cullen ?
_ J’ai épousé Jacob aussi, rétorquai-je après un silence. »
Billy demeura stupéfait.
« Comment… ?, souffla-t-il.
_ Jacob a procédé au rituel. D’après ce que lui avait expliqué le vieux Quil Ateara. »
Les yeux de l’Indien s’ouvrirent, tout ronds, sous l’effet de la surprise.
« Un rituel ? »
Je poursuivis :
« Nous sommes allés sur la Pierre des Mariages. Nous… »
Je soulevai la manche de mon t-shirt. Lui montrai la cicatrice de mon bras, à présent refermée, mais bien visible.
« J’aimais Jacob, Billy. Je l’aimais vraiment… Et j’aime Edward. Je pense que vous pouvez comprendre… »
Le visage fermé, le Quileute murmura :
« Une femme… avec deux époux ? »
Nous nous considérâmes un instant sans rien dire.
« Oui, Billy, finis-je par répondre d’une voix blanche. Une femme avec deux époux. Il y a bien des hommes… qui ont deux foyers. »
L’Indien sursauta. Mes mots avaient anticipé ma pensée. Le visage d’Embry apparut dans mon esprit. Se pouvait-il réellement qu’il fût aussi le fils de Billy, comme ma vision me l’avait révélé ? De toute évidence, mon inconscient l’avait déjà considéré comme une certitude.
Billy fronça les sourcils et continua à me dévisager, incrédule. Son visage avait pris une expression toute nouvelle également, qui ressemblait un peu à de l’inquiétude.
« Jacob m’avait dit que tu…, reprit-il sur un ton tout à fait différent, que tu pouvais voir… la vérité. Comme quand vous avez retrouvé Leah. Tu serais donc réellement une chamane, Bella ? Tu parles aux esprits ?
_ Non, je… »
Il m’était peut-être arrivé, effectivement, de parler à un esprit, mais cela ne me semblait pas assez évident pour être considéré comme une habitude.
« J’ai juste fait quelques rêves un peu… disons, particuliers, Billy. Mais… c’est fini, maintenant. »
L’Indien secoua la tête.
« Un don ne s’envole pas, Bella. Un don… est un miracle, et une malédiction. Il faut apprendre à vivre avec. Dans ma tribu, nous le savons bien. »
Ces propos me mirent mal à l’aise. Je me tus et m’avançai vers la fenêtre. Je contemplai la forêt.
Dans les bras de Billy, mes enfants dormaient. Le ton de notre discussion ne semblait pas les avoir dérangés.
« Je vais rentrer, annonçai-je tout à coup, avant qu’ils ne se réveillent. Ils vont avoir faim et… ils sont assez exigeants. »
Billy sourit.
« Reviens me voir, Bella. J’ai besoin… Je suis grand-père, maintenant, c’est… quelque chose ! »
Je hochai la tête. Que Billy fasse partie intégrante de la vie de Sarah et de Karel me semblait une nécessité. Je voulais qu’ils connaissent La Push, ceux qui y vivaient, leurs légendes et leurs traditions. Ils étaient des Quileutes. Pour moitié. Et des Transformateurs, apparemment.
Sur le pas de sa porte, Billy nous regarda partir. Ses dernières paroles résonnaient dans mon esprit.
« Un miracle et une malédiction. Il faut apprendre à vivre avec », avait-il dit.
Est-ce que je ne pourrais donc jamais simplement vivre… en paix ?

En quittant La Push, je suivis la route qui longeait une partie de la forêt de la réserve. J’étais absorbée dans mes pensées. Il devait être près de midi. Je ne remarquai la forme qui suivait la voiture, dans les bois, qu’au bout d’un moment. Je ralentis. Une silhouette grise filait à travers les arbres. Je finis par m’arrêter sur le bas-côté.
Sortant de la voiture, je m’approchai de la lisière. La forme filait toujours, plus profondément dans la forêt à présent, mais elle décrivait des trajectoires incohérentes, s’éloignant ou se rapprochant de là où je me trouvais, s’arrêtant puis repartant soudain. Parfois elle bondissait, sa tête s’agitant en tout sens, comme si elle cherchait quelque chose dans l’air. Comme elle revenait davantage vers moi, je reconnus avec certitude la louve grise, celle-là même qui m’avait approchée sur la falaise de La Push, la nuit où j’avais cru voir Jacob pour la dernière fois. L’animal ne me regardait pas comme il l’avait fait la fois précédente. Il était très agité, comme préoccupé par autre chose. Son attitude m’inquiéta, d’abord. Au bout d’un moment, elle me paniqua tout à fait. Retournant à la voiture, je pris avec moi mes enfants endormis et m’enfonçai avec eux dans la forêt. La louve continuait toujours son manège, plus loin, sans prendre garde à nous. Elle s’immobilisa un instant pourtant, elle semblait essoufflée. Elle attendait… quelque chose, mais qui ne paraissait pas être moi. Alors que je la rejoignais, elle détala, s’enfonçant encore davantage au cœur du bois, disparaissant totalement de ma vue. Je ne pouvais courir. Pendant plusieurs minutes, je suivis cependant la direction que je lui avais vu prendre. L’humidité du sous-bois se faisait ressentir, les odeurs de la nature qui s’éveille, la terre, la sève circulant sous l’écorce. Le terrain était de plus en plus irrégulier et ma progression devenait vraiment difficile. J’allais renoncer quand, à quelques mètres, dans une trouée d’arbres, je distinguai une forme, imposante et magnifique, qui ne m’était pas inconnue. C’était l’arbre des Quileutes. Je ne pouvais pas me tromper. Il était reconnaissable entre mille. Je ne pensais pas le trouver là, mais il était vrai que mon sens de l’orientation et de la géographie laissait un peu à désirer. En m’approchant davantage, je reconnus, de l’autre côté de son tronc énorme, le chemin que j’avais emprunté lorsque j’y étais venue les fois précédentes. Il retournait vers le village de La Push. Je déposai au sol la nacelle dans laquelle j’avais placé mes enfants et pris le temps de souffler un peu. Je considérai l’arbre, son aspect majestueux, la sérénité qui se dégageait des environs, le grand silence…
Tout à coup, la louve déboucha en trombe de dessous une grande fougère, me faisant sursauter. Quand elle m’aperçut, elle s’arrêta net, à quelques mètres de moi. Elle paraissait craintive, recula de quelques pas, mais s’assit, finalement, le museau tendu vers le ciel. Alors, il y eut une vibration dans l’air, qui se fit rapidement plus puissante, comme si un vent soudain s’était levé dans les hauteurs, juste au-dessus de nous. Un battement. Un battement d’ailes. Un oiseau énorme vint se poser souplement sur un vieux tronc d’arbre tombé au sol, à proximité. Sa tête était blanche, son corps noir, son bec et ses yeux jaunes. Il était magnifique. C’était un rapace. Un pygargue à ce qu’il me semblait. La louve grise émit un petit gémissement. Je n’osais plus bouger, respirais à peine. Exactement comme cela s’était produit la première fois, je vis une forme floue et flottante s’élever de la tête et du corps de l’oiseau, pareille à une fumée blanchâtre. Une fumée intelligente, qui se mouvait d’elle-même et non à cause du souffle de l’air. La forme prit corps. A nouveau, ce visage… Je me couvris les yeux de mes mains. Oh, non ! Pas encore… pas encore… je n’étais pas guérie. Cela ne cesserait jamais, Billy avait raison.
Omemee…
Cette voix…
Tu ne veux plus me regarder ?
Je finis par lever les yeux vers lui.
« Ce n’est pas bon pour moi, de te voir comme ça, Jacob…, soupirai-je. De te voir aussi… clairement. »
C’était bien lui. Exactement. Je retrouvai ses yeux, la forme de son menton, son sourire… Son air était un peu différent, peut-être. Il paraissait plus… sûr de lui. Fier. Presque plus âgé que dans mon souvenir. Et tellement radieux que j’eus envie de pleurer.
Ne sois pas triste.
Il s’approcha de mes bébés. Je remarquai que ceux-ci s’étaient réveillés. Leurs yeux étaient grands ouverts. Il me sembla… qu’ils regardaient vers l’être qui s’était penché sur eux. Le voyaient-ils ?
Bien sûr. Les nouveaux venus sont comme les esprits, ils savent tout. Ils oublient ensuite… le temps d’être capable de dire ce qu’ils savent… C’est comme ça que sont les choses.
Jacob eut un geste. Sarah émit un petit bruit. Je pensai que la faim allait certainement les pousser à pleurer bientôt, mais, pour le moment, ils restaient calmes. Un peu plus loin, l’oiseau et la louve nous considéraient avec attention.
« Cet oiseau… il t’accueille aussi ?, demandai-je en lui désignant l’animal.
Oui. Je peux être beaucoup de choses. En même temps. Je peux… me diviser jusqu’à cinq fois. Et voir… le monde à travers leurs yeux. C’est fascinant et exaltant. Mais une partie de moi reste toujours attachée à toi… et à eux.
D’un geste du menton, il avait désigné mes enfants.
« Pourquoi… pourquoi n’étais-tu pas là, la première fois que je suis venue ici ? Je… je te cherchais. »
C’était vrai, au fond. Quand j’étais revenue, seule, auprès de cet arbre, après que Seth m’en ait montré le chemin, j’avais espéré que, peut-être, si ce que j’avais vu était vrai, Jacob reviendrait me parler. Il n’était pas apparu, j’avais dû me rendre à l’évidence.
Je ne savais pas que nous avions rendez-vous.
Il rit.
Le temps… Je ne le mesure pas. J’en suis désolé. Mais aujourd’hui… je les ai sentis ici. Ils sont contents d’avoir rencontré leur grand-père. Tu as bien agi.
« Tu… tu restes vraiment avec nous ? Est-ce que c’est bien normal ? Les choses ne devraient-elles pas être autrement ? »
Jacob s’avança vers moi. Je perçus alors comme une chaleur sur ma peau. Très nettement. Son visage prit une expression déterminée.
Les choses sont ce qu’elles doivent être. Pour le moment, je suis votre pagawanak. Je vous accompagne, je te l’ai déjà dit. Ne… t’inquiète pas de ça.
« Billy… Billy pense que je suis une… chamane, que je parle aux esprits. Je ne vois pas comment je pourrais ne pas m’inquiéter. Je voudrais tellement… une vie plus normale. Sarah et Karel en auront besoin. »
Tu n’es pas une chamane… Tu es très douée, c’est tout. En ce qui me concerne, nous sommes liés, c’est pour cette raison que je suis là. Mais je comprends tes sentiments... Je les ressens. Souvent, je te réconforte, je t’apaise. Je partage tes joies et tes douleurs.
« Comment veux-tu que je fasse, Jacob, pour continuer comme ça ? Je cherche ta présence… en permanence. Si je peux te voir, te parler, comment pourrais-je accepter… que tu es parti, que je ne peux plus… te serrer dans mes bras ? Et que tout est de ma faute ! »
Vis ta vie, sans regarder en arrière…
Il jeta un regard en direction de nos enfants, puis ses yeux plongèrent dans les miens.
Si tu préfères, je ne viendrai plus te parler.
J’allais m’écrier que non, que je préférais, malgré tout, pouvoir l’entendre, partager quelques moments, invraisemblables, avec lui… Mais je répondis seulement :
« Je n’arriverai pas à être assez forte, Jake… »
Ses yeux se plissèrent, il hocha légèrement la tête et sourit.
Bien sûr que tu es assez forte. Tu le prouves tous les jours.
Nous nous reverrons, Omemee…, entendis-je comme il disparaissait déjà.
Immédiatement, l’oiseau déploya ses ailes et prit son envol. La louve plongea dans les buissons. Autour de moi, la forêt bruissait à nouveau de toute la vie qui l’habitait. On aurait dit que mille voix mêlées chuchotaient dans autant de langues inconnues de moi.
Je n’eus pas le temps de me remettre de mon nouveau bouleversement. Un cri se fit entendre. Immédiatement suivi d’autres. Mes enfants réclamaient leur dû. C’était le retour des choses essentielles. Celles qui ne laissent plus le temps de réfléchir ou de penser à soi.
Il était temps de rentrer à la maison. Et vite.





Chapitre 6 : Jusqu'à quand ?/ Until when ?

Les mois qui suivirent furent, étrangement, une des périodes les plus heureuses de ma vie. Elle ne tournait plus qu’autour d’une chose, merveilleuse, magique, qui m’apportait toute la chaleur et la joie que j’avais cru ne plus jamais pouvoir ressentir : ma famille. Karel et Sarah étaient mon nouveau soleil, un soleil double. Un nouvel équilibre s’était instauré dans mon existence, qui tournait entièrement autour d’eux et grâce à eux. Ils me donnaient une énergie dont je ne me serais jamais crue capable. La famille d’Edward était aux petits soins avec mes enfants, nos enfants, et je faisais mon possible pour limiter leur envie de leur offrir en permanence des jouets ou des vêtements tous plus inutiles ou extravagants les uns que les autres. Peu à peu, ils se résignaient à mon souhait de les laisser grandir dans une certaine simplicité. Rosalie était spécialement attentive à leurs besoins et, je dois reconnaître, qu’elle m’était d’une grande aide. Karel l’avait absolument enchantée, au point que j’en étais arrivée à me demander s’il n’était pas possible pour un vampire de s’imprégner d’un Transformateur. Edward l’avait taquinée à ce sujet et elle n’avait pas mal pris la chose, jusqu’à-ce que Jasper se mette à la surnommer Lupa, ce qui avait beaucoup amusé Emmett. De son côté, j’avais remarqué que Billy était tout particulièrement ému lorsqu’il prenait Sarah dans ses bras et qu’elle posait sur lui ses jolis yeux, très finement dessinés, doux et profondément noirs. La présence de ses petits-enfants lui apportait un grand réconfort.
A l’automne suivant, j’avais entrepris de m’inscrire à l’Université de Washington, à Seattle, qui dispensait des cours par correspondance. J’espérais ainsi pouvoir obtenir un niveau de première année, avant d’avoir réellement la possibilité de me rendre sur place suivre les cours en personne. Il m’était apparu que l’anthropologie était une matière dont l’étude m’intéressait vraiment, et je comptais me lancer d’abord dans une licence de Sciences Humaines avant de pouvoir approfondir davantage le sujet. J’étais aussi à la recherche d’un travail que je pourrais effectuer à mi-temps, de manière à soulager ma conscience quant au fait que j’avais déjà passé plusieurs mois à vivre comme une femme entièrement entretenue par la famille de son mari, ce à quoi je ne pouvais décidément pas me résoudre.
Sur une proposition de Jasper, Edward avait rencontré, à Seattle, un certain Scott Jenkins dont le nom m’avait immédiatement évoqué quelque chose de familier. Il était avocat et, sans connaître avec certitude le secret de la famille Cullen, il avait conscience que ceux qui la composaient n’avaient rien de commun avec les humains ordinaires. Il avait rendu, à plusieurs reprises, certains services à Jasper -étrangement, il me semblait savoir lesquels !- et pourrait peut-être permettre à Edward de rendre à son tour service aux humains, comme il souhaitait à présent le faire. Il m’avait expliqué que, selon lui, le don qu’il possédait devait trouver son utilité, en servant les intérêts de la justice, par exemple. Il offrait à l’avocat la possibilité d’éviter des erreurs tragiques, même s’il leur faudrait rester extrêmement discrets et vigilants sur la manière de procéder. Scott Jenkins, quoi qu’un peu inquiet à l’idée d’être régulièrement en présence d’un membre de la famille Cullen, semblait assez intéressé.
Alice et Jasper avaient eu l’occasion d’accompagner encore Leah et Johnny dans leurs recherches, mais il semblait que les Enfants de la Lune se soient faits très rares ou très discrets dans le pays. Johnny désespérait un peu de trouver jamais un remède au malheur qui l’avait frappé. Seul l’amour et l’attitude de Leah lui redonnaient courage et espoir. La présence des vampires était devenue parfaitement tolérable à la jeune Indienne. Elle ne s’en préoccupait plus, à dire vrai. Edward avait été frappé du changement radical de sa pensée. Dans son esprit, il n’y avait plus que Johnny. A chaque seconde. Johnny et son bien-être, son intérêt, sa satisfaction, sa joie. C’était cela, l’imprégnation. Une dépendance totale, une aliénation pure et simple, qui paraissait lui apporter pourtant le bonheur. Je ne savais pas trop s’il fallait considérer ce phénomène comme une bonne ou une mauvaise chose. C’était une perte totale et définitive de liberté, en somme. Elle concernerait mes enfants, un jour, et j’avais du mal à l’accepter, même si le moment où j’y serais confrontée était encore bien lointain. Pour l’heure, même si je comprenais de mieux en mieux le choc et la peine qu’avait dû ressentir Harry Clearwater lorsque ses deux enfants s’étaient transformés en loups -désespoir qui lui avait malheureusement coûté la vie-, je devais simplement profiter de mes enfants, et de la chance que nous avions que leur nature profonde rende leur sang sans intérêt pour les vampires.



Un soir, pourtant, de nouveaux nuages vinrent obscurcir le ciel pur de mon bonheur. Je ne les avais pas vus venir, les ayant volontairement ou inconsciemment occultés. Cependant, lorsqu’ils menacèrent, je compris que leur retour était inéluctable.
Sarah et Karel étaient endormis depuis un moment. J’avais rejoint Edward qui lisait, au salon. Comme j’entrai dans la pièce, il avait refermé son livre et son visage avait pris une expression particulière. Au bout de quelques secondes, il soupira. Il avait l’air un peu triste.
« Qu’est-ce que tu lis ?, demandai-je afin de connaître, peut-être, la raison de son attitude.
_ Oh !... Une histoire très touchante. Je viens de la finir.
_ Et de quoi parle-t-elle ?
_ Rien de bien original, en soi… mais c’est vraiment bien écrit. Très sensible. »
Il sourit.
« Tu vas rire… c’est une histoire de vampires.
_ Incroyable ! »
Je souris, en effet.
« Un vampire qui lit des histoires de vampires… Je n’aurais jamais pensé que cela puisse t’intéresser.
_ C’est vrai que, la plupart du temps, on y trouve vraiment n’importe quoi. Mais… j’aime bien découvrir le fantasme humain qui se cache derrière le mythe. C’est très intéressant. Troublant, même, parfois. Quand on se rend compte que les humains sont capables de nous comprendre, de se mettre à notre place. D’imaginer ce que sont nos vies et ce que nous ressentons. L’imagination est quelque chose de fabuleux ! Tu sais que certains auteurs écrivent à partir de rêves qu’ils ont faits ? »
Edward paraissait vraiment transporté. J’adorais l’entendre parler de musique ou de littérature. Il m’apprenait beaucoup. Il connaissait tant de choses ! Et il en parlait toujours avec sensibilité et intelligence. Avec passion et respect aussi. Les artistes humains le fascinaient.
Le livre, qu’il tenait refermé sur ses genoux, m’intriguait. Je voulais en regarder la couverture.
« Et qu’est-ce que cette histoire a de si différent ?, demandai-je en me levant pour venir le prendre.
_ Eh bien, celle-là, à mon sens, a tout compris. »
Je m’étais approchée et me penchais au-dessus de lui pour saisir le volume. D’un mouvement vif, il emprisonna mon poignet. Je ne compris pas le geste, je fronçai les sourcils et souris. Je crus qu’il voulait me parler avant que je ne regarde par moi-même. Alors je me relevai.
« Bon… raconte-moi. Je t’écoute.
_ Mmmh… »
Il inspira profondément et soupira à nouveau, posant un doigt replié sur sa bouche.
« C’est une histoire d’amour. Je sais, c’est banal. Entre un vampire et une humaine. Voilà qui nous est parfaitement étranger, n’est-ce pas ? »
Je levai les sourcils.
« Cette histoire est racontée par le vampire. Déjà, c’est plus intéressant.
_ Les vampires font de meilleurs narrateurs, peut-être ?
_ Non… quoi que…, rit-il. L’intérêt d’avoir le point de vue du vampire, c’est qu’on peut suivre sa démarche, ses pensées, ses sentiments, ses hésitations. On comprend ses arguments. C’est un vampire qui a de très bons arguments. Mais il est assez différent de nous, en fait, de moi… C’est une fiction. Enfin, il est réticent…
_ Ah, m’exclamai-je, c’est un vampire réticent ? »
Je voulais continuer cette discussion sur le mode humoristique et léger avec lequel elle avait débuté, mais je sentais que, progressivement, tout sentiment de légèreté m’abandonnait. Une tension se formait dans ma gorge.
« Très réticent. L’originalité vient du fait que l’auteur a fait un choix… assez surprenant. La plupart du temps, dans ces histoires, le vampire est présenté comme un être irrésistible -c’est sa nature qui le veut, certes- et les humains n’ont qu’une envie : devenir vampires à leur tour. C’est tellement tentant ! Et on oublie la contrepartie. La mort, la condamnation à une éternité vouée au crime et à la torture de sa conscience… Comme si cela n’avait aucune importance ! »
Les paroles d’Edward m’étaient de plus en plus pénibles. Elles provoquaient chez moi un sentiment de gêne, que je n’avais plus ressenti depuis longtemps. Comment pouvait-il parler de cela avec autant de détachement ?
« Ici, l’auteur a décidé que les humains ne devaient pas devenir des vampires, poursuivit-il cependant, que ce n’était pas souhaitable pour eux, pour son personnage féminin, en tout cas. »
Je n’en pouvais plus. Il fallait faire cesser cette conversation. Brusquement, je fis deux pas dans sa direction et me penchai à nouveau avec la ferme intention de lui prendre le livre. Il sursauta et tourna vers moi un visage dont l’expression me pétrifia. Un visage aux yeux sombres.
« Bella, s’il te plaît, est-ce que tu voudrais… t’éloigner un peu ?
_ Que… ? »
Je me raidis. Que se passait-il ? Je me sentis tomber dans un gouffre qui se serait soudain ouvert sous mes pieds. Edward avait fermé les yeux.
Je m’interrogeai. Mon odeur, peut-être… Elle semblait le troubler plus que de coutume. Tout à coup, je réalisai. J’avais mes règles. Est-ce que c’était cela qui pouvait le perturber autant ?
« Edward…, balbutiai-je, tu veux… que j’aille me doucher ? Que je quitte la pièce ?
_ Peut-être… enfin, ça n’y fera pas grand-chose. L’odeur est vraiment partout. Je n’avais pas pensé à ça en venant vivre avec toi. Et toi non plus, tu n’y penses pas. Cela fait quelques mois… que c’est assez dur.
_ Je suis désolée. Je vais… faire le nécessaire. Je vais…
_ Je crois que tu n’y pourras rien, Bella. Quand je ne faisais que te croiser, avant… c’était différent. Mais être avec toi, chaque jour, baigné dans ton parfum… Mais j’y arrive, tu vois. J’y arrive.
_ Oh, Edward ! »
Une grande tristesse s’était répandue dans mon âme, comme le contenu d’un flacon malencontreusement renversé. Une encre, noire et violette. Il me sembla que la pièce s’obscurcissait. Je reculai.
« Ne t’en va pas, Bella.
_ Non, je reste là. »
Je m’assis un peu plus loin, le dos contre une cloison du mur.
Nous y étions. A nouveau.
« Tu vois, ce qu’il y a de bien, dans cette histoire, c’est que les vampires… peuvent boire le sang des êtres humains sans les contaminer par leur morsure. Ils peuvent… faire l’amour aussi. Quand leur soif est apaisée. »
Je ne pouvais rien dire. Je remontai mes genoux contre ma poitrine. Dans mon esprit, malgré moi, des images passaient. Pourquoi avait-il fallu qu’elles reviennent ?
Je percevais clairement la tristesse dans la voix d’Edward à présent, même s’il se contenait admirablement. En dépit de ses efforts, l’intonation feutrée de sa voix trahissait son émotion.
« Ils savent aussi d’où ils viennent, et pourquoi ils sont là. Même s’ils sont des êtres maudits, au moins le savent-ils avec certitude. Les certitudes sont reposantes… Je me suis toujours demandé… J’aimerais fouiller le monde, comme le fait Johnny, à la recherche de réponses et de solutions, peut-être. Carlisle m’a dit que c’était inutile. Qu’il n’y en avait pas. »
Je comprenais les questions qui agitaient Edward, ses préoccupations et ses tourments. Pendant des mois, je n’y avais plus prêté attention. J’avais voulu croire que les choses pourraient être simples. Je l’avais réellement cru, un moment. Je réalisai, à cet instant, que j’avais complètement ignoré sa nature, qu’il l’avait courageusement apprivoisée et domptée pour moi, pendant si longtemps -trop longtemps !-, alors que sa vie avec moi devait être un véritable supplice. Pire : un calvaire. Il avait tellement mieux à faire ! Il méritait d’être heureux.
Peut-être le moment allait-il arriver. Peut-être… doucement, lentement, imperceptiblement… les choses allaient-elles en se redessinant, changeant de forme. Nos vies avaient changé de forme. Elles ne s’accordaient plus, sans doute. Si Edward souffrait, je me devais d’abréger définitivement ses souffrances, à défaut de pouvoir le soulager. Nos routes, comme il m’était arrivé de l’envisager sans jamais avoir pu en prévoir le moment, devraient-elles se séparer bientôt ?
Mon cœur saignait. Car il était plein, plein de mon amour pour mon mari.
Je me relevai.
« Je vais monter me doucher et me mettre au lit, Edward, annonçai-je finalement. Est-ce que je peux approcher un peu ?
_ Mais bien sûr, tu peux approcher !, souffla-t-il avec un sourire. C’est juste qu’il y a des moments plus difficiles… Après, ça passe… »
Un peu hésitante, je me levai et vins m’agenouiller près de lui. Je posai ma tête sur l’accoudoir du canapé. Quelques secondes.
Il fallait finir.
« Comment se termine-t-elle, Edward, cette histoire ?
_ Tu t’en doutes… Mal.
_ C’est à dire ? »
Il prit ma main. Y posa ses lèvres. Puis il la retourna, l’ouvrant vers lui. Il respira le creux de mon poignet.
Je frémis. Un frémissement de désir. Une décharge. D’une intensité presque oubliée.
« Le vampire…, expliqua-t-il, ne veut pas changer à son image celle qu’il aime. Elle le provoque, pour l’obliger… »
Edward embrassa la peau de mon poignet, délicatement.
Je tremblais.
« Il… perd la tête. Et il la tue.
_ Mmh, soupirai-je, ce n’est peut-être pas tout à fait… cohérent.
_ Si tu savais pourquoi il perd la tête… tu comprendrais.
_ Bien. C’est effectivement une histoire triste. Et que devient le vampire ?
_ Il attend le lever du soleil. »
Edward soupira contre mon poignet. Je sentis le sourire de sa bouche sur ma peau.
« C’est quelque chose que je regrette beaucoup, c’est un beau symbole… L’idée que les vampires ne puissent endurer la lumière du soleil… Ce serait tellement… mieux. »
Je tendis mon autre main, posai mes doigts sur sa joue, caressai sa paupière.
« Je t’aime, Edward.
_ Je sais. »
Avant de monter, je me tendis vers lui, l’embrassai. Mes jambes me portaient à peine. Tout mon corps avait retrouvé la sensation… endormie. La sensation du feu. Mon sang vibrait. Chantait. Chaque atome de mon corps éprouvait le désir. Celui que j’avais ressenti, depuis le premier jour. Celui d’être à Edward. Totalement. Enfin.

Quand je me détachai de lui, il baissa le regard. Mais je vis ses yeux.
Ils étaient noirs.

Plus noirs que la nuit.

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !