dimanche 5 décembre 2010

VOL III _ chpt 21, chpt 22


Chapitre 21 : Retour/ Back



Nous reprîmes notre route, dans la direction qui semblait être celle que nous devions suivre, puisqu’elle m’attirait toujours, à la manière d’un aimant géant, depuis le fond de mes entrailles.
Nous marchâmes un long moment, puis nous nous élançâmes à vive allure.
Nous parvînmes finalement face à l’océan. Quelques léopards des mers se reposaient sur des rochers moussus. Nous en profitâmes pour chasser, car cela faisait assez longtemps que nous n’avions pas eu l’occasion d’étancher notre soif.
Quand nous nous fûmes nourris, je remarquai qu’à l’horizon, le ciel était plus clair. Se pouvait-il que la nuit polaire fût achevée ? Quelque chose était achevé, quoi qu’il en soit, et je pensai qu’il était temps, pour nous, de rejoindre le monde des hommes. Autour de nous, tout semblait désert. Comment allions-nous faire ?
« Si nous longeons la côte, proposa Edward, nous finirons bien par trouver une base scientifique, ou même des habitations. Je n’ai aucune idée de l’endroit où nous nous trouvons, mais nous réussirons bien à nous embarquer d’une manière ou d’une autre. »
Pourquoi pas ? Pourtant, l’appel qui retentissait en moi à la manière d’un tambour, battant sourdement au fond de mon être, me donnait l’envie de tenter autre chose.
« Va vers l’Est, Edward. Moi, je vais nager un peu dans cette direction. Peut-être y a-t-il un bateau qui approche… ? Ou bien une terre moins éloignée que ce que nous pouvons croire. Je te rejoins bientôt, ne t’inquiète pas. Tu sais que je te retrouverai quoi qu’il advienne. Je ne m’éloignerai pas trop. »
Je jetai un regard à mon mari. Il inclina légèrement la tête et me fit signe. Alors, je plongeai dans l’eau glacée.

Le froid, la chaleur, sont des impressions très relatives lorsqu’on est un vampire. On en a conscience, avec une très grande précision même, mais l’on n’en souffre pas.
Un bon moment, je nageai sous l’eau, éprouvant immédiatement la délicieuse sensation que me procurait le fait de me trouver immergée dans ce liquide originel et quasiment maternel pour nous. Puis je décidai de plonger plus profondément, vers les abîmes marins, par plaisir de me sentir à nouveau libre, et en sécurité, dans mon élément familier.

Je descendis très profondément.

Avec la luminosité, déjà faible en surface, il ne fallut pas longtemps pour que l’obscurité totale m’entoure. Mais j’avais toujours la notion des directions, je savais par où descendre et vers où remonter.

Je m’enfonçai encore.

Bientôt, la lueur apparut. Celle que j’attendais. Elle provenait bien de moi. Mon propre corps s’était mis à irradier doucement. Peu à peu, le halo se changea en lumière plus vive et je me rendis compte que j’y voyais, désormais, parfaitement. C’était une sensation merveilleuse. Un moment, je jouai dans les courants, puis me décidai à remonter en surface, tandis que le scintillement de ma peau déclinait. A mon grand bonheur, je découvris, devant mes yeux émerveillés, la silhouette énorme et douce d’une baleine. Je m’approchai, le plus discrètement et le plus tranquillement que je pus. Je pouvais presque la toucher… Je tendis la main. Le cétacé ondula. Imposant et magique comme une montagne flottante. Je m’accrochai à sa queue.
Ainsi attachées, nous glissâmes quelques instants. Instants de joie indicible, que le hasard venait de placer sur ma route. Et éphémères… La baleine rejoignait ses congénères, groupe muet de colosses aux formes douces.
Je la laissai s’en aller.
Je devais moi-même atteindre mon but.

Lorsque je me retrouvai presque à l’air libre, le martèlement de mes entrailles reprit de plus belle, et si fortement, qu’il me secouait presque. Que m’arrivait-il ? J’émergeai. Sous un ciel d’un bleu profond, la mer agitait ses vagues d’un gris sombre. Elles me ballottaient. Mais je ne craignais pas les flots, même les plus déchaînés.
Soudain, mon corps entier se mit à vibrer. Je pouvais sentir, sous ma peau, le remous d’une énergie dont je ne comprenais pas l’origine. Je vibrais des pieds aux cheveux. Loin d’être désagréable, la sensation avait plutôt quelque chose d’étourdissant. Je me sentais entièrement électrisée. Et sans doute l’étais-je réellement !
A la base de ma colonne vertébrale, un poids plus oppressant apparut. Je me sentais lourde tout à coup, j’aurais pu disparaître entre les vagues, couler à pic pour de bon. Jamais, depuis que j’étais devenue vampire, je n’avais eu cette impression que mon corps pouvait être véritablement fait de pierre ou de plomb. Le poids augmentait, j’étais toujours à la surface des vagues cependant, mais il me semblait qu’elles ne me déplaçaient plus. La mer avait beau s’agiter autour de moi, je restais à la même place, comme si une ancre solide, jetée profondément à travers les flots, m’avait retenue. Puis la tension bougea. Elle grimpa le long de mes vertèbres, lentement, à la manière d’un reptile tranquille. Alors je sentis l’axe. L’axe qui me reliait à la terre, et au ciel. L’axe qui passait par moi, au travers de moi-même. Mon axe. Et celui que j’étais. En un éclair fulgurant, mon esprit se libéra.

Je vis mon bouclier.

Je le vis réellement ! Et non plus seulement, comme cela avait été le cas jusqu’alors, dans ma pensée ou à travers mon ressenti. Il s’ouvrait, s’étendait au-dessus de moi-même en un flot continu. Il était une sorte de dôme iridescent dont la surface ondulait dans le ciel d’encre. Une extension, qui projetait loin, au-delà de ma vue, une nouvelle bulle translucide, ramenait sur sa surface un unique point lumineux qui brillait, une petite flamme, semblable à un astre rouge. En transparence, les constellations m’apparaissaient, comme autant de symboles dont le sens ne m’aurait pas été tout à fait inconnu. Elles racontaient beaucoup d’histoires… des histoires passées et à venir. Des histoires à jamais recommencées.
Mon bouclier laissait apparaître le firmament à mes yeux, car il était, pour moi, comme un cristal limpide, mais il était invisible, à tous, puisqu’il reflétait ce qui l’entourait : l’océan au-dessous, la voûte étoilée et bleue au-dessus, exactement à la manière d’un miroir. C’était très exactement cela : un miroir à double face. Mon bouclier était un miroir fait d’un étrange matériau, le miroir de moi-même, de mon être, de mon esprit !, que j’avais la capacité de projeter à l’extérieur de moi, comme une membrane immatérielle. Il était mon essence, mon être profond, qui se reflétait à l’extérieur de moi à la manière des images d’un mirage sur la chaleur de l’air. Voilà pourtant les pouvoirs psychiques des autres vampires ne pouvaient m’atteindre. Ils étaient réverbérés sur lui comme sur une surface réfléchissante. Ce bouclier fantastique était fait de ma propre énergie, mon énergie vitale, physique et spirituelle, que ma transformation avait démultipliée. A présent que j’étais devenu un être dont l’esprit devait avoir définitivement fusionné avec le corps surnaturel, comme nous l’avait expliqué Kaly, il était maintenant plus puissant, plus solide et sensible que jamais. Il devenait aussi poreux, en certaines occasions seulement, lorsque j’éprouvais le sentiment particulier qui ouvrait en lui une porte… comme si mon intelligence avait la capacité de circuler sur l’étendue de mon bouclier, et d’y opérer des choix, d’y ouvrir des passages, le rendant perméable, au pouvoir d’Edward seulement, parce qu’il était en accord, en harmonie, avec mon être profond.
Nous devions réellement être des âmes-sœurs... !

Et s’il était le miroir de moi-même, mon bouclier était également celui du monde, visible ou invisible, et c’était pour cela que j’avais eu, et que j’avais toujours, cette étrange capacité à sentir la vie, à prévoir, ou plutôt à savoir, de manière quasi spontanée, les chemins que devaient prendre les êtres et les choses. Cette membrane impalpable captait les signaux, les messages secrets du monde qui m’entourait. Et le monde, la vie, parlaient -chantaient, comme le sang- continuellement, pour ceux qui pouvaient les entendre ou qui voulaient bien les écouter. Ce qu’ils me racontaient, je l’avais d’abord su à travers mes rêves, car ils permettaient à mon esprit d’humaine de ressentir plus librement leur influence mais, à présent, cette aptitude s’exprimait d’une autre manière. Elle était là, en permanence. En changeant de nature profonde, j’avais changé celle de mon pouvoir. Il n’aurait jamais pu s’exprimer aussi totalement si j’étais restée humaine… et c’était comme s’il lui avait toujours fallu cela, comme s’il l’avait toujours souhaité et attendu. Comme s’il n’y avait jamais eu d’autre issue.
Tout devenait si clair… Plus que jamais ! Mon propre fonctionnement venait de m’apparaître car j’avais atteint un point d’émergence… Et c’était un lieu physique, géographique, car j’étais liée -pour une raison qui échapperait sans doute toujours à mes facultés de compréhension-, profondément, intrinsèquement et par essence, à la terre qui me portait, qui m’avait donné vie et animée.
J’avais été appelée, ici, précisément, et j’y étais venue.
Je savais maintenant, avec une inébranlable assurance, que tout avait un sens. Et que le monde tournait rond. Oui. Je le savais par nature, comme Kaly, elle, l’avait appris d’expérience. Je savais que nos existences à tous avaient une raison d’être. Je sentais…
Une vague, plus violente que les autres, me déporta. Et tout s'assombrit à nouveau. Tout disparut.
Au tréfonds de mes entrailles, de mon être entier, de mon esprit et de mon âme, une conviction demeurait, pourtant... Profonde. Inébranlable.
Je devais retourner auprès d’Edward. Nous devions rentrer chez nous. Il était temps !

Je nageai vers l’Est.

Au bout d’un moment, j’aperçus des îles. Alors, je retournai vers la côte, et vers le point de lumière qui m’y attendait.



Mon mari avait découvert là quelques habitations, et la présence d’êtres humains. Il ne nous restait plus qu’à attendre qu’une embarcation se présente.
Je lui racontai ce qui s’était produit, et la manière toute nouvelle dont je percevais les choses. Je lui fis part des nouvelles questions qui bouillonnaient dans mon esprit… que je brûlais de partager également avec Carlisle -avec Kaly, si seulement je pouvais jamais la revoir !- et auxquelles je devais absolument trouver une réponse.
J’étais étrangement enthousiaste. Presque euphorique.
Edward fut tout à la fois extrêmement surpris et heureux de ce changement.

Quelques jours passèrent.

La blancheur de l’horizon ne faisait que croître, dévorant la nuit, à chaque instant davantage et, soudain, les premiers rayons du soleil apparurent. Et avec lui le matin. Le premier.
Un navire aborda, avec à son bord un équipage de scientifiques qui venaient relever ceux qui étaient demeurés là durant l’hiver polaire. Un hiver qui n’avait pas été, en réalité, autre chose que l’été. Un été à l’envers.
Il nous ramena à son bord, invisibles.

Le bateau fit une courte escale près des îles que j’avais eu l’occasion de repérer : c’étaient les îles Balleny.
Plus tard, nous dépassâmes l’île Macquarie, avant de nous arrêter, plus longuement, non loin des îles Auckland. Nous remontions vers la Nouvelle-Zélande.

Avant de l’atteindre, un phénomène lumineux captiva l’attention de tout l’équipage. Le soleil, très bas sur l’horizon, avait pris une apparence particulièrement insolite. Il s’était démultiplié. Il n’y avait plus un, mais trois soleils à l’horizon ! Il s’agissait, pour le coup, d’une illusion d’optique. J’entendis que ce phénomène singulier s’appelait un parhélie, et qu’il était aussi surnommé « chien du soleil ».
Ce spectacle nous frappa, Edward et moi, par l’impression invraisemblable qu’il procurait : nous avions soudain le sentiment de nous trouver sur une autre planète, à des années-lumière de notre système solaire, comme on peut l’imaginer dans les films ou les romans de science-fiction.
L'idée m’amusa et me réjouit encore davantage. Au fond de moi, je voulus y voir une sorte de signe, à la manière des anciens… J’allais retrouver les miens, et il y avait de l’espoir pour nous. Nous vivrions ensemble, et heureux, autant que nous le pourrions. Pour le temps que nous aurions à passer ensemble.
Une petite voix contradictoire tentait de me raisonner en me répétant qu’il ne s’agissait que d’une illusion, mais je choisis de l’ignorer et elle se tut.
Mon être était plein, gonflé. De désirs, de certitudes et de mystères… qu’il me restait encore à découvrir, je le sentais, qui palpitaient en moi et me poussaient, me rendaient forte et vivante. Plus vivante que je ne l’avais jamais été. Pourquoi ma volonté ne pourrait-elle pas, désormais, l’emporter sur tout ?

A Wellington, je voulus téléphoner aux Cullen, tandis qu’Edward prenait les billets qui nous ramèneraient directement chez nous. Chez nous ! Enfin !
Je trépignais.
Nous aurions tant à leur raconter lorsque nous les retrouverions. J’aurais tant à dire et à demander à Carlisle, à tous… ! Je voulais annoncer notre retour, rassurer notre famille, leur apprendre le choix que nous avions fait.
Si Alice ne savait pas tout déjà…
Et justement, ce fut elle qui décrocha.
« Oh, Alice !... »
L’émotion me submergea. Sa voix. Rigoureusement la même -en plus enfantine, plus espiègle et vive encore !- que dans mon souvenir. Mais j’avais l’impression de ne l’avoir quittée que quelques jours auparavant. Quelques jours… et des siècles.
« Bella ! Je suis si… oh, Bella ! »
Elle était émue. Quelques secondes de silence passèrent.
« Nous nous sommes tellement inquiétés ! Mais je savais que vous reviendriez. Je vous ai vus revenir ! Je ne savais simplement pas quand…
_ Tu es incorrigible ! »
Je plaisantais. Mais Alice, à l’autre bout du fil, ne s’en amusa pas.
Moi qui m’attendais à son rire… qui espérais tant l’entendre ! Venant d’elle, qui était d’ordinaire si spontanée, il y avait de quoi être surpris.
Cette attitude m’alarma immédiatement.
« Alice… tout va bien ? »
Elle ne répondait pas. Je compris qu’elle réfléchissait. Elle cherchait ses mots. Elle se demandait comment il valait mieux s’y prendre…
Tout cela, je le compris, instantanément.
Il y avait quelque chose… quelque chose de difficile à annoncer, peut-être, et Alice ne savait pas quelle était la meilleure manière de le faire.
Elle avait sans doute prévu mon attitude, dans sa vision, et elle voulait trouver le meilleur moyen d’éviter une réaction trop violente de ma part. Pensait-elle que j’aurais des difficultés à me contrôler ? J’en aurais, très certainement. Selon ce qu’elle avait à m’apprendre…
« Alice ? »
Déjà, j’avais presque crié.
« Ecoute, Bella… est-ce que vous comptez rentrer bientôt ? »
Elle avait pris un ton plus anodin, qui me stupéfia et m’accabla d’angoisse.
Il y avait quelque chose de tellement artificiel dans sa question ! Ce n’était pas l’Alice que je connaissais. Trouvait-elle préférable de me cacher la vérité jusqu’à notre retour ? Comment avait-elle pu faire un choix pareil ?
Je sentais bien, au plus profond de moi-même, qu’il s’était produit en notre absence un événement grave… Et je l’ignorais ! Je n’avais pas été là ! Quelle horreur, encore ? Quelle peine nous attendrait à notre retour ? Les Volturi étaient-ils revenus ? Que devions-nous craindre ?
Cela ne cesserait donc jamais…
« Alice, articulai-je le plus clairement et le plus fermement que je pus alors que j’entendais le combiné craquer sous mes doigts, est-ce que tu peux parler ? Il faut que tu me dises ce qui se passe ! Nous nous apprêtions à revenir. Est-ce qu’il y a un danger ? Alice… dis quelque chose, je t’en prie ! Sinon… je ne vais jamais revenir à Forks, tu m’entends bien ? Ou… je n’y reviendrai pas avec toute ma raison en tout cas ! »
Encore un silence. Je n’y tenais plus. J’allais raccrocher.
Si je ne pouvais pas la contraindre à parler, alors autant ne pas insister davantage.
« Il faut que tu reviennes, au contraire, Bella, gémit presque Alice que mes paroles avaient troublée profondément, il faut absolument que vous reveniez tous les deux ! Ça fait si longtemps que nous vous attendons… ! Mais je ne veux pas que tu t’affoles avant d’être là…
_ Alice ! »
Ce coup-ci, j’avais hurlé.
Alice comprit qu’il lui fallait continuer. Elle ne pouvait plus rien éviter.
« Bella… tes enfants… »
Je fermai les yeux. Oh, non ! Que pouvait-il y avoir de pire !
Mon corps et mon esprit se vidèrent de leur substance, tandis qu’Alice continuait pourtant, de plus en plus paniquée.
« Il est arrivé… quelque chose… à tes enfants… et… »
C’en était trop.
Laissant glisser le combiné de mon oreille, comme hypnotisée, je m’apprêtai à raccrocher.
Je n’aurais pas dû insister. Je ne voulais pas apprendre une pareille nouvelle par téléphone. Je préférais ne plus rien entendre du tout.
La voix d’Alice, métallique et irréelle, s’éloignait.
« S’il te plaît, Bella, non !... Ne… »
Mais mon esprit, violemment heurté, presque mutilé, s’était complètement fermé.
Je n’entendais plus, ne voyais plus. Je ne pensais plus à rien.

Quand Edward me rejoignit, je n’avais pas bougé de la cabine. Quelques personnes attendaient peut-être, mais mon air devait les dissuader de se manifester.
« Que se passe-t-il ? »
Je levai les yeux sur lui. Il était bien réel. Est-ce que le monde continuerait d’être réel pour moi, après ça ? J’espérais que non.
« Nous y allons, tout de suite », lâchai-je.
Ce n’était pas une question. C’était une obligation. Je m’éloignai.
« L’avion ne part que dans une heure, Bella. Mais vas-tu me dire… ?
_ Alors j’irai par mes propres moyens. »
Edward me suivait. Il savait que je ne plaisantais pas.
« Il y a un océan à traverser tout de même… »
Je perçus une pointe d’anxiété dans sa voix.
« Et alors ? Tu crois que je n’en serai pas capable ? »
Je me retournai vers lui. Son regard de miel m’enveloppa. Je le soutins un moment.
J’aurais préféré m’évanouir. Si seulement je le pouvais encore ! Mais cela -cette fuite, cet oubli salvateur- ne serait jamais plus pour moi. Je resterais en pleine conscience, toujours. Toujours…
Je me sentais trahie. Trahie par moi-même. Comment avais-je pu me tromper à ce point ? J’avais été tellement sûre… tellement exaltée. C’était impossible !
« Oh, mon Dieu, Edward… !, m’écriai-je en me jetant dans ses bras, au comble du désespoir. Il est arrivé quelque chose à nos enfants ! »





Chapitre 22 : Au-dessus des nuages/ Over the clouds

Les nuages étalaient en dessous de nous leur mer immense et immobile. Une mer de coton, douce et pâle, aux reflets nacrés de perle.
La clarté argentée de la lune, pleine, énorme, presque bleue, faisait de temps à autre scintiller la surface de cette étendue vaporeuse, aux formes moelleuses et fantastiques. Tout était gris et bleu, dans la lumière, violet dans l’ombre. Nous filions dans la nuit silencieuse. Je ne pouvais détacher mes yeux de cette mer de nuages. Mon esprit était comme sourd. J’étais hors de moi-même, hors de l’appareil qui nous transportait, perdue quelque part. J’étais un souffle d’air glissant sur les formes impalpables de la nuit.
Je n’étais plus rien.
J’avais éteint toute pensée.
C’était la manière qu’avait trouvée mon esprit pour tolérer cette attente insupportable qui m’était imposée. Il avait coupé court à la douleur, à l’angoisse, au délire qui auraient pu me prendre. Il avait résolu de se taire, et de s’oublier, afin que passe le temps, simplement.



Avant que notre avion ne décolle enfin, Edward et moi étions restés aussi muets l’un que l’autre. Nous tenant par la main, fermement, nos regards rivés dans la même direction. Il était inutile de parler, inutile de réfléchir. Comme je l’avais moi-même décidé, mon mari n’avait pas jugé décent de chercher à rappeler Alice, ou qui que ce fût à Forks. Nous rentrions. Nous saurions. Questionner, découvrir, et avoir connaissance à l’avance de ce qui nous attendait réellement là-bas n’avait pas de sens. Et peut-être ne serions-nous jamais rentrés, d’ailleurs…
Sans doute avait-il rapidement analysé les choses et, avec la sensibilité et l’intelligence qui le caractérisent, les avait-il immédiatement comprises. Si un malheur était arrivé à notre famille, il ne m’aurait jamais ramenée chez nous. Il le savait. Comme je savais qu’il n’aurait jamais, lui-même, revu les siens. Il nous restait ce dernier chemin à faire, cette dernière route, totalement inconnue alors qu’elle aurait dû être la plus familière. Et nous la ferions ensemble, cette route du retour…
Nous étions ensuite montés dans l’appareil, comme des automates, comme des fantômes. Si pâles, si étranges que personne n’avait vraiment osé nous dévisager. Sans autres bagages que nos petits sacs, habillés de nos vêtements usés, et pourtant si particuliers et fascinants… nous avions dû donner un bien insolite spectacle ! Mais nous nous étions peu souciés qu’on puisse soupçonner en nous une inquiétante différence de nature, alors. Nous étions coupés du monde des humains autant qu’on peut l’être lorsqu’on n’en fait déjà plus partie depuis bien longtemps, et personne ne parut nous remarquer ni s’intéresser spécialement à nous. Seule, une petite fille avait longuement gardé ses yeux de jade fixés sur moi.
Quand j’avais levé les miens, elle m’avait souri, avec toute l’innocence et la sympathie innées que peut témoigner un très jeune enfant. J’avais essayé, malgré moi, de lui rendre son sourire, mais celui qui avait dû se peindre sur mon visage devait être bien triste, car la petite fille avait soudain pris une mine apitoyée et avait penché son front vers le bras de sa mère comme pour y chercher le réconfort et la tendresse dont je lui paraissais manquer.
La nuit était venue, les passagers s’étaient endormis, et mon être s’était transporté hors de moi, à travers le petit hublot arrondi. Edward tenait toujours ma main.
Des heures durant, des siècles, une éternité… dans ma poitrine vide, dans mon âme absente, l’obscurité s’était répandue. Et le silence.
Il y avait quelque chose de si doux dans ce silence, dans cette absence. Quelque chose de presque réconfortant. Une irréalité. Comme celle d’un rêve. Comment était-ce possible ? Avais-je perdu toute raison ? Est-ce que je rêvais ? Moi qui ne rêvais plus…
Et, comme cela s’était déjà produit quelques fois, le temps se mit à glisser soudain.
Les couleurs se modifièrent, la lune s’effaça.
De l’argent léger, la lumière vira à l’or vif. Elle se déversa comme une poudre incandescente sur le moutonnement des nuages, et tout s’incendia. Les rayons de feu d’un énorme soleil pourpre, vibrant et ondulant dans l’air calme, se déversèrent depuis l’horizon. Ils frappèrent mes pupilles, qui se rétractèrent, sans douleur, mais le souvenir, encore ancré en moi, de ce que j’aurais dû ressentir, me ramena à moi-même. Il faisait jour. Déjà. La lumière caressait mon visage, elle était tendre et tiède, bonne, presque parfumée. Comme une poudre aux légères notes d’iris ou de lait. Je fermai les yeux une seconde. Quand je les rouvris, je constatai que la peau de ma main, posée sur ma cuisse, scintillait faiblement.
Alors je me renfonçai dans mon siège et, baissant le volet du hublot, me retournai vers Edward.

Il me regardait.
Où es-tu, Bella ?
Sa pensée m’appelait.
Je suis là. J’étais loin… J’étais… bien.
Edward fronça presque imperceptiblement les sourcils. Mon aveu l’avait surpris.
C’est incroyable, n’est-ce pas ? Je suis peut-être en train de devenir folle. Pour de bon.
Il passa un bras autour de mes épaules, m’attira contre lui.
Je sais que tu as peur. J’ai peur moi aussi.
Il avait raison. Mais… il y avait autre chose aussi. Quelque chose qui ne me quittait plus depuis que je m’étais retrouvée, en pleine mer, là-bas, flottant à la crête des vagues glacées… Une certitude. Aberrante. Elle ne s’était pas éteinte, depuis. Malgré ce que je redoutais, en dépit de ce que nous venions d’apprendre… et même si nous avions encore trop de choses affreuses à découvrir… Elle était là. Elle… et tant d’autres encore !
Que veux-tu dire ?
Comment expliquer cela ? Il ne devait sans doute s’agir que d’une réaction inconsciente, une manière de me protéger et d’éloigner l’angoisse en la niant. En la remplaçant par tout autre chose… je ne connaissais pas encore tout ce dont la nature vampirique était capable ! Mais cela ne pouvait être que cela… que si peu
J’ai le sentiment, Edward, aussi bizarre qu’il puisse paraître, que cela ne peut pas être aussi mauvais que je le crains. Et pourtant, ma raison me crie, me hurle le contraire. Elle me conjure de ne pas me bercer d’illusions ! Mais… j’ai compris… j’ai senti tant de choses… là-bas… quand j’ai vu mon bouclier… Il m’est apparu que tout était lié, que les choses n’étaient pas vaines… qu’il y avait…. une structure, une raison, une volonté… je ne sais pas comment dire. Et que je pouvais presque la percevoir. Tout me semblait si clair ! Exactement comme lorsque Kaly m’avait permis d’aller parler à l’esprit de… de Jake. La vérité était là, toute proche…
Les prunelles d’or de mon époux sondaient les miennes.
Si tu le sens, Bella, ce n’est peut-être pas un hasard…
Je savais qu’il voulait avoir foi en moi, et qu’il me soutenait. Comme il l’avait toujours fait. Mais il ne voulait pas non plus que je puisse le lui reprocher ensuite… s’il s’avérait que je me trompais.
Il s’est produit quelque chose… que je ne saurais expliquer. Mais j’ai l’impression que tout se démêle… que tout a toujours été évident, sans que je sois jamais capable de le voir. Par exemple…
Je voulus prendre quelques secondes pour réfléchir. Rassembler les idées qui avaient jailli en moi, nombreuses, tellement que je les avais simplement senti fuser sans pouvoir les appréhender entièrement, lorsque je m’étais enfin retrouvée face à ce que j’étais… face à ce moi-même projeté en miroir sur le firmament polaire. Edward inclina légèrement la tête, il m’écoutait.
Par exemple… tout s’est imbriqué… comme si on avait soudain levé un voile. J’ai repensé à mes rêves. Ceux que j’avais pu faire, il y a longtemps, dont j’avais parlé avec Carlisle. Ils étaient tellement exacts, en fait ! Ils me disaient tout, me montraient tout ! Comme si la vie, l’existence-même, le monde… savaient.
Edward acquiesça.
Tu es capable de capter cela, Bella. C’est ce que mon père avait supposé.
Effectivement, Carlisle avait immédiatement émis cette hypothèse.
Mais nous nous sommes trompés, Edward. Nous nous sommes trompés tous les deux concernant le sens de ce que j’avais pu voir et éprouver. J’avais eu la vision claire de l’endroit où se trouvait Leah… de ma robe de mariée… je savais même que je serais enceinte ! Et jusqu’à ces images que l’enfant a projetées dans mon esprit avant de s’éteindre !... J’avais aussi vu Jane et Giacomo, Edward. Et j’avais vu la mort de Jacob ! Tu te rends compte ? Mais cela, c’était tellement plus confus… pour la seule raison que je ne voulais pas me l’avouer ! Et tout s’est pourtant passé exactement comme je l’avais pressenti.
Edward resserra ses doigts autour des miens.
Tu ne pouvais pas savoir, Bella. Tu le dis toi-même : ce n’était pas à ta portée.
Il avait raison. Mais je ne cesserais sans doute jamais de me reprocher de ne pas avoir su comprendre… j’étais tellement… inconsciente, tellement limitée, alors.
Mes rêves devenaient pourtant de moins en moins confus, avec le temps. J’y ai aussi croisé le regard de Kaly, l’île, et… bien avant, ils m’avaient annoncé ce que j’allais devenir. J’en suis sûre aujourd’hui. Cette grossesse étrange et monstrueuse que j’avais vécue dans mon premier rêve, cet enfant qui grandissait si rapidement… c’était tout simplement de moi-même qu’il s’agissait. J’ai évolué si vite, grâce au sang de Kaly ! J’ai été une sorte d’hybride pendant un moment… Et, sachant ce que j’allais devenir, je m’inquiétais aussi pour mon enfant, pour nos enfants… Je les voulais immortels, peut-être, différents, forts… Ils le sont. Ils le sont. Et cette petite fille qui était liée à Jake… c’était bien moi. C’était la part de moi qui était pour lui. Celle que je lui ai donnée et qui ne m’appartient plus. Qui a disparu avec lui.
Mon mari me sourit. Oh, comme je l’aimais ! Qui d’autre aurait jamais pu aussi bien me comprendre, avec autant de tendresse et de bienveillance ? Avec qui d’autre aurais-je pu partager ainsi mon être, dans sa plus entière vérité ?
Pendant un moment, j’avais vécu dans la peau de Jake, tu sais… Je l’avais vu errer, perdu. Je voyais à travers les yeux de l’animal qu’il était, je pensais comme lui, jusqu’à ressentir ce qu’un Transformateur peut éprouver lorsqu’il s’imprègne… Eh bien, tout cela aussi, je l’ai ressenti. L’animalité brute, quand je suis devenue vampire. Et puis, plus tard, le désir impérieux de protéger cet enfant qui m’a appelée, alors que nous étions prisonniers d’Anyota… La nécessité de tout lui donner, jusqu’à me perdre, jusqu’à la mort… jusqu’à me détacher de moi-même et de tout ce qui avait jusqu’alors fait mon monde. Et c’est ce qu’il s’est passé, Edward. J’ai changé d’univers…
Mon compagnon avait fermé les yeux. Il suivait ma pensée avec beaucoup d’attention, et il comprenait que ce que j’expliquais sonnait juste. Un sentiment de confiance profonde émanait de son être, sous-tendu par une certaine exaltation, telles que je pouvais moi-même les ressentir, face à ce que mon don me permettait de comprendre, et à l’idée de ce qu’il me permettrait peut-être de découvrir ou d’accomplir à l’avenir. Mes idées se bousculaient à présent, il y avait tant d’événements qu’il me semblait pouvoir élucider, tant de sensations, revenues du passé, qui avaient eu une signification, qui m’avaient raconté des choses alors incomprises de moi !
Et ce n’est pas tout, Edward… ce sentiment que j’ai pu éprouver, si violemment, à plusieurs reprises, cette conviction qu’il y avait un enfant, un être, ou plusieurs… à protéger… il me semble vraiment que ce n’est pas fini et que…
Je fus soudain interrompue par l’annonce, faite depuis la cabine de pilotage, de notre prochain atterrissage à Seattle. Cette nouvelle me fit l’effet d’un coup de fouet. Le monde redevenait concret. Réel, si réel ! Mes pensées repartirent se perdre, quelque part au fond de moi. Il me fallait me préparer à faire face. Face… à tout ce qui nous attendait, là, tout près. A Forks. Chez nous.

Dès que nous eûmes quitté l’appareil, je fus frappée de la familiarité, doublée d’une radicale étrangeté -car tout n’était plus vraiment pareil- qui m’entourait. Familiarité de l’air, de la lumière pâle et humide, des odeurs. Les parfums de la ville et, derrière eux, les effluves marines et celles des forêts, des grandes forêts que je connaissais si bien !
L’été n’était pas tout à fait fini encore, mais l’on pressentait déjà l’approche de l’automne. Nous étions en septembre. Le 18 septembre, très exactement, comme j’avais pu m’en rendre compte lorsque nous avions rejoint la civilisation, la veille, à l’aéroport de Wellington. Cela faisait donc un peu plus de trois ans… Trois ans déjà ? Trois ans qu’Edward et moi nous étions mariés. Et pourtant, que cela était dérisoire, trois années ! Ce moment de notre existence m’apparaissait comme d’un autre âge, d’un autre siècle. C’était une autre vie. Oh, oui ! Une autre vie, très certainement.
Bouleversés comme nous l’étions, nous n’avions même pas songé à l’évoquer, cet anniversaire. Ni même le mien. A quoi cela rimait-il à présent, de toute manière ? Et puis il est des moments où l’idée-même de la célébration perd son sens. Nous avions perdu la notion du temps, nous n’étions plus assez humains, nous avions vécu en dehors de toute société pendant trop longtemps pour songer à nous souvenir de cela… et nos préoccupations nous avaient de surcroît ravi toute mémoire.



Il faisait une petite pluie fine, une bruine, qui brouillait l’horizon blanc et gris. L’atmosphère était lourde. Au contact de cette eau légère, fraîche et métallique, tout mon corps -et mon esprit avec lui- se tendait, se contractait, vibrait. A la fois dense et fébrile. Comme prêt à entrer en ébullition. Il fallait… il fallait…
Nous n’avions plus un instant à perdre.
Les moyens de transports ordinaires ne nous étaient plus d’aucune utilité pour le moment. Nous sortîmes rapidement de la ville, puis nous nous mîmes à courir, invisibles à tous malgré l’affluence, en direction du nord. Le plus rapide, pour nous, était de nous rendre d’abord à Edmonds, où nous pourrions prendre le ferry qui nous conduirait (même s’il nous faudrait alors patienter une bonne trentaine de minutes à son bord), jusqu’à Kingston. De là, nous emprunterions le pont flottant du canal Hood, puis nous rejoindrions Forks, en coupant directement à travers la forêt d’Olympic, enfin libres d’aller à notre rythme.
La course nous permettait également de nous focaliser au maximum sur notre but unique : atteindre notre destination le plus rapidement possible. Elle nous obligerait à garder une certaine vigilance, nous évitant, dans une certaine mesure, de céder totalement à l’angoisse qui nous vrillait le corps et l’âme.
En effet, la traversée du Puget Sound fut particulièrement pénible. Plusieurs fois, je me demandai s’il ne nous aurait pas mieux valu la faire par nos propres moyens et, quand nous débarquâmes enfin, je me rendis compte que je n’y tenais réellement plus. Ma vitesse était encore bien supérieure à celle qu’Edward pouvait atteindre, et je m’efforçais, malgré tout, de ne pas le distancer. Une fois dans les bois, nous n’eûmes plus à nous soucier d’éviter la circulation et les êtres humains qui s’étaient jusqu’alors trouvés partout sur notre route. Notre sens de l’orientation, inhérent à notre nature vampirique, nous guidait plus sûrement que la plus précise des boussoles. Je savais très exactement dans quelle direction me rendre. Plein Ouest. Puis, très légèrement, au Nord.
Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la façade occidentale, je percevais d’ailleurs, dans cette forêt, de plus en plus nettement, et peut-être parce que je l’avais recherchée et m’y montrais attentive, la présence lointaine des Transformateurs quileutes. L’odeur, très particulière -assez semblable, par certains aspects, à celle des ailuranthropes africains que nous avions côtoyés, mais également plus boisée, musquée, et certainement moins suave- s’intensifiait progressivement. Une odeur… de loup… surnaturelle. Elle semblait vouloir me maintenir à distance. Elle m’avertissait, de très loin déjà. Puis ce ne fut plus une mais des odeurs. Je les captais, puis elles disparaissaient, et parfois même je détectais leurs particularités, selon qu’elles appartenaient à des individus différents, qui s’étaient aventurés, çà et là, il n’y avait pas bien longtemps.
Finalement, la forêt s’éclaircit autour de nous.
Alors, je sus que nous étions parvenus au terme de notre voyage.

Une route apparut devant nous, que je reconnus instantanément. Dès lors, je filai sans plus attendre en direction de la villa des Cullen.
Quand sa silhouette blanche se découpa soudain entre les arbres, j’eus un ultime sursaut d’appréhension et de détresse. Mais rien ne pouvait plus m’arrêter désormais. Je ne marquai qu’une courte pose sur le perron et ma main se posa sur la poignée alors qu’Edward apparaissait, à ma droite, encore tout au bout du chemin.
Je pénétrai à l’intérieur. Comme tout était resté si… semblable ! Malgré quelques petits changements que je remarquai immédiatement. Tout était demeuré… là. Si rassurant, calme et presque trop réel.
Je remarquai qu’une présence se rapprochait de moi, descendant l’escalier. Cette présence avait aussi dû sentir que j’étais là. Elle hésitait. Alors, je demandai :
« Il y a quelqu’un ? C’est… moi. Bella. »
En un éclair, Alice fut près de moi. Elle me serrait déjà contre elle. Si soudainement, que j’aurais pu réagir avec surprise et plus vivement. Mais elle ne s’en était pas souciée -ou bien me faisait-elle entièrement confiance ?-, et puis c’était Alice… je l’avais reconnue. Alice…
Jamais je n’avais autant eu l’impression qu’elle n’était qu’une enfant. Si petite, si fragile. Et elle sentait incroyablement bon. Un parfum sucré de réglisse, d’ambre… légèrement citronné.
« Oh, Bella… Bella… que je suis heureuse ! »
Edward était là, lui aussi. D’abord immobile dans l’encadrement de la porte ouverte, il fit ensuite quelques pas vers sa sœur. Elle se détacha alors de moi et ouvrit les bras pour l’accueillir.
Ces marques d’affection, cette attitude fraternelle, amicale, familiale, dont j’avais si longtemps été privée, me bouleversèrent plus que ce à quoi j’aurais pu m’attendre. L’émotion me submergea, et je fus emportée, sans plus pouvoir rien y faire.
« Alice !, explosai-je d’un coup. Mes enfants ! Dis-moi ce qu’il est arrivé à mes enfants ! »
Se retournant instantanément vers moi, mon amie s’empressa de répondre sur un ton subitement très différent. Il me sembla qu’il traduisait un certain affolement.
« Oh ! Bella… calme-toi. Il n’y a pas… tout va… J’avais vu que cela se passerait comme ça ! Je ne savais pas comment… »
Le regard d’Edward était posé sur sa sœur. Il la dévisageait, presque… Etait-il inquiet ? Il lisait ses pensées ! Je devais parvenir à comprendre. Je devais rappeler le sentiment qui me connectait à mon mari… Je savais le faire… Je…
A travers l’esprit d’Edward, par bribes (car je n’arrivais plus à dominer tout à fait mes sentiments), les visages de Sarah et Karel m’apparurent. Ils avaient tellement changé ! Je compris qu’ils n’étaient pas dans la maison. D’ailleurs, aucune odeur reconnaissable ne témoignait de leur présence. Où étaient-ils ?... Je vis aussi… une petite chambre, un petit salon… Billy.
« Ils sont à la Push ! », m’écriai-je.
Et déjà, je me ruai à l’extérieur.
« Quoi ? Mais comment ?..., entendis-je Alice s’exclamer. Non, Bella, attends ! Il faut que…
_ Bella ! », appela Edward à son tour.
Mais j’étais déjà partie.
« Préviens Carlisle ! », cria-t-il à l’adresse d’Alice, et ses paroles moururent dans le lointain.
Il dit encore autre chose, mais je n’étais plus en mesure de percevoir le sens de ses propos.

Mes enfants, j’allais revoir mes enfants ! Ils étaient en vie… Mon sentiment ne m’avait donc pas trompée ! L’espoir renaissait dans tout mon être. Et la joie. Ma joie de mère. Cela faisait si longtemps… trop longtemps. Je devais les serrer contre moi, constater à quel point ils avaient grandi, m’assurer que tout allait bien… Ils n’allaient sans doute pas me reconnaître. Il faudrait leur réapprendre. Peut-être se souviendraient-ils ?... Quelque chose de tellement intime les liait à moi ! J’étais leur mère. Ils étaient nés de mon corps, de mon amour… Oui, mon amour me rappellerait à eux. Mon amour me les rendrait. Et je ferais tout…
A la surface de mon bouclier, je sentis alors qu’Edward venait de s’élancer, à ma suite, en direction de la réserve quileute.

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !