dimanche 15 novembre 2009

A propos des chapitres 32-33-34-35-36 : inspiration


Bella is in shock and dispair. She keeps with Jacob's body watching the Cullen burning Jane's remains. Seth and Sam ask her to let them carry him to La Push. She keeps the woolf's heart Giacomo pulled out with her, because she feels she must bring it back also. Then, as a symbol, she drops it by the cliff she jumped before when she was depressed by Edward's breaking-off and where Jacob rescued her. Seth explains the big woolf's body will be burnt, at twilight time, next day. Billy is angry with the vampires and Bella. However she attends to the funeral ritual with Carlisle Cullen. Just after it, she beleives to see a strange woolf in the woods. Carlisle drives her back home. She rests a little then decides to go back to La Push to figure out if this woolf she dreamt about a few time ago is real or not. When she goes there, she has again the vision of this woolf, and it reveals to be carrying Jacob's spirit. Bella cant' beleive that's real, but she's happy to see him again and they talk : he tells her their souls are bound together and he keeps with her. But he's quite different. Bella realizes she has lost Jacob's love forever.

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C'est Edward qui fait à Bella, dans ce chapitre, les révélations lui permettant de comprendre le comportement que lui et Jacob ont pu avoir auparavant. Un moment, on pense qu'Edward a "gagné", qu'il a fait en sorte que tout ce qu'Alice avait vu se produise afin de garder Bella pour lui seul. Son attitude possessive envers Bella semble s'exprimer ici de manière monstrueuse... puis on découvre, avec Bella, les intentions de Jacob. Avoir un enfant avec elle était ce qu'il y avait de plus important pour lui. Edward a respecté la volonté de Jacob, parce qu'il savait ce que ce dernier risquait -et peut-être a-t-il choisi de le laisser être heureux un moment- mais aussi parce qu'il aime Bella par-dessus tout et qu'il souhaite qu'elle vive sa vie d'humaine, ce qui, pour lui, est sacré. Edward a fait de grands sacrifices, et il s'apprête à continuer à en faire.


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La crémation fait partie des rites funéraires traditionnels des Amérindiens. On peut être reconnaissant à Stephenie Meyer d'avoir attiré l'attention du grand public sur ces peuples, et plus particulièrement sur celui des Quileutes. C'est une bonne chose. On peut regretter cependant qu'elle n'ait pas davantage exploité leurs mythes, rites et traditions. Comme cette histoire de bracelet... (qui est en fait un geste de mariage !)
Par contre... il était assez nécessaire de ne pas se conformer aux rites funéraires anciens... qui sont un vrai calvaire pour la veuve ! On rapporte qu'elle devait rester 9 jours couchée auprès du cadavre (j'ai un peu repris cette attitude à travers celle de Bella) puis qu'on la faisait passer dans le feu, qu'on la harcelait si certains comportements pouvaient lui être reprochés (en ce sens, il me semblait normal que Billy lui en veuille, au moins pour un temps). Les mutilations en signe de deuil étaient fréquentes, également (ce que j'ai essayé de rendre par les gestes de Billy et des Transformateurs).
Néanmoins, les Amérindiens demeurent des peuples fascinants. Par leur beauté impressionnante, déjà, puis par leur croyances, que je continuerai d'exploiter par la suite.


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Dans ce chapitre, rien ne prouve que la vision que Bella a de l'esprit de Jacob est réelle ou non. On la sait capable... de beaucoup de choses. De plus, elle est désespérée. D'autres êtres humains plus communs qu'elle ont fait l'expérience de certains phénomènes d'auto-suggestion, on le sait bien. Cependant, j'ai voulu me montrer logique dans la façon dont lui "apparaît" cet esprit. Il est dans un état d'omniscience et d'ataraxie qui, dans de nombreux mythes, sont l'apanage des êtres spirituels. De la même manière, il se présente comme un "esprit-lié", ce qui est encore conforme à certaines croyances.
Ainsi, il lui révèle (ou le "sait"-elle d'elle-même ?) que les loups, comme d'autres animaux, sont des "Passeurs". C'est encore ce que certains mythes nous racontent, à travers diverses croyances (chamanisme, mais aussi mythologie scandinave, égyptienne ou encore gréco-romaine !). On les appelle des "psychopompes".



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J'ai aussi voulu donner suite à une piste laissée en suspens par S. M. : celle de la parenté d'Embry. Il me semble intéressant de traiter ce sujet.
En attendant... les propos de l'esprit-Jacob laissent planer de nombreux mystères.
Il m'a aussi semblé tout à fait nécessaire d'exprimer la peine et la frustration (car c'en est une !) de Bella face à lui... et à sa disparition. Elle avait souffert de celle d'Edward dans New Moon/ Tentation, qui l'avait profondément transformée et avait permis à Jacob d'"exister", comme il le dit lui-même. Voilà que la situation s'inverse...
Cette frustration est aussi, je m'en doute, celle de certains lecteurs. Je comprends ce sentiment : il conforte l'identification au personnage de Bella et cela me paraît une bonne chose. Cela rend plus "sensible" à l'histoire...

Dans ce chapitre, j'ai surtout voulu exprimer avec le plus de justesse possible les différents sentiments qu'éprouve le personnage de Bella. Transmettre des émotions est, bien entendu, un des buts principaux de la littérature... et de l'individu ! J'ai aussi cherché, par son attitude, à montrer sa sensibilité, à approfondir son personnage. Pour moi, Bella a une sorte de "sixième sens" (peut-être en compensation de sa maladresse !) et elle accomplit spontanément des gestes essentiels.


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Pour terminer (sur une note plus rêveuse...) voici un commentaire explicatif trouvé sur le net :
"La lumière voyage beaucoup plus vite que le son, mais elle n'arrive pas instantanément d'un point à un autre. Les distances sont tellement énormes dans l'univers que les scientifiques utilisent comme unité de mesure les années lumière au lieu des kilomètres heures. C'est la distance que parcourt la lumière en une année. Certaines étoiles sont à des milliers ou des millions d'années lumières de la terre. Donc si on observe une étoile située à 1000 années lumières de la terre, on la voit telle qu'elle était il y a 1000 an, puisque c'est ce temps là qu'il faut à sa lumière pour nous parvenir. C'est pour ça qu'il est possible de voir des étoiles qui n'existent plus."

VOL I _ chpt 32, chpt 33, chpt 34, chpt 35, chpt 36



Chapitre 32 : Sacrifice



Je regardais danser les flammes du bûcher dans l’air humide et frais de cette nuit de septembre…

Jake…

J’avais aperçu, comme s’il s’était agi d’un mirage, les Cullen rassembler rapidement des branches de bois assez sec, en quantité suffisante pour que le feu soit capable de réduire en cendres ce qu’il restait du cadavre de Jane. Quelques débris épars, déchiquetés, qu’il avait fallu ramasser… il ne demeurait plus rien de l’abominable vampire aux traits d’enfant qui avait, en quelques secondes, pris la vie de Jacob Black et, par là même, déchiré et détruit mon âme. Irrémédiablement.
J’étais brisée.
Je m’étais blottie, malgré les suppliques d’Edward, contre la dépouille du grand loup immobile qui formait une longue masse sombre, comme un monticule tranquille, au centre de la clairière. Je ne voulais pas bouger. J’allais rester là. Toujours.

Avec toi.


J’avais couru vers lui dès que mes forces m’étaient revenues, dès que j’avais pu me relever, dès que j’avais cessé de hurler en silence, la douleur effroyable qui déchirait mes entrailles, calvaire qu’aucun cri humain ne pouvait exprimer. Quand j’avais enfin réalisé… L’air ne voulait plus entrer dans mes poumons. J’avais frappé le sol de mes mains, mon front avait touché la terre. Aucun son ne parvenait à sortir de ma bouche. J’aurais voulu me dissoudre, entrer dans le sol, devenir l’herbe et la poussière, ne plus exister, ne plus rien ressentir. Je subissais de plein fouet l’accablement de l’injustice, de l’absurdité, du vide… que tout était vide !

Pourquoi ?

Pourquoi fallait-il endurer cela ? La vie était devenue folle. Elle n’avait aucun sens. Elle n’en avait jamais eu. Edward s’était accroupi près de moi, il n’avait pas cherché à me retenir, n’avait pas osé me relever malgré moi. Il avait posé sa main sur mon dos et avait attendu. Ma tête me faisait si mal…
Je regardais les flammes…
La lumière du feu dansait sur les visages, rouge et chaude. Plus rien ne me réchaufferait jamais. La chaleur avait définitivement quitté le corps du loup et elle avait quitté mon cœur. Celui de Jacob était tout près, dans l’herbe bleue… pas la peine de le chercher du regard, je savais qu’il était là. J’avais vu son meurtrier le lâcher quand il s’était avancé vers moi pour me forcer à me lever. Sa main encore tiède avait saisi ma gorge, je l’avais sentie glisser sur ma peau, à cause du sang.
J’étais avec Jacob à présent, c’était ma place, mes doigts enroulés dans sa fourrure. Edward s’était tenu près de moi un moment, puis, quand il avait compris que rien ne me ferait bouger, il était allé aider les autres, constater l’état d’Alice. Il avait l’air inquiet.

Alice…

Le docteur Cullen était près d’elle. Je voyais leur préoccupation, je les voyais s’affairer, mais il me semblait que plus rien ne pouvait m’atteindre. Une chape de plomb s’était abattue sur mon esprit. Puis Jasper l’avait emmenée, à la villa sans doute. Certains loups étaient partis, à la recherche de quoi ramener la dépouille de Jacob, et pour prévenir…

Oh, Billy !

Comment allaient-ils pouvoir lui annoncer une chose pareille ? Comment supporter… ? Son fils unique ! Je levai une main -celle qui n’était pas agrippée à la fourrure du loup-, écartai mes doigts, considérant un moment les jeux de lumière et d’ombre dans le creux de ma paume, et me couvris les yeux. Les ténèbres. Les ténèbres, le froid et le vide. Je les sentais établir leur empire en moi, sur le monde et sur ma vie. Il n’y avait plus de soleil. Sans lui, rien ne pouvait exister, ni la joie, ni la tendresse, ni l’espoir. Tout allait dépérir et disparaître.
Dans le lointain, quelques voix appelaient ; plus près, le crépitement familier et tristement réconfortant du bois qui brûlait parvenait à mes oreilles assourdies.
Les flammes dansaient…

« Bella ?... »
Une main s’était posée sur mon épaule.
« Bella … »
Je levai les yeux. Un visage sombre d’Indien, sur la peau duquel glissait la lumière déclinante du brasier, était penché sur moi. Je regardai ses cheveux noirs, la forme de sa bouche. Je cherchais…
« Seth…
_ Bella, je suis désolé. »
Sa main glissa sur mon bras, pressa plus fermement.
« Quoi ?
_ Je sais… Ne t’inquiète pas, nous allons veiller sur toi. Sur vous. »
Je le regardais, comme abêtie. De quoi parlait-il ? Ils devaient plutôt… exiger ma mort, en compensation de la perte qu’ils venaient de subir. Un des leurs avait disparu par ma faute ! Un Alpha ! Je l’avais affaibli, attiré, mis en danger… Il fallait me sacrifier sur l’autel de l’innocence et de la pureté bafouées !
« Il faut que tu le laisses maintenant, Bella… Il n’y a plus rien à faire. Nous devons quitter cet endroit. Lève-toi, s’il te plaît. Nous allons le ramener sur notre territoire. »
Seth tirait doucement sur mon bras. Je regardai sa main, son visage. Non, il fallait nous laisser là, tous les deux. Ils n’avaient qu’à partir… Ma tête bougeait de droite à gauche. Non. Non.
« Bella. »
Une autre voix. Une autre grande silhouette brune s’avançait vers nous. C’était Sam. Il posa un genou à terre, ouvrit une main tendue devant lui.
« Il faut te reprendre, souffla-t-il. Jacob ne voudrait pas que tu te laisses aller au désespoir. Il faut te montrer fière. Fière et forte. Tu appartiens au clan des Quileutes, maintenant… Nous serons tous là pour toi. Et toi, tu dois savoir regarder droit devant toi, et avancer. »
Mon corps et mon esprit engourdis refusaient de réagir. Sam ne sourit pas, mais sa voix se fit plus tendre, me sembla-t-il.
« Nous savons tous combien c’est dur pour toi mais… Billy attend. Lève-toi, et laisse-nous lui apporter le corps de son fils. »
A mes côtés, je perçus soudain la présence d’Edward. Il ne dit rien. Il me regardait. De toute sa hauteur, il toisait les deux Indiens penchés vers moi. Il était mon époux, les Quileutes ne devaient pas l’oublier. Je sentis ses doigts se poser sur mes cheveux, les caresser doucement.
Il fallait… ? Il fallait. Alors je saisis la main de Sam.
J’étais debout. Mon corps était aussi dur et lourd que du béton. Tous les Transformateurs se mirent en devoir de glisser, sous la dépouille du grand loup rouge sombre, de quoi pouvoir le transporter jusqu’à la réserve. Il fut soulevé. Je vis glisser une large patte inerte sur laquelle je posai la main.
Puis ils s’éloignèrent.
« J’y vais aussi », déclarai-je à Edward.
Il hocha la tête.
Je fis quelques pas, chancelai. Il me retint. Il était là, toujours. Il était là, malgré tout. Il serait toujours là.
« Aide-moi, il faut… »
Je retirai ma veste, mon pull et mon t-shirt. J’avais besoin de ce dernier. Ensuite, je me rhabillai rapidement.
Le feu s’éteignait doucement, en sifflant sous l’effet de l’humidité ambiante. J’avançai encore. Jusqu’à-ce que la forme brune que je cherchais soit à mes pieds. Je me baissai vers elle, l’enveloppai dans mon t-shirt, précautionneusement, et la soulevai, la serrant contre moi. Il fallait que je le fasse, peu importait... En fait, plus rien ne m’importait.
« Allons-y. »
Edward acquiesça.
« Ils ne l’amènent pas chez lui, expliqua-t-il, ce n’est pas possible. Ils vont le laisser dans la forêt de la réserve. Il y a un arbre…, d’après ce que j’ai compris. Billy veut procéder à une cérémonie funéraire particulière étant donné que… Jacob ne peut pas être enterré comme un humain. Elle aura lieu demain soir.
_ Ah ?
_ Je suis désolé de te demander ça mais… qu’est-ce que tu comptes faire de… ?
_ Je ne sais pas. Je crois… je crois qu’il faut… il ne faut pas le laisser ici, en tout cas.
_ Tu as raison », conclut Edward en posant tendrement sa main sur ma nuque.
Tout le monde avait disparu. Il ne restait plus que nous deux. Elle allait être longue, pour moi surtout, cette marche du retour…
Néanmoins, sous la lumière glacée de la pleine lune qui figeait chaque chose, nous reprîmes le chemin de la Push.



J’avais parcouru la forêt en somnambule, guidée par Edward, nous n’avions rien dit. L’air de la nuit, les senteurs de la forêt, les bruits, l’obscurité, tout m’était indifférent. J’avançais simplement. Il me semblait que j’avais mille ans tout à coup. Mon corps douloureux de s’être trop contracté ne pouvait l’être davantage… il l’était tant que je ne le sentais même plus. Il était vide. Je serrais désespérément contre moi la forme enroulée dans mon t-shirt : elle était la seule chose qui avait de l’importance. Moi, je n’étais là que pour la porter, pour en prendre soin, comme d’une précieuse relique.
Quand nous parvînmes à La Push, nous nous dirigeâmes vers la maison de Billy. On pouvait y voir de la lumière. Des silhouettes, assez nombreuses, étaient massées devant. Les Quileutes, malgré la charge qu’ils portaient, nous avaient devancés. Le corps du loup n’était pas avec eux.
Comme nous approchions, je m’aperçus qu’ils parlaient à voix basse. Certains devant la maison, d’autres près de la porte d’entrée. Je distinguai une silhouette plus basse que les autres, un fauteuil… Avant que nous ayons rejoint le groupe, le silence se fit, les discussions étaient terminées. Je vis le fauteuil de Billy pénétrer dans la maison par la porte entrebâillée d’où fusait une lumière orange. J’étais là, devant lui, je voulais… je ne savais… Il pivota pour saisir la poignée. Je ne pouvais voir l’expression de son visage. Cependant, je sentis que le regard du vieil Indien se posait sur moi, hésitait… puis il glissa, et la porte se referma sans un bruit.
Je fus submergée par un intense sentiment de honte et de culpabilité. Je baissai la tête.
Quelques secondes passèrent, qui me parurent une éternité. A nouveau, une phrase se mit à tourner en boucle dans mon esprit, toujours la même. Elle m’avait suivie dans la forêt, depuis la clairière. Elle ne me quitterait plus, sans doute.
Jacob n’aurait pas dû mourir, c’était moi… moi qui devais disparaître cette nuit !
« Bella ? »
Seth se tenait à côté de moi.
« Je vais vous ramener chez les Cullen, si tu veux bien, j’ai proposé à Edward et…
_ Ah ? Oui, c’est gentil, Seth… »
Je ne pouvais détacher mon regard de la porte par laquelle le père de Jacob venait de disparaître.
« Quelqu’un reste avec Billy ?, m’inquiétai-je soudain.
_ Il ne veut personne… mais Sam et Paul vont rester ici, au cas où.
_ C’est bien. Où… où allez-vous mettre Jacob ?
_ Eh bien… Pour le moment, la dépouille est dans la forêt, à l’abri, et puis demain soir… nous la brûlerons.
_ Quoi ? »
Je tournai vers lui un visage incrédule. Le sien prit une expression rassurante. Il avait beau être très jeune, Seth était également un garçon très mature et responsable, tous les Transformateurs l’étaient, au fond.
« Cela n’a rien d’anormal, Bella. C’est ce que nous faisions avant… ce sont nos traditions. Dans le cas présent, c’est ce qu’il y a de mieux.
_ Vous allez faire ça, ici ?
_ A l’entrée de la forêt, sur les rochers qui surplombent la mer, oui. Puis les cendres seront enfouies au pied de l’Arbre aux Ancêtres. C’est ce que Billy a décidé, et nous pensons tous qu’il a raison. »
Je hochai la tête.
Edward s’était approché, il avait posé un bras autour de mes épaules.
« On y va ?, demanda Seth.
_ Oui, mais… vous voulez bien m’attendre un moment, s’il vous plaît ? Je dois… j’ai quelque chose à faire.
_ Bien sûr… »
Immédiatement, je tournai les talons. Je sentis le bras d’Edward qui glissait de mes épaules. Leurs regards me suivaient, inquiets peut-être. Je savais où j’allais. C’était là que je devais me rendre.

Je traversai le village de la Push. Tout était immobile et silencieux. Mes jambes me portaient d’elles-mêmes et vite, sans que j’y songe vraiment, sur cette route que je connaissais bien.
La falaise…
Je ne sais combien de temps il me fallut pour l’atteindre, mais, bientôt, je sentis l’humidité et le sel de la mer toute proche sur mes lèvres et mon visage, je percevais le roulement des vagues, le grondement sourd de l’océan dans la nuit déjà plus claire au-dessus de la forêt, derrière moi. Le jour allait bientôt se lever.
C’était de là que j’avais sauté. Cela me paraissait loin, si loin maintenant. A présent, j’avais l’impression d’être quelqu’un d’autre. De ne plus être personne. Le lieu semblait m’avoir appelée, depuis que je m’étais trouvée devant chez Billy, le lieu voulait que je vienne me pencher sur mon passé un moment, car c’était là que j’avais failli mourir… que j’aurais dû mourir, si Jacob ne m’avait pas secourue. J’avais échappé à la mort si souvent ! Trop, certainement. La vie voulait-elle que je comprenne quelque chose ? Avais-je pris le mauvais chemin ?
Je levai mon visage vers l’horizon encore noir des vagues écumantes. L’air frais de l’océan caressait mon visage ; dans mes oreilles, le bourdonnement de mon sang murmurait des paroles indéchiffrables. J’inspirai profondément. Je m’avançai davantage, jusqu’au bord de la falaise. Je l’avais déjà fait, il ne m’était pas difficile de le refaire. Rien ne pouvait plus me donner le vertige. Un autre pas, j’y étais. Mes bras se serrèrent autour de ce que mes mains retenaient et refusaient de lâcher. On m’avait pris tout le reste !
Non. Arrête, tu es stupide. Cela suffit, maintenant.
Si le danger arrivait encore, si ma vie se trouvait menacée, Jake reviendrait-il me sauver ? Je l’avais déjà fait, lorsque Edward m’avait quittée, me laissant dans une souffrance telle que ma raison avait failli chanceler… peut-être pouvais-je le refaire encore ? Au-delà du silence et du vide, au-delà de l’absence… je saurais le ramener… si je le voulais… Créer l’illusion, au moins. J’avais tant besoin de lui ! Il me suffisait… il m’avait dit qu’il serait toujours là pour moi.
Jacob a juré.
Tu te mens.
Je sais. Mais je l’ai déjà…
Laisse-le, maintenant. Fais ce pour quoi tu es venue.
Oui.
J’inspirai à nouveau profondément et parvins à décroiser mes bras, crispés sur ma poitrine. La boule que formait mon t-shirt reposait dans mes mains. Alors, prenant appui sur mes pieds, de toute ma force, de toutes mes dernières forces, si douloureuses à mobiliser que j’en poussai un cri, je la lançai, le plus loin que je pus en direction de la nuit liquide qui s’étendait devant moi. Je ne vis pas sa trajectoire, je ne la vis pas disparaître, ma vision était brouillée de larmes chaudes qui roulèrent instantanément le long de mes joues. Pendant quelques secondes, je criai. Je criai de rage contre le sort qui nous avait été fait. Contre ce que le destin avait résolu pour Jacob. Ma peine et ma colère ne faisaient qu’un.
Lorsque je me tus, je me sentis étrangement apaisée. Comment pouvais-je ressentir un tel soulagement ? Je léchai les larmes sur mes lèvres, essuyai mon visage.
A cet instant, l’odeur m’apparut. Le parfum. C’était comme si l’odorat me revenait soudain après que je l’aie perdu sans m’en rendre compte. Une odeur douce et familière. Celle de la nuit, de la mer et de la forêt toute proche. Le goût de l’aube, aussi… celui de l’herbe, de la terre et des fruits sucrés, venu de nulle part, semblait pénétrer mes narines et couler jusque dans ma gorge. Sur ma peau, je sentais la chaleur douce d’un soleil… qui ne se montrait pas encore. Un réconfort. Un bien-être absurde.
Ce n’était pas un apaisement. Je perdais tout bonnement l’esprit !
Alors, je m’enfuis. Je m’enfuis à toutes jambes, en direction du village, de Seth et d’Edward qui m’attendaient.

Seth nous reconduisit à la villa. Durant le trajet, personne ne dit un mot. Mes yeux glissaient, à travers la vitre, sur les arbres et le paysage qu’éclairait à présent la pâle lumière du jour. Quand nous fûmes arrivés, au lieu de quitter le véhicule, je me penchai vers le jeune Quileute.
« Seth, dis-moi… je dois savoir… Que s’est-il passé ? Pourquoi Jacob est-il venu seul ? »
Le timbre de ma propre voix, plus grave et assourdi que d’ordinaire, me surprit. Elle était cassée. Ma gorge me brûlait.
Edward tourna légèrement son visage vers moi. Seth coupa le moteur et pivota dans ma direction. Il paraissait vraiment peiné, tout à coup. Il leva vers moi un regard de petit garçon au bord des larmes.
« Je lui ai dit, Bella… Je lui ai dit d’attendre. Mais il n’a rien voulu savoir ! Il pensait que Sam refuserait certainement de venir, mais il souhaitait que je le prévienne quand même. Pourtant, quand j’ai compris, quand j’ai vu… je l’ai assuré du contraire ! J’ai essayé, j’ai… tenté tout ce que j’ai pu, mais il m’a ordonné… j’ai fait ce qu’il demandait. Il était affolé et il s’est précipité sans rien écouter.
_ Est-ce que tu sais si… c’est lui qui m’a appelée sur mon téléphone portable ?
_ Oui. Il a entendu ce qu’il se passait et il est venu directement chez nous. Il avait transmuté alors je me suis transformé aussi. Là, j’ai tout compris. Dans mon esprit, il a vu la cabane, l’endroit où elle se trouve. Je l’ai découverte, il y a quelques jours, comme tu m’avais demandé… Cela faisait des semaines que Jacob ne s’était plus changé avec nous. La meute… nous n’avions rien remarqué, rien soupçonné. Il était devenu plus solitaire. Il nous semblait juste très préoccupé par toi, par ce qui… est arrivé à ton père. Si tu savais comme Sam était désolé quand il a appris ! Il s’en veut de sa réaction, de ce qu’il a pu lui dire… Il le comprend mieux que ce que Jacob pouvait croire. Sam n’a pas hésité une seconde quand il a vu qu’il s’agissait de défendre l’avenir de notre clan.
_ Tu sais, Seth… Je crois que Jake l’a fait exprès.
_ Quoi ?
_ De venir seul. Il ne voulait pas vous mettre en danger. Il ne voulait pas… pousser Sam à risquer sa vie. Il me l’avait dit. »
Seth parut davantage bouleversé encore.
« Leah était avec vous ?
_ Non. Nous avons senti sa présence quand nous étions déjà en route, dans la forêt. Nous avons été surpris de nous rendre compte qu’elle avait transmuté. Elle m’avait juré qu’elle ne se changerait plus jamais… Mais elle était loin… Elle refusait de nous parler. Elle essayait de fermer son esprit et répétait juste Laissez-moi tranquille, laissez-moi tranquille ! Elle avait l’air terrifiée de découvrir que nous étions là et que vous aviez besoin d’aide. Nous avons vu des choses… que nous n’avons pas comprises. L’esprit de Leah est devenu très résistant, très indépendant. Sam nous a demandé d’essayer de nous détacher d’elle, puisqu’elle le souhaitait.
_ C’est toi qui as prévenu les Cullen ?
_ Non. Le temps que je parle à Sam, ils étaient là. Ils sont tous venus à La Push. »
Mon regard se posa sur Edward. Comment avaient-ils su ? J’avais cru que Seth était allé les chercher.
« Jacob a appelé, chez nous, expliqua Edward dans un souffle. Il m’a demandé d’aller chercher les autres, de nous rendre chez Sam. Il m’a recommandé… d’être prudent aussi. »
Je comprenais l’attitude de Jacob. Oh, oui ! Je la comprenais parfaitement. Il avait eu peur de ce qu’il pouvait se passer. Son rêve l’avait perturbé. Il avait eu peur de lui-même, et de ce qu’il avait vu. Il avait cherché à protéger tout le monde, tout en sachant qu’il aurait sans doute besoin de renfort. Ou que j’en aurais besoin… Qu’avait-il décidé au juste, qu’avait-il imaginé ?
Ainsi, il avait lui-même prévenu Edward !
« Bella, reprit Seth dont la voix tremblait légèrement à présent, Jacob m’a dit une dernière chose avant de disparaître… quelque chose que je n’ai pas compris sur le coup…
_ Quoi, Seth ?
_ Il … il m’a juste dit… qu’il voulait que je prenne soin de toi. Comme s’il… comme s’il avait pensé… »
Je posai ma main sur l’épaule de Seth qui faisait, de toute évidence, de gros efforts pour éviter de se mettre à pleurer. Je savais combien il aimait Jacob et combien il appréciait Edward. Il fallait le laisser aller se reposer, reprendre ses esprits. Lui aussi en avait besoin.
Alors que nous quittions la voiture, Carlisle sortit de la villa et vint au-devant de nous. Comme toujours, son attitude était des plus bienveillantes. Seth renifla et se frotta le visage.
« Venez, proposa le médecin avec douceur, entrez ! Nous nous demandions tous où vous étiez. Seth…
_ J’y vais, docteur Cullen, répondit le jeune Indien en reniflant encore, mais sur un ton qu’il voulait très assuré.
_ Pourrais-tu demander à Johnny Randall de venir ici un de ces jours ?, demanda Carlisle. J’aimerais beaucoup le rencontrer. Ta sœur est aussi la bienvenue, même si je sais qu’elle est très méfiante à notre égard. Je voudrais leur parler, et peut-être serais-je être utile… s’ils le souhaitent, bien entendu.
_ Je transmettrai, acheva Seth en redémarrant. »
Puis, sur un petit signe de la main, il s’éloigna.





Chapitre 33 : Résignation

Quand il eut disparu, Carlisle se tourna vers moi et posa affectueusement une main sur mon épaule.
« Bella…, ses yeux dorés scrutaient les miens, comment te sens-tu ? »
Son ton exprimait une préoccupation certaine.
_ Je vais bien, docteur Cullen, ne vous en faites pas pour moi.
_ Je ne m’en fais pas que pour toi, Bella… Tu as eu beaucoup d’émotions fortes, tu es choquée… Il va falloir te reposer… vraiment.
_ Oui, je vais le faire, ne vous inquiétez pas. »
Edward regardait son père en silence. Je compris qu’il devait lire dans ses pensées. Ses sourcils se froncèrent.
« Entrons, intervint-il en prenant ma main. Je veux voir Alice. »
Je le suivis à l’intérieur de la villa. Alice était dans une chambre, à l’étage. Jasper et Esmé se tenaient près d’elle. Son compagnon caressait son front. La petite vampire brune était allongée, immobile, les yeux clos. Si pâle… Aucun souffle ne soulevait sa poitrine. Son visage et son corps étaient figés. Elle m’évoqua un gisant de pierre. La statue d’une fée endormie.
« Elle n’a pas repris conscience depuis que Jane a utilisé son pouvoir, déclara Jasper. J’essaie de la réconforter, nous ne savons pas ce qu’il lui arrive. »
Mon regard chercha celui d’Edward.
« Elle n’est pas… morte, Bella, ne t’en fais pas. Elle est juste… évanouie. Son corps est toujours souple. Mais Carlisle ne peut rien faire. Il n’y a pas vraiment de moyen de réanimer un vampire. Normalement, nous ne perdons jamais conscience. »
Je m’approchai d’Alice, m’assis près d’elle, lui pris la main. Son contact était très froid, mais, effectivement, ses doigts restaient souples et légers malgré leur pâleur mortelle.
Jasper se leva.
« Je vais… prendre un peu l’air », déclara-t-il.
Le docteur Cullen et son épouse le suivirent. Sur le moment, je me demandai comment Jasper pouvait quitter, n’était-ce qu’une seconde, celle qu’il aimait, puis je réalisai.
« C’est ma présence qui le met mal-à-l’aise, Edward ?
_ Oui, un peu. Il est nerveux, et puis… tu es couverte d’un sang dont l’odeur est encore assez écoeurante pour nous, alors que le parfum de ton propre sang est, lui, très perceptible et très fort, à cause des émotions que tu as eues. Pour un vampire… c’est difficile à supporter. Vraiment perturbant. »
Je considérai Edward. Son visage demeurait impassible, ses yeux rivés sur celui de sa sœur. Je comprenais son anxiété. Mais sa voix était douce quand il s’adressait à moi.
« Tu supportes, toi ? »
Il sourit.
« Je fais du mieux que je peux. »
Un instant, je me fis la réflexion qu’Edward était décidément admirable. Soudain, les derniers mots de Seth s’imposèrent à mon esprit.
« Edward… ce n’est pas fini, n’est-ce pas ? Les Volturi vont revenir, dès qu’ils apprendront… Ils voudront venger la mort de Jane.
_ Je ne pense pas qu’ils le sauront de sitôt.
_ Mais… Giacomo s’est enfui ! Il va les prévenir !
_ Giacomo n’est pas un Volturi.
_ Quoi ?
_ J’ai lu beaucoup de choses dans son esprit quand il a pris la décision de s’enfuir… et avant aussi, quand nous sommes arrivés et qu’il te tenait contre lui. J’ai vu… »
Edward hésita.
« Parle, Edward, ne cherche pas à m’épargner.
_ Il avait une furieuse envie de boire ton sang. Il aurait vraiment préféré ça au fait de devoir te tordre le cou ! C’est un vampire assez cruel, un mercenaire recruté par Jane, il y a quelques semaines. Elle le fascinait… et lui faisait peur en même temps. Elle lui avait promis de le récompenser en faisant de lui un des leurs. Et il y avait cru ! Mais quand il a commencé à vouloir partir… j’ai entendu ce qu’elle pensait à son sujet. C’était assez expéditif. Quant à Giacomo, sa dernière résolution a été de disparaître. Il va se faire très discret, ne retournera sans doute pas en Italie et il n’a aucun contact personnel avec les Volturi.
_ Alors personne ne saura ?
_ Non. Nous avons sans doute du temps encore… avant qu’Aro se souvienne de nous. En plus, la disparition de Jane va forcément les occuper.
_ Elle m’a dit… qu’Aro attendrait… le temps qu’il faudra.
_ Ah ? C’est-à-dire ?
_ Il veut que tu fasses de moi un vampire. C’est ce qui l’intéresse, peu importe quand, apparemment. »
Edward ne répondit rien. Il réfléchissait. Son regard était plongé dans le mien comme s’il y cherchait des réponses, des signes.



Au bout d’un moment, je brisai le silence. Une boule dure s’était formée dans ma gorge, je savais que mes paroles allaient être amères, je pouvais déjà sentir leur acidité dans ma bouche.
« Edward… Jacob est mort pour me sauver. Je ne me le pardonnerai jamais. Déjà Charlie… c’est trop. Beaucoup trop. Est-ce que j’aurais eu tort de faire tout ce que j’ai fait ? Est-ce que j’aurais dû renoncer à toi dès que j’ai su… dès le départ ? Je n’ai pas été assez forte, je ne pouvais pas résister… mon amour était si fort ! Il l’est toujours… »
Edward me regardait toujours en silence, l’or de ses prunelles légèrement obscurci par une émotion que je ne pouvais identifier.
« Je crois qu’il faut… que je réfléchisse à tout ça. Je veux veiller sur mon enfant, être une bonne mère, l’élever et l’éduquer. Jacob n’est plus là maintenant. Tu sais, il était vraiment heureux d’avoir un enfant… et il ne connaîtra jamais son père ! C’est affreux. Comment vais-je lui expliquer pourquoi il a disparu ? Je vais devoir mentir… pendant des années. Toujours, sans doute !
_ Tu seras une bonne mère, Bella, j’en suis certain, assura Edward avec un petit sourire. Je pourrai t’aider… Je veux t’aider ! Nous sommes mariés. Un bien étrange couple, n’est-ce pas ? Mais… je pense pouvoir être un… bon père de remplacement. »
Ses paroles étaient dures à entendre. Néanmoins, il les avait prononcées sans rancœur. Je soupirai, pris mon front dans ma main.
« Certes, je serai un père froid et allergique au soleil mais… j’ai d’autres avantages !
_ Bien entendu, Edward, tu seras un père formidable… là n’est pas la question mais… j’ai le sentiment… je… »
Je n’arrivais pas le dire. La boule dans ma gorge avait grossi, elle m’étouffait presque, elle me faisait mal.
« Dis-moi ce que tu penses, Bella, tu sais que je n’y arrive pas tout seul.
_ J’ai l’impression de… trahir Jacob, finis-je par exploser. Il est mort à cause de moi… Il voulait que je reste humaine, il me l’avait dit. Il me semble que je dois respecter son désir… Et c’est toi que je trahis ! Je suis… je suis tellement désolée, Edward ! »
Un silence, à nouveau. Long silence. Mon cœur était déchiré. Ce que je venais de dire remettait en question nos existences entières. Je me rendis compte que mes paroles ressemblaient fort à… une rupture de serment. Edward, en ce moment même, était-il en train de penser que j’avais décidé de le quitter ? Le sentiment qu’il avait dû éprouver lui-même, lorsqu’il m’avait abandonnée dans la forêt -pour mon bien, pensait-il- m’apparut alors dans toute sa douloureuse logique. Il m’était à présent devenu clair et familier. Il lui en avait fallu du courage pour accomplir ce geste ! Et je compris qu’au même instant, il avait dû résoudre sa propre mort. Car comment continuer à vivre sans celui qui est votre vie ? Moi… j’allais avoir mon enfant. C’était beaucoup déjà. Cela valait la peine que je m’y sacrifie, sans doute… Mais ce n’était pas tout. Que se passerait-il après ? Quand il serait grand et qu’il n’aurait plus besoin de moi ? J’allais finir ma vie seule.

J’étais perdue dans mes réflexions et ne m’aperçus qu’Edward s’était assis près de moi, au bord du lit, que lorsqu’il prit ma main.
« Alice…, murmura-t-il en plissant les yeux, Alice avait vu cela. »
Je tournai vers Edward un regard interrogateur.
« Elle avait vu… ? De quoi parles-tu ? »
Il serra ma main.
« Le jour où elle a eu cette vision, tu sais… la dernière qu’elle ait eue. Alice ne t’a pas vue avec Jacob mais elle t’a vue… enceinte. Elle t’a vue mère, ensuite… Elle nous a vus… vivre dans la maison de Charlie. Tous les deux. Elle m’avait raconté que tu semblais triste et heureuse à la fois. Elle a vu que j’agissais en père. Elle a senti qu’il y avait des absents… des morts peut-être. Mais elle ne savait pas qui. Puis elle nous a vus, à un autre moment, dans un lieu qu’elle n’a pas identifié. Elle m’a vu te changer en vampire. »
Mon cœur cognait sourdement dans ma poitrine. Il me fallut quelques secondes pour remonter le temps, refaire le parcours, réorganiser les évènements de ma vie. Ma bouche s’ouvrit. Mon visage dut prendre une expression effrayée car la main d’Edward se posa aussitôt sur ma joue. Je la saisis.
« Edward… tu savais ! Tu savais et tu as pensé que Jacob… Tu as laissé faire ?
_ J’ai beaucoup réfléchi, tu sais, et…
_ Tu l’as fait exprès ? Tu ne m’as rien dit… Tu voulais que les choses soient ainsi ! Alice nous a vus ensemble… cela t’a suffi, peu importaient les morts !
_ Quoi ? Mais, Bella… ! »
Un intense sentiment de colère mêlée de dégoût m’envahissait. Je me levai d’un bond. Ma voix tremblait.
« Ce que tu as fait est horrible, Edward ! Tu savais que tu m’aurais à toi, finalement. C’était parfait ! Tu aurais dû m’en parler ! Tu aurais dû me dire ce qu’Alice avait vu et tu ne l’as pas fait…
_ Bella, non, tu…
_ C’est monstrueux, Edward ! »
Il s’était levé et avait saisi mes épaules. Je voulais qu’il me lâche. Je reculai d’un pas, mais il enroula ses bras autour de moi. Je ne pouvais me libérer.
« Tu as laissé tuer Jacob, gémis-je, et Charlie… oh, mon Dieu !
_ Jacob savait, Bella. »
Je me raidis.
« Quoi ?
_ Je suis allé lui en parler. Et il m’a demandé de ne rien te dire. C’est lui qui a insisté. »
Jacob ? Mais pourquoi ? Je ne comprenais plus rien. Dans les brumes de ma pensée, l’incroyable vérité commençait cependant à prendre forme. Mes jambes se dérobaient sous moi. Je posai une main sur la poitrine d’Edward, tendis l’autre en arrière. Je cherchai le bord du lit, je voulais m’asseoir. Edward ouvrit les bras.
« J’ai pensé, bien entendu, poursuivit-il, que je devais faire en sorte d’éviter le pire. Je savais que si tu devais attendre un enfant… il n’y avait que Jacob. Alors je lui ai raconté le rêve d’Alice. Je voulais avoir son avis. Tu vois, Bella, je n’ai pas pensé qu’à moi, comme tu le dis. »
Mes mains frottaient nerveusement mes genoux, je regardais droit devant moi.
« Vous avez décidé… tous les deux…
_ Jacob a beaucoup réfléchi, lui aussi. Il m’a dit -ce sont ses paroles- que, comme tu es une « vraie tête de mule », si tu savais ce qui devait se produire, tu ferais en sorte de le changer…
_ Oui, c’est ce que j’aurais fait !
_ Je crois que Jacob ne le voulait pas, justement.
_ Oh, mon Dieu…
_ Il m’a demandé de faire du mieux que je pouvais pour te protéger, protéger tout le monde… Lui aussi s’est montré aussi attentif qu’il l’a pu à tous les dangers. Il était sans cesse sur le qui-vive. Mais nous ne pouvions pas tout envisager…
_ Vous auriez dû me dire…, me lamentai-je, vous auriez dû ! Vous n’avez jamais eu confiance en moi, vous m’avez toujours traitée comme… une enfant.
_ Ce n’était pas notre intention, Bella, nous voulions juste… agir au mieux. Nous avions davantage de pouvoir que toi pour réagir en cas de problème. Te connaissant, nous avons pensé que si tu savais… tu serais bien capable de… faire une bêtise.
_ On voit ce que ça a donné… »
Je n’étais pas juste, ils me connaissaient bien, effectivement.

Un instant après, je repris, comme si j’avais avoué un crime :
« J’en avais l’intention, Edward. J’ai failli… je m’y suis résolue trop tard. Les évènements m’en ont empêchée.
_ Qu’est-ce que tu racontes, Bella !
_ Je m’étais dit que ça règlerait tous les problèmes.
_ Quelle idée… mais quelle idée abominable ! »
Edward m’avait à nouveau attirée à lui. Il embrassait mon front et me serrait fort.
« Bella, tu nous aurais tués tous les deux, est-ce que tu as pensé à ça ?
_ Non, je me disais plutôt que vous m’en auriez suffisamment voulu pour continuer sans moi.
_ Sans toi, nos vies n’auraient plus eu de sens, petite folle ! », ajouta-t-il dans un soupir en glissant ses doigts sur l’ovale de mon visage.
Je frissonnai. Quel amour était-ce là ? Nous nous aimions tant que nous avions tous, tour à tour désiré donner nos vies les uns pour les autres. Nous avions tous perdu quelque chose. J’avais perdu le père de mon enfant, Edward avait perdu la Bella humaine qu’il aimait et dont il n’aurait jamais pu partager pleinement la vie puisque sa nature de vampire le lui interdisait. Jacob… était parti pour de bon, lui, cependant. Il était le plus à plaindre. Nous avions beaucoup perdu. Cela en valait-il vraiment la peine ? Y avions-nous gagné quelque chose ? La vie que je portais donnait-elle un sens à tous ces malheurs ? Apparemment, Jacob avait pensé que oui.
« Jake s’est sacrifié, alors… volontairement, déclarai-je.
_ Je ne crois pas qu’il y ait pensé à chaque instant, répondit Edward qui me serrait toujours contre lui. Les choses… se sont produites, c’est tout. Il a réagi devant chaque évènement quand il s’est présenté. Tu ne dois pas réfléchir à ce qui aurait été mieux. Il n’y a rien à préférer à la situation actuelle, Bella, tu comprends ? »
Sa voix avait pris une intonation plus inquiète. Edward suivait ma pensée, même s’il ne pouvait l’entendre.
« Il n’y a que la réalité, il n’y a que maintenant, Bella. Et ce que tu vas faire de ton avenir. C’est la seule chose qui compte.
_ Tu parles comme Sam, Edward.
_ Sam a raison, sur bien des points. Il sait ce qui est essentiel. »
Avancer encore… En aurais-je la force ? A cet instant, la perspective de la douleur à venir, de la culpabilité, des remords que j’allais porter avec moi chaque jour de ma vie, m’accabla profondément. Et le manque… comment survivre au manque ? Je n’en avais aucune idée. Cela me semblait insurmontable.
Les doigts d’Edward étaient posés sur ma nuque et ma joue. Son parfum m’enveloppait comme une caresse. Je fermai les yeux, mes paupières étaient aussi lourdes que si elles avaient été faites de métal.
_ Peut-être… Je ne sais pas », soupirai-je simplement.





Chapitre 34 : Le grand feu/ The big fire

En milieu d’après-midi, Seth revint. Il paraissait reposé et ne laissait en tout cas plus rien transparaître des émotions qui pouvaient l’habiter en cette journée de deuil. Il demanda à Edward de transmettre à Carlisle un message de la part de Johnny et de Leah : ils viendraient lui rendre visite dans les prochains jours et le remerciaient pour son invitation. Je fus surprise de l’empressement avec lequel Johnny -mais surtout Leah- répondaient à la proposition de Carlisle.
Ce que Seth nous apprit ensuite me permit de comprendre leur réaction. Les Quileutes s’interrogeaient à leur sujet depuis la nuit dernière. Ils avaient découvert la vérité concernant Johnny et la présence d’un vrai loup-garou (un Enfant de la Lune, comme j’avais entendu Aro et Jane les appeler) sur leur territoire les préoccupait beaucoup. Leah avait été contrainte de répondre aux interrogations du clan des Transformateurs et elle ne s’y était pas opposée, malgré le caractère revêche que tous lui connaissaient. Elle avait choisi elle-même de trahir leur secret et savait à quoi s’attendre. La jeune femme avait expliqué les choses, sans pour autant parvenir à garder totalement son calme. Elle craignait ce que risquait Johnny car elle connaissait les règles du clan. Leah avait essayé de défendre celui qu’elle aimait même si elle reconnaissait qu’il était réellement dangereux. Jusqu’alors, sa présence était passée inaperçue, n’étaient les animaux retrouvés morts en forêt. Sam lui avait opposé les blessures qu’elle avait elle-même reçues, ce à quoi elle avait répondu en arguant qu’il leur avait sauvé la vie à tous. Elle parvenait à le guider à présent, même si les débuts avaient été, selon elle, « un peu difficiles ».
Néanmoins, la meute des hommes-loups réfléchissait à l’éventualité de demander à Johnny de quitter leur territoire. Leah avait affirmé que, si telle était leur décision, elle le suivrait. Seth en était vraiment chagriné. Pourtant, il devrait se plier à l’avis du plus grand nombre et à ce que déciderait finalement Sam.
Seth en vint ensuite au déroulement de la cérémonie funéraire qui devait avoir lieu à la tombée de la nuit. Un instant, il parut très gêné et hésita. Il finit tout de même par balbutier :
« Billy, hum…, a vraiment le sentiment que ce décès est une « affaire privée » et que la cérémonie à laquelle nous allons procéder concerne surtout notre peuple…
_ Qu’est-ce que…
_ Billy ne veut pas que nous y assistions, me coupa Edward qui avait lu la pensée de son ami. »
Seth eut presque l’air soulagé d’entendre exprimer aussi clairement ce qu’il n’arrivait pas à formuler.
« Quoi !, m’exclamai-je. Mais les Cullen n’ont rien fait…
_ Il en veut à l’ensemble des vampires, Bella. Ce qui fait que nous sommes compris dans le lot, poursuivit Edward d’un ton neutre.
_ Enfin, reprit le jeune Quileute, le docteur Cullen peut vous représenter tous. Billy a précisé que sa présence était la bienvenue…
_ « Tolérée », Seth, c’est plutôt le mot qu’il a employé, il me semble… »
L’Indien baissa les yeux. Edward ne lui avait pas épargné ce petit mensonge diplomatique. Il aurait pu éviter de le lui faire remarquer, car Seth agissait ainsi par gentillesse : il ne voulait blesser personne. J’en conclus qu’Edward devait être passablement énervé par l’attitude de Billy.
« Quoi qu’il en soit, reprit-il, je suis certain que Carlisle viendra. Il s’en fera un devoir. Et par sympathie, également. Il appréciait beaucoup Jacob. »
Seth ne releva pas le regard.
« A quelle heure commence la cérémonie ?, demandai-je. Je viendrai avec Carlisle. »
Il y eut un silence. Edward nous regardait sans mot dire. Il attendait que le jeune garçon s’exprime par lui-même cette fois. Seth finit par répondre en se mordant les lèvres :
« Billy… préfèrerait que tu ne viennes pas, Bella. »
Cette déclaration me stupéfia.
« Mais… Seth, je…
_ Je sais, Bella. Nous savons tous. Nous avons essayé de lui dire à quel point toi et Jacob étiez proches et la peine que tu éprouves, mais… ce n’est pas à nous de lui apprendre… enfin, tu vois…
_ Mais je veux être là, Seth ! Je dois être là ! »
J’étais révoltée.
« Je comprends, Bella. Tu dois pardonner Billy : sa douleur est immense. Sam m’a demandé de te dire que, si tu désires venir quand même, nous te soutenons et nous sommes à tes côtés. Nous pensons que tu dois légitimement assister à ces funérailles. C’est ta place. En fait… tu devrais même y participer.
_ C’est-à-dire ?
_ Tu es la mère de son enfant. Tu devrais te tenir devant… avec Billy, et accomplir les mêmes gestes rituels que lui. »
La pensée de m’imposer aux côtés d’un Billy qui refusait ma présence me fut intolérable. Et je ne m’imaginais pas allant le trouver sur le champ pour lui expliquer la situation.
« Je ne pourrai pas…, soufflai-je en secouant la tête. Mais je viendrai. Je resterai avec Carlisle.
_ Bon. La cérémonie commencera dès que la nuit sera tombée. Venez un peu avant, je vous conduirai. »
Le malaise de Seth ne disparut pas pour autant. Il devait imaginer la façon dont il allait présenter les choses à Billy. On lui avait confié une mission bien ingrate.


Jusqu’au soir, je demeurai sous le choc. Il était naturel que le père de Jacob m’en veuille. J’essayais de m’en convaincre. Pourtant… plus les heures passaient, plus la tension qui s’était niché en haut de mon estomac se faisait ressentir. De plus, je n’avais pas dormi depuis trop longtemps. La fatigue troublait mes sens et ma raison, m’empêchait de considérer les choses avec le détachement nécessaire. Le docteur Cullen était rentré, Edward lui avait rapporté les propos de Seth. Lentement, le jour déclinait.
« Nous allons y aller, Bella. Tu es prête ?, avait finalement demandé Carlisle en entrant dans la chambre d’Edward.
_ Oui. Je suis prête.
_ Ne t’inquiète pas, avait-il ajouté avec une assurance réconfortante, tout se passera bien. »
J’avais lâché la main d’Edward et m’étais levée pour le suivre.
Lorsque nous arrivâmes à La Push, Seth nous attendait déjà, un peu avant la première maison du village, mais je ne le reconnus pas immédiatement. Il était torse nu et son corps, comme son visage, étaient peints. Une large bande noire lui recouvrait les yeux et le front. Ses bras et ses épaules étaient striés de noir et de blanc. Il portait un collier de graines et de plumes. L’apparence qu’il avait, ainsi paré, me saisit et m’émut profondément car elle révélait sa nature profonde et authentique, faisant de lui un être hors du temps qui n’avait plus rien de commun avec le jeune homme que je connaissais. Il nous guida vers le lieu dit. Le crépuscule rayait l’horizon orange de profonds sillons violets, comme tracés par des doigts gigantesques. Nous nous approchâmes de la falaise. Les cris des oiseaux se mêlaient à la rumeur humaine.
Marche, Bella, reste droite. Lève la tête.
Un tambour résonnait dans la forêt.
Un groupe assez nombreux de Quileutes, tous parés et maquillés comme Seth, était massé devant nous. Nous faisions bien pâle figure à côté d’eux. Il me sembla qu’on ne voyait que nous. Mon sentiment d’être une intruse, en ce lieu où ma présence était, de plus, malvenue, n’en fut que davantage accrû.
Regarde devant toi.
Cependant, personne ne nous prêta plus d’attention que nécessaire et, quand nous eûmes rejoint le groupe, aucun visage ne se retourna spécialement vers nous. Sur les rochers surplombant la mer, se trouvait un monticule recouvert d’une bâche maintenue au sol par de gros cailloux. Les derniers rayons du soleil couchant jetaient sur l’assemblée une lumière rouge. Je vis Billy, à l’avant du groupe, assis dans son fauteuil. On avait dû le transporter jusque-là. Son visage était tourné vers la mer, il paraissait scruter les flots gris avec attention. Puis le soleil disparut tout à fait et l’obscurité gagna rapidement le paysage. Alors, la bâche fut retirée. Le corps du grand loup sombre apparut. Il reposait sur un bûcher compact fait de bouts de bois, branches et branchages de tailles diverses, soigneusement empilés. Les pulsations du tambour étaient toutes proches maintenant et, quand il fut sorti de la forêt et se fut placé à côté du groupe, une torche fut allumée. Une voix se fit entendre. Elle psalmodia quelques paroles en langue chimakuane, auxquelles l’assistance fit écho. Billy s’avança ensuite vers la grande masse noire, aidé d’un grand Quileute qui ne pouvait être que Sam. La torche lui fut tendue et il alluma le bûcher.
Le feu prit rapidement et les flammes montèrent, très hautes. Un chant s’éleva, une voix unique, peut-être celle du vieux Quil Ateara, accompagnée par le rythme sourd et régulier du tambour. Puis, certaines personnes dans l’assistance se déplacèrent et défilèrent lentement, une à une, devant le brasier. Au passage, chacun y jetait quelque chose. Je vis Leah, que je reconnus au fait qu’elle était, contrairement aux autres, entièrement vêtue. C’étaient les membres de la meute. Ils s’assemblèrent tous en cercle autour du feu qui répandait sa lumière vive sur leurs visages, tous différemment peints, et les faisait ressembler à des êtres étranges, des esprits anciens, mi-hommes, mi-animaux. Un petit objet fut tendu à Sam. L’ayant saisi, il le porta à son épaule, sur laquelle il le fit glisser, puis il le passa au Transformateur qui se tenait près de lui. A nouveau, le même geste. Je compris. J’avais déjà vu cet objet. Je l’avais tenu dans mes mains. Tour à tour, les membres de la meute s’entaillaient le haut du bras, en signe de deuil. Une blessure qui laisserait sa marque, légère mais visible, celle du souvenir, ancrée dans la chair. Quand ils eurent fini, ils remirent le poignard entre les mains de Billy. Celui-ci souleva ses cheveux, attachés en une longue natte qu’il coupa d’un geste rapide, avant de la jeter dans les flammes. Ensuite, chacun retourna dans l’assistance et tout le monde s’assit sur le sol, le visage tourné vers le bûcher qui continuait de brûler intensément.

Longtemps, longtemps nous restâmes là, à contempler le feu crépitant dans la nuit silencieuse. J’étais à la fois émue et impressionnée par le spectacle qui se déroulait devant mes yeux fatigués. Je pensais à Jacob… et faisais de mon mieux pour rester digne.
La voix reprenait régulièrement son chant aux sonorités et au rythme ensorcelants. Entre les nuages, une lune gibbeuse, glissait parfois sa lumière argentée.
Peu à peu, la force des flammes diminua, la couleur du brasier changea, s’obscurcit. Une épaisse fumée noire, qui formait un nuage gris sur le fond des ténèbres nocturnes, s’éleva. Le feu s’éteignait. Le monticule du bûcher n’était plus qu’un amas de braises rougeoyantes.
Le battement du tambour cessa tout à coup, et l’assemblée des Quileutes se releva. La cérémonie était achevée. Le groupe commença à se défaire et à reprendre la direction du village de La Push.
Je regardai Carlisle.
« Nous allons y aller également, Bella. Je vais te ramener, puis je repartirai à l’hôpital. J’encadre le service de nuit aujourd’hui. »
Je hochai la tête. Néanmoins, nous restâmes encore un moment, debout entre les formes qui nous frôlaient et nous dépassaient en quittant le lieu. Seth s’approcha.
« Que se passe-t-il maintenant ?, demandai-je.
_ Billy et quelques autres restent ici jusqu’à ce que le feu soit complètement éteint, ce qui ne saurait tarder, vu l’humidité. Puis ils recueilleront les cendres et les restes. Ensuite, nous porterons Billy dans la forêt afin de les enfouir avec lui au pied de l’Arbre aux Ancêtres.
_ Seth, tu… tu me conduiras à cet arbre ? Un jour… ? Je veux savoir où aller me recueillir.
_ Bien sûr, Bella. »
Carlisle donna ensuite au jeune Quileute quelques renseignements au sujet des jours où il était libre et pouvait recevoir Leah et Johnny. Je m’éloignai d’eux quelques secondes.





Chapitre 35 : Dans les bois/ Into the woods


Il ne restait plus grand monde. Billy se tenait toujours, plus loin, près du bûcher fumant. Deux autres formes étaient à ses côtés, mais le vieil Indien ne regardait personne. Savait-il que j’étais là ? En était-il fâché ? J’imaginais aisément que ma présence n’était sans doute qu’un détail pour lui en cet instant ; il devait avoir d’autres préoccupations plus essentielles. A quelques mètres de lui, quatre autres personnes étaient rassemblées en un petit groupe silencieux. Je me retournai, m’éloignant d’eux, et fis encore quelques pas, en direction de la forêt.
Soudain, entre les arbres, je vis filer une forme. Enfin… il m’avait semblé voir bouger les buissons. Plissant les yeux, je scrutais l’obscurité. J’avais rêvé, sans doute. J’approchai des premiers arbres.
Dans le bois, l’air était plus tiède, plus doux. Une odeur fraîche de végétaux écrasés parvint à mes narines et, derrière elle, une autre, plus lourde, de bois de cèdre et de terre. Par-dessus mon épaule, je jetai un regard vers l’endroit où se tenaient Seth et Carlisle. Ils discutaient toujours. Une troisième personne les avait rejoints, que je ne pouvais identifier de là où je me trouvais. J’avançai encore, le nez tendu, respirant les odeurs agréables et puissantes qui émanaient de la forêt.
A nouveau, je tournai mon visage vers la profondeur des bois. Mais cette fois-ci, ce que mon regard y rencontra me fit sursauter. Un peu plus loin, entre les arbres sombres, deux yeux luisants me regardaient fixement. Deux yeux jaunes.
J’écarquillai les miens, clignai à plusieurs reprises des paupières. Une hallucination, de toute évidence… Mais les yeux jaunes continuaient de me fixer sans ciller. Devais-je m’enfuir ? Je fis deux pas en arrière. Les yeux me parurent flotter un peu dans ma direction puis s’arrêtèrent, et se tinrent immobiles. Je reconnus une forme animale, assez basse. Malgré l’obscurité, je distinguai la forme de la tête. Elle ressemblait à celle d’un chien. Encore quelques pas, sans lui tourner le dos. L’animal glissa à nouveau vers moi. Il gardait une certaine distance, mais son attitude n’avait rien de sauvage. Je fronçai les sourcils, tout mon corps se raidit. Voulait-il attaquer ? Il ne me restait plus à parcourir qu’une très courte distance et je serais sortie du bois. Lentement, je tendis une jambe en arrière. Pas de geste brusque, surtout pas... Comme s’ils avaient deviné mon intention, les yeux se murent encore dans ma direction. Ils approchaient, plus vite, dépassèrent la distance qu’ils avaient gardée jusque-là. Leur empressement m’effraya et j’accélérai la cadence. J’avais quitté le couvert des arbres. La lumière blanche de la lune éclairait la lisière du bois et la falaise, me donnant le sentiment que je venais d’échapper à un cauchemar. Derrière moi, le groupe n’avait pas bougé. Les silhouettes, parmi lesquelles se trouvait le docteur Cullen, s’entretenaient toujours à voix basse. Assurément, je devais rejoindre Carlisle, rentrer et dormir, si je le pouvais. Il le fallait. Quittant le bois du regard, je m’apprêtais à m’avancer vers eux quand j’eus la sensation d’une présence, toute proche. Mon cœur accéléra, je me retournai. L’animal se tenait derrière le dernier arbre que j’avais dépassé quelques secondes plus tôt. Je le voyais très distinctement à présent. C’était un loup. Un vrai loup, au pelage gris clair et aux yeux fauves. Il était assis. Son attitude n’avait rien d’offensif. Elle n’était pas vraiment normale, non plus, dans la mesure où -je le constatais de manière évidente- son regard était rivé sur moi. Il semblait attendre. Etait-il apprivoisé ? Doucement, le loup pencha un peu sa tête de côté. Puis il se redressa, fit volte-face, mais ne bondit pas dans le bois pour autant. Il attendait toujours, le regard fixé dans ma direction.
« Bella ? »
La voix de Carlisle résonna dans la nuit. Je tournai la tête, une seconde. A l’orée du bois, le loup avait disparu. La fraîcheur de la nuit me saisit tout à coup. L’humidité de la mer toute proche se glissa dans l’encolure de ma veste. En un instant, je fus transie. Je rejoignis rapidement le docteur Cullen. Seth et Sam étaient avec lui. Plus loin, près de la falaise, je pouvais voir Billy, dont la silhouette assise se tenait toujours auprès du bûcher d’où ne s’échappait plus qu’une fumée légère.
« Ça va Bella ?, demanda Seth. Tu as l’air… frigorifiée.
_ Oui, acquiesçai-je, je suis épuisée. »
Sam prit ma main. Il ne dit rien, mais la tint un moment entre les siennes. La peinture noire et blanche, qui recouvrait respectivement chaque moitié de son visage, lui donnait un air particulièrement intimidant. En quelques mots, je le remerciai de m’avoir fait savoir son soutien.
« Billy va s’apaiser, répondit le grand Quileute, il lui faut simplement… du temps. »
Puis, quand les deux jeunes hommes nous eurent salués, Carlisle et moi retournâmes à la voiture. J’étais encore stupéfaite par ce que je venais de voir dans le bois, par l’attitude de ce loup étrangement familier. Je n’étais d’ailleurs plus très sûre de l’avoir vu réellement. Subitement, la frontière entre le réel et l’imaginaire devenait floue, se brouillait, jusqu’à disparaître totalement. L’un et l’autre de ces deux mondes se mêlaient… car un souvenir remontait, lentement, à la surface de ma mémoire, parmi tant d’autres. Le souvenir d’un rêve que j’avais fait, plusieurs semaines auparavant, un de ces rêves dans lesquels tout m’apparaissait aussi vrai et tangible que s’il s’était agi de la réalité même. Parmi toutes les visions que j’avais eues, symboliques ou rigoureusement exactes -sans pouvoir jamais déterminer avec certitude lesquelles me montraient la vérité et lesquelles étaient seulement porteuses d’un message crypté-, il m’apparut que j’avais bel et bien vu un loup. Un loup après lequel j’avais couru, désespérément, dans une nuit d’arbres enchevêtrés. Ces images, je les avais écartées de mon esprit, ne leur ayant alors trouvé aucun sens. Etait-ce ce loup-là ? Fallait-il… ?



La voiture quittait La Push. Glissant silencieusement le long de la route sombre.
Au bout de quelques minutes, je demandai :
« Carlisle, est-ce que cela vous ennuierait de me reconduire chez moi, plutôt ?
_ Chez toi, Bella ? Tu es sûre ?
_ Oui, affirmai-je, je préviendrai Edward. Je voudrais… me changer, me laver… Mes affaires sont là-bas.
_ Je comprends, conclut le docteur Cullen avec un sourire aimable, je vais t’y amener, bien sûr. »
Le père d’Edward me déposa devant la maison et repartit aussitôt pour l’hôpital. Une fois à l’intérieur, je décrochai le téléphone et composai le numéro. Inutile d’inquiéter Edward trop longtemps. Il décrocha aussitôt.
« Je suis à la maison, expliquai-je rapidement. J’ai demandé à Carlisle de me déposer. Non, je n’ai pas sommeil. Je vais me changer, puis je te rejoindrai… dans un petit moment, d’accord ? » Au bout du fil, Edward répondit simplement qu’il m’attendait. Je raccrochai et montai à l’étage où je me débarrassai de mes vêtements souillés puis je me dirigeai vers la salle de bain. Je constatai que le verrou de la porte avait été forcé et arraché. Par Edward, de toute évidence, lorsqu’il avait découvert ma disparition. Le reflet de mon visage dans le miroir me fit fermer les yeux. J’avais une mine effroyable. La petite cicatrice, sur mon avant-bras, était recouverte d’une épaisse croûte brune, elle avait dû saigner encore, sans que je m’en aperçoive. Sous l’eau chaude de la douche, je la frottai doucement. Pour la première fois, j’eus la sensation qu’elle était enflammée. Tout autour, la peau était rouge et légèrement enflée. Elle me brûlait un peu, aussi, mais rien d’alarmant pour le moment. Je la montrerais à Carlisle. Plus tard.
Assise dans le bac, mon front posé sur mes genoux, je laissai couler le jet des fines gouttelettes d’eau sur ma nuque et sur mes épaules percluses de froid et de fatigue. J’avais tellement besoin de leur chaleur, de l’énergie qu’elles contenaient ! Derrière mes paupières fermées, les yeux jaunes du loup réapparurent. Pourquoi cet animal s’était-il comporté de la sorte ? Etait-il bien là, seulement ? Cette image me troublait énormément, je n’avais pas l’habitude d’avoir de telles hallucinations, pas aussi complètes et tangibles en tout cas, car cet animal… je l’avais vu entièrement : j’avais senti sa présence, je l’avais entendu glisser entre les buissons, j’aurais pu le toucher, sans doute…
Je résolus de m’accorder un moment afin de reprendre mes esprits, puis je retournerais sur place. Si cette partie-là de mon rêve avait à présent pris chair, ce n’était certainement pas sans raison. En revanche, si ce loup n’existait pas… il me faudrait accepter l’idée que mon esprit était capable, dans mes moments de grande fatigue, de produire des mirages d’un réalisme époustouflant et particulièrement perturbant ! Je devrais apprendre à m’en méfier. J’avais besoin de garder les pieds sur terre, désormais. Et la tête sur les épaules. Edward et Sam avaient raison : il fallait que je me ressaisisse et que je pense à l’avenir. J’espérais que tous ces rêves et ces manifestations surnaturelles en tous genres me laisseraient un peu en repos. Si elles ne disparaissaient pas, c’était moi qui devais faire en sorte de les éviter.
Le temps que j’avais passé sous la douche m’avait, de toute évidence, fait beaucoup de bien. Je me sentais plus calme, plus posée. Le sommeil ne m’accablait toujours pas, cependant. Me restait-il encore de cette énergie merveilleuse, celle de Jacob, qui avait couru dans mes veines pendant toute une semaine ? J’avais pourtant eu la conviction qu’elle m’avait quittée, dans la clairière. Je l’avais sentie… s’éteindre, au moment où Jane… Je plaquai une main sur mon front. Comment arrivai-je à repenser à tout cela ? J’étais trop choquée encore pour réaliser pleinement, sans doute. Il me semblait que ce n’était pas moi, que cela ne s’était pas produit, que c’étaient la vie et les souvenirs de quelqu’un d’autre… pas la mienne. Je réalisai que je devais m’être mise, par réflexe, comme à distance de moi-même. Par instinct de survie. Car c’était bien cela, n’est-ce pas ? Il fallait que je survive.
Quelle heure pouvait-il bien être ? Le réveil de ma table de nuit m’indiqua qu’il était près de trois heure et demie. Je m’habillai et me rendis dans la cuisine. Je n’avais pas faim, mais je devais avaler quelque chose, avant de retourner à La Push. Si mon corps n’avait pas ce dont il avait besoin, comment mon esprit pourrait-il fonctionner correctement. Je dénichai une tranche de pain de mie et me confectionnai rapidement de quoi caler mon estomac. Cela ferait l’affaire, pour le moment. Les premières bouchées furent les plus difficiles. Elles avaient comme un goût de carton. Je me forçai à boire, aussi, plusieurs grands verres d’eau. Quand j’eus terminé, je sortis rapidement et grimpai dans ma camionnette.
« Allez, encore un petit effort… Tu verras, il n’y aura rien. Pas plus de loup que d’éléphant ! », déclarai-je pour moi-même. Ensuite, je retournerais à la villa des Cullen et je chercherais le sommeil, près d’Edward.

Rien ne remuait à l’entrée du village quileute. Je me garai et refis à grandes enjambées le trajet que j’avais déjà fait, quelques heures plus tôt, en compagnie de Seth et du docteur Cullen. Le lieu était désert. La falaise, l’orée de la forêt, tout le paysage endormi ne gardaient aucune trace de la cérémonie à laquelle nous avions assisté, excepté le petit tas de bois calciné que j’apercevais, un peu plus loin, sur le plat du rocher. Je m’approchai. Le sol était noir. Les cendres avaient été fouillées et en grande partie emportées. La pluie et le vent feraient rapidement disparaître le reste. C’était tout. Tout ce qui demeurait, déjà… quelques morceaux de charbon épars. Mes yeux glissèrent vers la mer. Elle brillait, par moments, lorsque la lumière de la lune parvenait à percer l’épais manteau des nuages. Un petit vent frais s’était levé qui les poussait rapidement d’un bout à l’autre du ciel. J’avançai un peu et m’assis sur le rocher, face à l’océan. Saisissant une pierre, je la jetai vers l’horizon. Elle disparut dans le vide et l’agitation des vagues que j’entendais gronder sourdement, plus bas. Il n’y avait que moi. Moi et la nuit. Moi et l’absence. Ma douleur pour l’instant étouffée… et les images qui hantaient mon esprit, que je tenais en respect, sans en faire consciemment l’effort, mais qui ne demandaient qu’à s’imposer, qui y parviendraient, sans doute, à d’autres moments. Je pouvais sentir leur grouillement en moi. Un chuchotis lointain, inarticulé. Je couvris mes oreilles de mes mains. Le son des flots et le souffle du vent disparurent presque totalement. Dans ma gorge, les battements de mon cœur.
Oh, Jake ! Je suis tellement, tellement désolée…
Pendant quelques secondes, je demeurai ainsi, coupée du monde.
Comment vais-je faire ?
Mes yeux piquaient. Un gouffre s’ouvrait, lentement, dans ma poitrine. Je le sentais s’étendre, comme une déchirure immense file sur un fin tissu entaillé, impossible à arrêter. Il me fallut plusieurs minutes pour réaliser que je ne percevais plus rien des bruits à l’entour, ni les pulsations de mon propre cœur, ni la fraîcheur de l’air… Je fermai les yeux. Sur ma peau, une impression de tiédeur, douce, ruisselait. Du sommet de mon crâne jusqu’à mes doigts, mes chevilles… Un parfum de terre, ferreux et sucré, chatouilla mes narines. Dans mon ventre, une détonation. Je n’étais pas seule. Mon souffle se précipita, mes paupières se soulevèrent. Je cherchai autour de moi. Le loup était là, à quelques mètres. Peut-être était-il là depuis un moment. Il était assis et me regardait. Ses yeux luisaient. Que faire ? Devais-je tenter de me relever ? Je le considérai, longuement. Il ne bougeait pas. Alors, je secouai la tête.
« Qu’est-ce que tu veux ? », demandai-je d’une voix lasse.
Pour toute réponse, l’animal se dressa sur ses pattes. Il approchait.
Tu es revenue, Bella.
« Quoi ? »
Le loup parvint à ma hauteur. Il était à côté de moi, à présent. Quelques centimètres.
J’écarquillai les yeux. Depuis sa tête, une forme se déploya, s’étendit, d’abord transparente et aérienne, elle s’opacifia rapidement, se stabilisa. Je tombai à la renverse.
« Oh, non ! »
L’apparition me regardait. Ce regard, je ne le connaissais que trop bien.
J’avais appuyé mon poing serré sur ma bouche.
Je suis content que tu sois revenue. Je t’ai fait peur, tout à l’heure…
« Ça y est, me voilà totalement cinglée ! »
Mes doigts griffaient la roche sous moi. Il fallait que j’arrive à me relever, il fallait que je quitte cet endroit.
Calme-toi. Je vais… te dire un peu…
J’inspirai profondément. Je devais me contrôler. Ce que je voyais… était ce que j’avais envie de voir, rien de plus.
« Oh, je n’y arriverai pas ! C’est trop réel ! »
C’est parce que je suis encore là, Bella. C’est réel.
Je m’accroupis. Un moment, je dévisageai l’être qui se tenait face à moi.





Chapitre 36 : Apparition



« Mon Dieu… c’est impossible… Jacob… »
L’apparition sourit. Le même sourire. Quel mal cela me faisait de le voir ! Quel mal et quel bonheur ! Oh, oui… peu importait que ce qui était en train de se produire fût bien réel ou non, si seulement je pouvais éprouver le bonheur d’être près de lui, encore un peu.
Jacob… Oui, c’est cela. C’est étrange de ne plus réagir avec certitude.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? »
Tu as dit mon nom mais… La mémoire est dans la chair. Certaines choses m’échappent peu à peu. J’ai… d’autres noms aussi, qui, eux, me reviennent. Mais ce qui est sûr c’est que toi, je te connais. Depuis très longtemps. Je connais ton nom. Et je sais beaucoup d’autres choses, maintenant.
Il souriait. Etonnamment, il avait l’air… heureux ! Que pouvais-je dire ? Je demeurais ébahie. C’était bien Jacob. Son visage, ses bras, ses mains. Il était… un peu différent cependant. Ses cheveux. Ses cheveux étaient très longs. Plus longs que je ne les lui avais jamais vus. Pourquoi voulais-je le voir ainsi ?
« Pardon, Jake. Pardonne-moi ! »
Ce furent les seuls mots qui parvinrent à sortir de ma bouche. Les seuls que j’avais envie de dire. Les seuls qui me semblaient nécessaires.
Tu n’as rien fait. Ne me demande pas pardon.
« Tu es… mort, Jake. A cause de moi. »
Non. Les choses devaient être ainsi. Rassure-toi. Tout est pour le mieux.
Ma bouche s’ouvrit. C’était insensé. Ainsi, ma vision cherchait à me déculpabiliser… quel subterfuge mon cerveau perturbé avait-il encore trouvé là ?
« J’ai fait de mauvais choix. C’est ma faute, je le sais bien. »
Non, Bella. Tu n’as jamais eu le choix. Aucun de nous n’en a eu. Je ne peux pas tout te dire mais… tu verras, ne désespère pas.
Je secouai la tête.
« Je ne sais pas ce que je dois faire. J’ai tellement peur de me tromper, j’ai tellement peur des conséquences… »
L’apparition parut hésiter. Puis reprit :
Tu dois poursuivre ta route. Prendre les décisions qui te semblent les meilleures, en accord avec toi-même, comme tu l’as toujours fait. La souffrance est inévitable, et le bonheur survient à l’improviste.
« Tu vas tellement me manquer, Jacob. Ma vie… n’a pas de sens, sans toi. »
Un instant, je l’entendis distinctement rire.
Je vais rester près de toi, Bella.
« Quoi ? »
Je suis… disons, retenu ici.
« Pourquoi ? Tu… tu souffres ? Tu ne peux pas reposer en paix, ou quelque chose comme ça ? Dis-moi ce que je dois faire… »
Ce n’est pas ça du tout. Je suis… un esprit. Mais un esprit-lié. Je suis là pour veiller sur toi, en quelque sorte. Le rituel que nous avons accompli m’a uni à toi, bien davantage que ce que j’avais envisagé, et pas seulement… Je ne savais rien de ce que je faisais vraiment, en fait… Je peux être près de toi partout maintenant. Je peux te sentir… Toi aussi, tu as senti ma présence, depuis… Mais je ne peux prendre forme que sur notre territoire. Grâce à cet animal, par exemple. Nos légendes… ne sont pas que de pures créations, Bella.
« Le loup te permet de te manifester ? »
Cette louve était dans la forêt. Elle cherchait… Elle a perdu ses petits, elle souffrait. Alors elle s’est éloignée de sa meute. Elle m’a accueilli dans son esprit. Les loups sont des Passeurs. Et ils ne sont pas les seuls animaux à avoir cette capacité. La lignée des Transformateurs possède une aptitude à sentir cela et à s’en servir, en le mimant, contrairement aux simples êtres humains...
J’étais de plus en plus confuse. Ce que me disait ma vision semblait aller plus loin que ce que je pouvais m’apprendre à moi-même. Etait-ce une nouvelle forme de ces rêves révélateurs que j’avais pu avoir ? Me mettais-je à rêver tout éveillée, maintenant ?
Non, tu ne rêves pas.
Sa réflexion me sidéra. Il entendait mes pensées.
Oui. Et j’ai ressenti ta peine. Elle était terrible.
« Tu entends les pensées de tout le monde ? »
Non, juste les tiennes. Et seulement ici. Mais par contre, je ressens tes émotions, où que tu sois. J’ai pu me glisser dans le corps de l’Enfant de la Lune aussi, parce que son esprit était partiellement absent et qu’il était plus animal qu’humain. Ce qu’il éprouvait était très angoissant, très triste.
« C’était Johnny. Tu ne l’as pas reconnu ? »
Johnny… Je ne sais plus très bien. Mais j’ai vu à travers ses yeux. J’ai vu les vampires, je t’ai vue, toi. Il aurait pu te blesser.
Immédiatement, la scène se rejoua sous mes yeux. L’arrivée du loup-garou. Jane… ma peur… Pour éloigner ces images de mon esprit, je poursuivis :
« Billy… Billy ne supporte plus ma présence. Cela me fait mal qu’il m’en veuille, mais il a de quoi. Il a perdu son fils… C’est terrible. »
L’esprit de Jacob me regardait toujours. Il ne souriait plus, cependant. Un instant, je me demandai s’il aurait pu commencer à oublier qui était Billy, déjà.
Billy… changera d’attitude quand il saura, Bella. Sois-en sûre. Quand tu seras allé le voir. Et puis… il lui reste un fils. Il serait temps qu’il s’en préoccupe davantage.
Je ne réagis pas tout de suite aux paroles de Jacob. Soudain, je compris.
« Oh !... Effectivement… »
Je me tus un instant, considérant ce que ma vision venait de me révéler. Ainsi, il se pouvait que Billy fût le père d’Embry ? Je me souvenais qu’au cours d’une de nos discussions, Jacob en avait émis l’hypothèse, mais, de son vivant, il n’avait jamais eu la certitude d’avoir bel et bien un frère. Embry avait grandi sans père… était-il le moment de chercher à rattraper les choses ?
Je repris ensuite :
« Moi, je ne sais pas trop quand j’arriverai à lui expliquer…, comment m’y prendre… »
Cela se fera tout seul… plus tard. Ce sera une évidence. Il te le demandera lui-même, n’y pense pas pour le moment.
« Quand le bébé sera né, tu veux dire ? »
Le bébé ?
A nouveau, il rit.
Je ne comprenais pas sa réaction. J’aurais tant voulu qu’il m’explique, qu’il me dise… Cet être, qu’il soit ou non une manifestation de la peine, de la culpabilité et du manque que j’éprouvais, savait tout, apparemment. Mais j’avais vu sa réticence, sur certains points, et je ne voulais pas qu’il m’oppose un refus si j’allais trop loin.
Tu as raison.
« Ah ? »
C’est juste… que cela ne se fait pas. De plus, tu n’en as pas besoin. Tu y arrives très bien toute seule !
« C’est incroyable, Jake. Comment peux-tu te montrer si confiant ? »
Il ne répondit rien, se contenta de sourire. Ce qui me frappait le plus, c’était ce sourire. Il n’avait pas l’air malheureux.
Je ne suis pas malheureux. Je ne suis ni heureux, ni malheureux. Ce sont les êtres incarnés qui éprouvent ces sentiments, Bella. Moi je suis plus… détaché, maintenant.
« Détaché ? »
Ma bouche s’ouvrit.
C’est ce qu’on appelle la sérénité.
« Oui, bien sûr. »
Je voyais son regard. Il comprenait, il lisait tout dans mon cœur et mon esprit. J’avais envie de disparaître. Je demandai :
« Nous nous… reverrons ? »
Son rire fusa encore une fois.
Oui. Je te l’assure, nous nous reverrons. La route est encore longue et je la fais avec toi, jusqu’au bout. Je l’ai toujours fait.

Spontanément, je tendis une main. Je voulais toucher son visage, mais mes doigts dépassèrent son image et se posèrent, au-delà, sur le pelage de la louve grise toujours assise à mes côtés. L’animal sursauta. Je compris qu’il préférait ne pas être touché. Malgré son attitude, il restait sauvage, je devais respecter cela. Jacob s’inquiéta :
Tu es triste.
« Je suis humaine. C’est normal. Et je serai triste longtemps. »
Il n’y aura pas que de la tristesse, Bella, tu verras.
Un dernier instant, je contemplai son visage. Je voulais m’en aller. Je venais de réaliser quelque chose… quelque chose qui me donnait envie de me retrouver seule. Et même si l’esprit de Jacob ne me quittait pas –si tout ce qui venait de se passer n’était pas simplement l'expression de mon délire !-, je préférais au moins ne plus être sous son regard.
Je me levai. Un au revoir n’était pas nécessaire. Je fis quelques pas, d’abord, puis m’éloignai plus rapidement. Avant de reprendre le sentier qui menait à La Push, je me retournai. Le vent frais sifflait à mes oreilles et la lune éclairait le paysage par intermittence. Des vagues de lumière blanche. Sur le rocher, il ne restait plus que la louve grise. Elle me regardait toujours. Tout à coup, elle se redressa. En quelques bonds, elle avait disparu entre les arbres.
Je rejoignis ma Chevrolet, m’installai au volant. Je frottai mon visage. J’allais… j’allais… Je me mis à pleurer. Se pouvait-il que cette conversation ait réellement eu lieu ? Etait-elle encore une création de mon esprit et de mes sens exténués ? Pourquoi avais-je fait en sorte qu’elle se produise, si c’était le cas ? Quelque chose, au fond de moi, avait-il cherché à me faire comprendre… Une évidence venait de m’apparaître à travers les dernières paroles que nous avions échangées, et je n’étais pas fière de ma réaction. Je venais de réaliser que ce qui était mort avec Jacob, c’était aussi son amour pour moi. Son amour qui m’avait tant soutenue à travers les épreuves de ma vie, portée, transportée. Son amour passionné et irrationnel de Transformateur imprégné de moi. Je l’avais perdu, pour toujours, à présent… et j’en souffrais. Enormément. Egoïstement. C’était pitoyable, mais je ne parvenais pas à réprimer ce sentiment d’abandon.
Au bout de quelques minutes, je me sentis cependant apaisée, ma douleur s’était tue, comme si une main invisible avait tourné progressivement le bouton du volume jusqu’à ce que je ne puisse plus rien percevoir. Je devais me reprendre, aller me reposer. Me reposer convenablement. Je repenserais à tout cela plus tard, quand je serais capable de l’envisager plus sereinement. Pour l’heure, j’allais rejoindre Edward. Il devait m’attendre. Toutefois, j’étais certaine de ne pas pouvoir lui avouer que j’avais passé une partie de ma nuit à parler au vide –si ce n’était effectivement pas à l’esprit de Jacob- sur une falaise de La Push. Il serait peiné, sans doute, que j’en arrive à me suggérer de telles visions pour apaiser mes craintes et ma peine, ou bien… il penserait que je devenais folle, et il aurait peut-être raison.

Avant de remettre le contact, je tournai mon regard vers l’horizon, au-dessus de la route et des arbres de la forêt. Loin de la lune, le ciel était d’un noir d’encre, et je pouvais apercevoir quelques étoiles scintiller dans les trouées nuageuses. Leur belle lumière m’avait apporté le rêve et le réconfort durant toute mon existence. La pensée me vint qu’elles non plus n’étaient pas véritablement là. Elles étaient de vieilles lumières, dont la source était depuis longtemps éteinte, mais qui parvenaient jusqu’à nous pourtant, à travers l’espace et le temps. Je les voyais. Je les voyais toutes les nuits.
Je frissonnai. Un nouveau trouble me saisit.
Devais-je croire à ce que j’avais vu cette nuit ? Devais-je y croire vraiment ?
Je n'avais pas de réponse.
Aussi, je tournai la clé et mis le moteur en marche, puis je pris le chemin de la villa des Cullen.



FIN DE LA PREMIERE PARTIE

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !