samedi 2 octobre 2010

VOL III _ chpt 17, chpt 18


Chapitre 17 : Décisions

Edward ne dit rien quand je passai près de lui. Il me considéra un moment, le visage impassible. Pourtant, je savais qu’il était ému. Peiné, et préoccupé.
Bella, ne fais pas ça !
Ses lèvres n’avaient pas bougé.
Je veux le sauver, Edward. Ils ne le tueront pas. Je suis là pour ça.
Mon bouclier était devenu perméable, soudain, et ma pensée était accessible à Edward, tout comme la sienne me l’était. Alors, je sus. Enfin. J’éprouvai, de manière très nette, le sentiment qui rendait le phénomène possible. Edward l’avait pressenti. C’était la certitude absolue que je pouvais, pour quelqu’un d’autre, m’oublier entièrement moi-même. Car, si je le devais, j’étais prête à me battre pour la vie de cet enfant, et peu importait l’issue.
Edward ne tenta pas de me dissuader, alors qu’il aurait pu chercher à le faire. Il aurait pu me dire que ce qui se passait là n’était pas notre histoire, comme je l’avais moi-même pensé un moment, que nous n’avions pas à nous attirer davantage d’ennuis que ceux que nous avions. Mais tout cela, il ne le dit pas. Edward me comprenait. Il était comme moi.



A cet instant, je me rendis compte qu’à travers sa pensée, un brouhaha me parvenait également. Un enchevêtrement confus de voix. Différentes tonalités mêlées, de la peur, du plaisir, de la fureur… C’étaient les pensées de ceux qui se trouvaient autour de nous. Chacune exprimant ce que chacun avait au fond du cœur et de l’âme. Quel tumulte, quel vacarme ! Et c’était donc cela qu’Edward devait supporter en permanence ? Ces pensées, je les comprenais certainement mieux que lui encore, car je savais la langue de ceux auxquels elle appartenaient. Tout près de moi, Sanza s’étonnait de ce que je faisais avec cet enfant dans les bras. Elle se demandait si j’allais m’en nourrir, accomplissant ainsi ce que souhaitait sa reine. Sa haine à mon égard était immense. Elle ne désirait qu’une chose : qu’Anyota me tue au contraire, ou bien que les hommes-léopards le fassent, ou encore qu’elle-même en ait l’occasion. A quelques pas, Sâmbolé se posait à peu près les mêmes questions, mais il était surtout heureux que sa punition ait pris fin. Plus loin, Anyota me contemplait avec un air de triomphe. Sa pensée avait une rapidité et une force très particulières. Elle s’exprimait sur plusieurs modes à la fois, comme me l’avait décrit Edward. Elle ne doutait plus que je venais de me choisir une proie. Mais elle se demandait si c’était la faim qui m’y avait poussée, ce qu’elle m’avait dit, ou bien le désir d’échapper à la mort et de rester auprès d’elle. J’aurais voulu fouiller sa pensée pour découvrir si ses paroles avaient été un mensonge, mais je ne savais pas comment m’y prendre et, dans son esprit, une pensée avait, de toutes manières, étouffé toutes les autres : elle avait décidé de détruire Edward, dès que j’aurais bu le sang de l’humain. Mais avant…
Je m’avançai vers elle. Le village était entièrement silencieux. Les cris de ceux qui nous avaient vu agir avaient cessé. Il ne restait plus, aux pieds d’Anyota, qu’un très vieil homme, dont les yeux blancs disaient assez qu’il ne pouvait pas comprendre ce qui était en train d’arriver à sa tribu. Sa pensée était très confuse, quasiment vide. L’âge l’avait abîmée. La reine siffla, elle rappelait les léopards.

Quand ils furent à nos côtés, leurs pensées, liées entre elles car ils étaient sous leur forme animale, me parvinrent. Les deux plus jeunes étaient très nerveux, et particulièrement bouleversés par ce qu’ils venaient de voir et à quoi ils avaient participé, malgré eux. Les deux autres étaient résignés. Ils luttaient pour calmer leur colère et leur dégoût, car ils savaient ce que leur reine s’apprêtait certainement à faire, et ils craignaient pour les plus jeunes, comme ils s’inquiétaient pour Shumata. Ce dernier… ne pensait rien. Ou plutôt si, il pensait, je captais cela comme Edward le faisait, mais il était parvenu à faire le vide dans son esprit. Il était là, mais il se refusait à laisser sa conscience s’exprimer. Et il y parvenait de manière incroyable !
« Il est temps, déclara Anyota, que les nouveaux hommes-léopards se nourrissent avec nous, s’ils le souhaitent. »
Elle désignait les corps humains qui l’entouraient.
« L’Esprit qui vous a donné son pouvoir aimerait peut-être goûter la chair des hommes, puisqu’il fait de vous des fauves… »
Les jeunes garçons ne savaient comment réagir. Leur transformation les avait perturbés, et ils se posaient certaines questions. Qu’étaient-ils vraiment ? Que devaient-il faire ? Ils sollicitaient l’esprit de Shumata, qui s’était muré en lui-même.
« Voyons, murmura la reine, sans doute hésiterez-vous moins après avoir vu le plus ancien d’entre vous le faire ? »
La pensée de Shumata tressaillit.
« N’est-ce pas, Shumata ? Voilà qui pourrait m’aider à te pardonner ton attitude… Tue ce vieillard. Et mange-le ! »
Son ton était terrible. Je savais qu’il n’y avait pas pire punition pour Shumata. Comment pourrait-il supporter une telle demande ?
« Tu ne veux pas ? Alors je vais le tuer pour toi… et tu mangeras les restes. C’est ce pour quoi tu es fait. Prends cela pour une dernière faveur de ma part. »
D’un geste. Elle brisa la nuque du vieillard. Puis ses pupilles de sang foudroyèrent le léopard.
« A toi ! Tu sais ce qui t’attend, sinon… »
Ces paroles d’Anyota réveillèrent la pensée du guerrier. Je vis le visage d’un jeune garçon se dessiner dans son esprit. Libwa ! La reine blanche allait le tuer pour punir Shumata de sa désobéissance. Elle l’avait fait enfermer dans la Caverne des Transformations, avec Enkâré, dont elle boirait certainement le sang à son retour, lorsqu’il lui en prendrait l’envie. Ils avaient mal agi, ils méritaient leur châtiment… mais leur reine était vraiment trop cruelle.

Tout mon corps se tendait sous l’effet d’une puissante colère et d’une immense amertume. A nouveau, mon bouclier se projeta vers Shumata et le recouvrit, souple, invisible, mais aussi solide qu’une épaisse coque de titane. Il s’étira vers les deux jeunes ailuranthropes, également. Dès lors, leur pensée se modifia. Ils refuseraient ce que leur reine leur proposait. Ils sentaient que ce n’était pas dans leur nature, quelle qu’elle soit. C’était hors de question. Shumata, lui, ne parut pas réagir à la présence de mon bouclier. Il fit un pas vers le vieil homme recroquevillé aux pieds d’Anyota. Son énorme patte se posa en silence à quelques centimètres de sa nuque. Dans son esprit, je ne voyais toujours rien, que le visage de Libwa, qui lui souriait. A ma colère vint s’ajouter la douleur. Le grand fauve allait s’humilier, là, sous nos yeux à tous. Il allait le faire, car il n’avait pas le choix… c’était insupportable !
L’énorme gueule s’ouvrit, les crocs blancs et luisants apparurent. Anyota exultait. Les autres léopards baissèrent la tête. Le grand fauve fut plus rapide que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Avec un bruit mat, sa gueule se referma autour de la taille de la reine blanche. Elle eut un hoquet de stupeur. Le fauve serra ses mâchoires, autant qu’il put. Il secouait la tête. Après quelques secondes, le torse d’Anyota se détacha et tomba au sol, comme s’il s’était agi d’une statue brisée en deux. Son visage témoignait encore de sa stupeur, ses bras cherchaient autour d’elle le reste de son corps. Elle leva des yeux incrédules vers l’homme-léopard qui venait de se retourner contre sa souveraine. Comment avait-il pu ? Malgré son pouvoir !... La mâchoire claqua à nouveau, la tête et un bras furent emportés. La reine Anyota n’existait plus.
Cela n’avait duré que quelques secondes. De saisissement, personne n’était parvenu à réagir. Je serrai toujours l’enfant contre ma poitrine, Edward se tenait à quelques pas devant moi. Comme s’il percevait par lui-même son inutilité à présent, mon bouclier se rétracta, découvrant les Transformateurs. Sâmbolé esquissa un geste dans la direction de Shumata. Il bondit et s’agrippa au dos du fauve qui se cabra pour le décrocher de sa fourrure. Convaincus à présent qu’il leur fallait prêter renfort à Shumata, les autres léopards se mirent à rugir. Conscient de sa faiblesse, apeuré et perturbé par la disparition de sa reine dont le pouvoir ne se faisait plus sentir, Sâmbolé ne chercha pas davantage le combat. En quelques bonds, il disparut du village.
A peine s’était-il enfui que Shumata bondit vers moi et lança dans ma direction une patte aux griffes saillantes qui ressemblaient à des sabres à l’envers. Je me baissai et glissai dans l’instant à plusieurs mètres. Les griffes atteignirent Sanza qui était en train de bondir sur moi. Elle tomba à la renverse, mais ses blessures se refermaient à peine qu’elle se relevait déjà et s’élançait dans ma direction. Je l’évitai sans difficulté, malgré le fragile fardeau que je portais. Un des jeunes guerriers-léopards la saisit à la jambe, elle répliqua d’un effroyable coup à l’œil, et la bête la lâcha, geignant de douleur. Elle reprit sa poursuite. J’entendais toujours sa pensée. Elle était déterminée. Si elle devait se faire tuer, elle m’emporterait au moins avec elle. Un coup à la poitrine, particulièrement fulgurant, l’envoya rouler à plusieurs mètres. Edward se plaça entre nous. Mais avant qu’elle ne reprenne son attaque, une gueule énorme la saisit au niveau des épaules, et un bruit de pierre broyée me parvint. Les jambes de la vampire cessèrent de battre l’air.
Shumata s’immobilisa. Il nous considérait avec attention. Sans doute devrait-il se battre contre nous aussi, s’il avait décidé d’éliminer les vampires de son existence…
Donne-lui l’enfant, Bella, et partons !
Edward me tendait la main.
Non, l’enfant vient avec nous.
Le léopard géant s’avança lentement vers moi.
Je serai celui qui protège les humains, désormais, disait clairement sa pensée.
Son cœur et son esprit étaient libérés, je pouvais le sentir. Et il était heureux. Heureux du choix qu’il avait fait -sans savoir que c’était moi qui lui en avais donné l’opportunité-, de ce qu’il était devenu, et de la façon dont son peuple et lui vivraient désormais. Il était enfin en accord avec lui-même.
« Je ne lui veux pas de mal, lançai-je à son adresse. Nous partons… Nous ne reviendrons jamais. Vous vivrez en paix. »
Les quatre autres léopards se déployèrent autour de nous. Les pupilles d’or de Shumata me fixèrent un moment. Son esprit hésitait.
Comment puis-je te faire confiance ? Tu es une tueuse, comme les autres.
« Je n’ai pas faim, répliquai-je à ce que venait de me dire sa pensée, et tu sais que je suis… différente. »
Le grand fauve se baissa. Allait-il bondir ? Son museau huma longuement l’air qui nous entourait, puis son dos ondula, et il fit demi-tour.
Rentrons, déclara-t-il mentalement à l’adresse de ses semblables, la famille des vampires a payé ce qu’elle nous devait. Nous sommes quittes.
Lentement, les cinq guerriers-léopards reculèrent. Ils trottèrent un moment, à la suite de Shumata, puis, en quelques bonds, s’enfoncèrent dans la forêt au loin.
Nous étions livrés à nous-mêmes.

Edward s’avança vers moi, sa main se posa sur mon épaule.
« Viens, Bella. Ne restons pas ici. »
Etrangement, son geste ne me réconforta pas. Je ne voulais pas qu’on me touche. Je voulais que personne ne s’approche du petit humain que je portais contre moi.
Bella ? Que se passe-t-il ?
Alors, je m’enfuis.
Je courus longtemps. Edward me suivait, bien qu’il ne cherchât pas à me rattraper. Je n’avais pas l’intention de le semer non plus, mais je ne savais plus trop ce que je voulais vraiment. Au milieu de la nuit, je m’arrêtai.
J’étais parvenue sur les rives d’un nouveau lac. Encore un lac immense.
Quelques minutes plus tard, Edward m’avait rejointe, mais il demeura à une certaine distance. Il était très inquiet. Je percevais toujours sa pensée, car mon sentiment ne m’avait pas quittée. Cet enfant…
Bella… dis-moi ce que je peux faire…
Mon mari ne pouvait rien pour moi.
Laisse-moi !
Le plus doucement que je pus, je détachai le petit corps du mien. Comme cela s’était déjà produit, son parfum m’enveloppa. Il était enivrant. Si délicat… je n’avais jamais rien senti de pareil ! Comment y résister ? L’idée de boire son sang exceptionnel, que je refoulais de toute ma force au plus profond de mon être, m’attirait autant que le désir de préserver son existence. Que faire ? J’allais devenir folle.





Chapitre 18 : Un petit oiseau/ A little bird

Je passai ma main sur la joue ronde. La peau était brûlante, la respiration très rapide. Pourquoi cet enfant n’avait-il pas repris conscience ? Je compris que quelque chose n’allait pas. Je devais…
A boire, il faut que je lui donne à boire.
Je m’approchai de l’eau, fis couler quelques gouttes de ma main dans la minuscule bouche entre-ouverte. Mais le petit garçon ne réagit pas et, lorsque je le redressai, l’eau qui s’y trouvait coula d’un coin de sa bouche.
Oh, non ! Pitié !
J’essayai de lui parler, de le réveiller, je le berçai. Mais rien n’y fit. Je devais le conduire dans un hôpital, très certainement, il fallait…
Faites qu’il ne meure pas, s’il vous plaît !
Je me lamentais en moi-même.
Bella…
La pensée d’Edward était douloureuse, comme la mienne.
Oh, Edward ! Je ne veux pas qu’il meure ! Que dois-je faire ?
Mon mari lisait dans mon esprit ce que je ressentais et, en retour, je sus que mon attitude et mes sentiments le troublaient profondément.
Laisse-moi approcher, Bella, tu veux ?
Une pulsion, en moi, voulut lui intimer de rester là où il se trouvait, mais je la surmontai. Edward ne voulait pas me prendre cet enfant, je le savais bien… pourquoi me montrais-je soudain si possessive ?
Oui, viens, Edward… Pardonne-moi.
Très lentement, il approcha. Je sentais, à chaque instant, que j’aurais pu reprendre mon trésor et m’enfuir à nouveau. Je dus me forcer à rester là, et à voir Edward nous rejoindre. Finalement, il s’agenouilla près de nous. Ses gestes étaient très lents, comme s’il voulait éviter de m’effrayer ou de me provoquer. Il me regarda, puis regarda l’enfant.
Bella, ce que tu ressens est vraiment très particulier…
J’acquiesçai. Les pupilles d’Edward luisaient.
Cet enfant est mourant, mon amour. Je ne crois pas…
Derrière mes yeux, une intense chaleur coula, piquante, brûlante. Elle brouillait ma pensée. Un désespoir terrible s’abattit sur tout mon être.
Tu me laisserais le toucher ?
Sans pouvoir me contrôler, je grognai.
Non.
Edward réfléchissait. Je vis défiler ses sentiments : crainte, tristesse, volonté, générosité… Mais je n’y prêtais pas vraiment d’attention. Ce qui me préoccupait, plus que tout, était la vie de ce petit bout d’homme, ainsi que la concentration qu’il me fallait maintenir -que ma peine m’aidait à maintenir- pour ne pas me laisser aller à écouter de plus près ce que son sang envoûtant me disait. Ce qu’il murmurait… Car il me parlait. C’était lui qui m’avait convoquée. Et à des kilomètres !

Pourtant, dans la pensée d’Edward, un mot me heurta de plein fouet. Je l’entendis de très loin, comme tout le reste, mais il me ramena un peu à moi-même.
… Cantante…
Comment ? Non, c’était impossible !
Cela y ressemble beaucoup, Bella… Je suis submergé, moi-même, par la puissance de ce que tu ressens, et stupéfié de l’effet que cela a sur toi ! Tu… tu n’es plus la même ! Et je sais très bien…
Il avait éprouvé cela. Je ne voulais pas y croire. Il se trompait. C’était très certainement autre chose... Je savais que c'était autre chose !
Cela suffit. Tu fais erreur, Edward. Mais je n'ai pas le temps... Nous devrions le conduire auprès d’un médecin. C’est ce qu’il y a de mieux à faire.
La respiration de l’enfant se faisait irrégulière.
Il est blessé, de toute évidence. Mortellement, à ce qu’il me semble.
La pensée d’Edward était douce. Elle était pleine d’amour pour moi, mais il voulait que je comprenne, et que j’accepte surtout.
Non. Ce ne doit pas être si…
J’avais défait le linge sombre enroulé sommairement autour de l’enfant. Je venais de remarquer qu’il était déchiré dans le dos. Je retournai le tout petit…
Oh, non !
En bas de son dos, une trace aux contours boursouflés. Une blessure. Mauvaise. Une lame était entrée et ressortie, refermant la peau sur l’entaille, sans provoquer de saignement. On n’apercevait qu’une ligne sombre. Mais les dégâts qu’elle avait causés à l’intérieur du corps du petit garçon étaient immenses. Irrémédiables, certainement, vu l’emplacement du coup. Edward avait raison. Mais… je ne le voulais pas !
Non, non, non ! C’est impossible ! Je ne peux pas…
Une multitude d’idées déferlèrent en masse dans mon esprit. Un médecin pourrait toujours le guérir… ce n’était pas tout à fait impossible. Je devais filer immédiatement. A moins que… je ne le soigne moi-même, comme Kaly l’avait fait pour moi ! Oui, je devais faire cela !
Bella… Ecoute…
Edward voulait me dissuader. Je ne savais pas comment faire, mais j’allais y arriver. Il y avait un espoir. Mais si j’en faisais un monstre ? Combien de sang devais-je lui donner au juste ? J’étais un jeune vampire. Mais… le sang de Kaly coulait en moi également ! Cela impliquait-il que je devais lui donner seulement une goutte ou deux ? Je devais trouver la solution. Je devais la trouver immédiatement ! Edward, peut-être… Mais je ne pouvais pas lui demander une chose pareille. Je ne devais pas l’obliger…
S’il te plaît, Bella… écoute sa pensée. Il est en train de partir ! Ecoute attentivement.



Que voulait-il dire ? Je m’obligeai à me calmer un instant, mais j’étais vraiment très agitée. Je me concentrai. Il fallait que j’écoute ? Que j’entende quoi ? A travers Edward, je ne percevais rien. L’enfant était inconscient, et sa pensée muette. Et pourtant… pourtant, il y avait quelque chose… quelque chose d’autre que nous. Des images ! Des… couleurs. Elles étaient floues, leurs formes imprécises, mais… Progressivement, elles se clarifiaient, se rectifiaient.
Je vis du bleu. Un bleu magnifique, dans un cadre sombre. Une fenêtre. Une fenêtre de terre. Nous étions dans une case. Cette vision n’était pas tout à fait réaliste, et je compris que c’était sans doute ainsi qu’un tout petit enfant pouvait voir le monde. Cette image émanait de sa pensée. Cherchait-il à communiquer avec nous ? J’avais déjà éprouvé cette sensation étrange… Dans un rêve.
Mon bébé. Mon enfant hybride. Elle me parlait en pensée déjà, alors que je la portais en moi, projetant en images dans mon esprit ce qu’elle ressentait et qu’elle voulait que je comprenne. Ce que j’éprouvais en ce moment-même, alors que je tenais cet enfant mourant dans mes bras, était incroyablement similaire !
Ce sont ses souvenirs qui passent, Bella. Ils sont la dernière chose qu’un humain revit avant de s’éteindre.
La vision se précisa. Tout était tranquille. Il faisait doux. Par la fenêtre, un peu arrondie, le ciel bleu. Si bleu ! Je me sentais bien. A l’abri, protégé. Aimé. Tout à coup, un courant d’air. Un froissement doux et léger. Surprenant. Je sursautai. Une petite forme avait fusé à travers le cadre d’azur. Un bruit mat. Un choc. Un oiseau. Un jeune oiseau au vol incontrôlé venait d’entrer dans la case. Il s’était cogné et avait dégringolé au sol. Il ne bougeait plus. Je l’observai. J’avais peur…
Dans mes bras, l’enfant se mit à haleter plus fort, mais aucun de ses membres ne réagissait. Il délirait.
… J’avais peur. Et j’avais mal. Je me mis à pleurer. Mais le petit oiseau releva la tête. Il fit un bond, traversa l’espace de la case. Il cherchait à s’envoler, mais ne le pouvait pas. A chacun de ses bonds, il se cognait au mur, et retombait. J’avais mal. J’avais peur et j’étais triste…
Edward… il souffre !
Mon mari plissa les yeux. Son regard me disait que je ne me trompais pas. C’était affreux ! Cet enfant… cet enfant, dont le sang chantait pour moi, d’une si douce et si indicible manière que je me sentais liée à lui (depuis que je l’avais entendu, au loin, et trouvé), attachée, solidement, par d’invisibles fils plus solides que des câbles d’acier -encore une sensation que j’avais éprouvée, à travers des yeux qui n’étaient pas les miens, il y avait bien longtemps !-, cet enfant… qui était, en cet instant, le centre de mon univers, le sens de ma vie, un autre moi-même… allait mourir. Malgré moi. Dans mes bras.
Je suis désolé…
Edward compatissait. Il partageait ma douleur. Et son sentiment était sincère, même s'il avait la conviction que je venais de lui être volée par le petit humain que je tenais contre moi.
Ce n’est pas ça, Edward, tu te trompes… c’est autre chose… je le sais, je le sens, c’est…
… Le petit oiseau se fatiguait. Il était étourdi. Il n’y arriverait pas. Il se désespérait, et je souffrais avec lui. Et je me sentais si seul ! J’appelais, mais on ne venait pas. Maman, viens aider l’oiseau, il faut qu’il puisse s’en aller ! J’appelais…
L’enfant poussa un râle. Sa respiration devenait plus difficile. Son corps perdait de sa chaleur, peu à peu. Lentement, si lentement…
… J’ai mal, j’ai tellement mal ! Maman ! Maman !... Ça n’arrête pas… J’ai peur. Où es-tu ?...
Oh, quelle horreur !
Ce que je ressentais m’était insupportable. J’étais plongée dans une éternité de douleur et de désespoir, tels que j’avais pu les ressentir lors de ma propre transformation. Je n’aurais jamais cru que j’aurais à les ressentir encore, et avec mes sens exacerbés de vampire, de surcroît ! C’était une lente et longue torture. Celle de l’agonie. La fin d’une innocence. Et c’était tellement injuste !
Alors, une idée surgit au milieu de toutes les autres, vaines et absurdes. Une pensée obscure et glacée. Une issue. La dernière. Je revis… la lionne.
La gazelle.
L’oiseau.
Je vais… je dois…
Edward me regardait.
La mort fera son œuvre, quoi qu’il en soit… Mais c’est à toi de décider, Bella. Ce choix n’appartient qu’à toi.

Oui, c’était mon choix. Et je le porterais avec moi, toute mon existence. Mais tout m’était égal. Car je savais. Je savais tant de choses, sans en avoir jamais pleinement conscience !
Ma pensée se fit aussi claire qu’une eau pure. Toute émotion me quitta. J’avais compris pourquoi j’étais là. Et c’était une bien grave raison. J’étais là pour donner, et pour prendre. Malgré ce que cela pouvait me coûter.
Dans mon esprit, Edward pouvait lire les questions qui traversaient ma pensée : ce geste me détacherait-il de lui, comme Anyota me l’avait expliqué ? Et si c’était le cas, est-ce que c’était le moment où notre amour, qui avait perduré malgré ma transformation, devrait mourir ? Si un dieu existait, allais-je me damner, éternellement ? Cet enfant était-il ma Cantante, qui allait disparaître pour toujours... ? Mais il voyait aussi que j’avais déjà passé outre. J’étais résolue. Je l’avais toujours été, sans doute. Car je savais qui j’étais, et j’étais convaincue que mon geste était juste. J’allais aider cet enfant à mourir. Et je ne le ferais ni pour la soif, ni pour le plaisir, ni par haine, ni par curiosité, ni par peur… Je ne le ferais pas pour moi. Je le ferais pour lui. Pour que la souffrance ne le torture plus -il ne méritait pas cela !-, pour qu’il ne soit pas seul, pour qu’il soit toujours là, avec moi… quelque part. Pour que son souvenir reste ancré en moi, profondément, dans ma chair surnaturelle. Un souvenir douloureux et noble. Unique. Car ce serait le seul humain dont je boirais le sang, à jamais.
Je voulais le croire, je m’en fis la promesse… Parce que j’avais été choisie par le hasard, ou autre chose, peut-être, pour être sa mort. Comme il était la mienne. Celle de l’humaine que j’étais toujours un peu, quelque part, dans mon corps de vampire, alors que mon esprit en avait déjà tant éprouvé ! Des paroles, prononcées par Kaly lorsque nous étions sur son île, se mirent à battre à mes tempes. J’ai accepté depuis longtemps l’idée que je peux être la mort qu’ils rencontrent un jour sur leur chemin, comme un hasard. La mort fait partie de l’existence humaine, de son fonctionnement même. Lorsque je les avais entendues, je les avais trouvées dures et cruelles. Maintenant, je savais qu’elles ne l’étaient pas. Bien au contraire ! Elles auraient pu être miennes, ces paroles. D’ailleurs, ne l’étaient-elles pas ?
Tout cela, comme Kaly l'avait fait, je devais l’accepter. Je l’avais déjà accepté. Et compris. Je le savais, depuis toujours. Je l’avais vu venir… des années auparavant.
Voilà qui j’étais.

C’est la paix que je lui donne. En mettant volontairement un terme à sa souffrance. C’est le geste le plus... humain que je puisse avoir, Edward.

Petit message

J'ai remarqué que, malheureusement, Deezer perdait parfois certains morceaux, mais je ne peux pas savoir lesquels... Alors n'hésitez pas à me laisser un petit message lorsque, au cours de votre lecture, vous rencontrez un lien mort dans mes players. Je ferai en sorte de le remplacer. Merci !